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Le droit à la liberté d’expression des magistrats : un droit fondamental réaffirmé qui se heurte à une obligation de réserve. Par Rebecca Medioni, Avocat.
Parution : mercredi 13 mars 2024
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Le Conseil Supérieur de la Magistrature a rappelé que « la liberté d’expression des magistrats est essentielle pour garantir leur indépendance ».
Comme tout citoyen, un magistrat bénéfice d’une liberté de parole et donc par extension d’une liberté syndicale.
Toutefois, le Conseil est venu contre-balancer ces principes au regard notamment du devoir de réserve des magistrats car : « les magistrats ne doivent pas compromettre l’image d’impartialité et de neutralité de la Justice, indispensable à la confiance du public, ni porter atteinte au crédit et à la dignité de l’institution judiciaire et des juges. La parole du magistrat est en effet reçue comme l’expression d’une appréciation objective qui engage non seulement celui qui s’exprime, mais aussi, à travers lui, toute l’institution ».

Le ministre de la Justice, Eric Dupont Moretti a adressé le 2 mai 2023 un courrier au Conseil Supérieur de la Magistrature (ci-après "CSM") dans lequel il le questionnait sur l’articulation entre la liberté d’expression des magistrats et l’obligation déontologique de réserve et de discrétion notamment.

Le CSM a simplement rappelé que la liberté d’expression est un principe inscrit dans le CEDH et qu’ainsi, il s’applique à tous mais que malgré tout ce droit fondamental doit être concilié avec l’obligation de réserve dans les institutions publiques « s’impose à tous les agents publics et vise fondamentalement à préserver la confiance des citoyens dans une puissance publique impartiale » ; le CSM a considéré que cette obligation de réserve valait « encore davantage pour un magistrat, à raison de la mission particulière qui lui est dévoué et parce qu’il engage l’institution judiciaire dans son ensemble ».

Le CSM considère donc que « En dépit des limites que connait son exercice, la liberté d’expression des magistrats est essentielle pour garantir leur indépendance » et que cette liberté doit se faire « dans le respect des impératifs que lui imposent son état et son statut, lorsque les valeurs et principe de l’État de droit sur lesquels repose son office sont en jeu ».

Le 20 février 2024, la Cour Européenne des droits de l’Homme a rendu une décision (req. n° 16915/21) capitale concernant la liberté d’expression des magistrats qui s’inscrit dans la continuité de ce qu’il se faisait déjà en France.

La Cour a été saisie de la situation d’un juge européen dont la liberté d’expression a été restreinte en raison de ses opinions publiques exprimées sur des questions juridiques et sociales.
La CEDH a été saisie pour déterminer si ces restrictions violaient les droits fondamentaux du magistrat et en particulier son droit à la liberté d’expression tel que garanti par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

La CEDH a réaffirmé le principe selon lequel les magistrats jouissent du droit fondamental qu’est la liberté d’expression en soulignant que cette liberté inclut le droit d’exprimer des opinions sur des questions d’intérêt public y compris sur des sujets juridiques et politiques.
Cependant, la CEDH a rappelé que les magistrats, en raison de leur statut, doivent exercer ce droit de manière responsable en tenant compte des règles d’impartialité et de réserve guidant leur fonction.
La Cour Européenne a insisté sur le fait que les juges devaient s’abstenir de prononcer des commentaires qui pourraient compromettre l’impartialité de la Justice ou porter atteinte à la confiance des justiciables dans le système judiciaire.

Cette décision de la CEDH vient donc renforcer la protection du droit à la liberté d’expression des magistrats tout en rappelant ses limites.
La liberté d’expression des magistrats vise à garantir un système judiciaire démocratique fondé sur le respect des droits de l’homme et des principes de l’État de droit.

La question qui se pose désormais est celle de la liberté d’expression des magistrats sur les réseaux sociaux… cette question est encore à l’état de réflexion pour le Conseil supérieur de la magistrature qui a tout de même orienté sa position en considérant que :

« les magistrats ne peuvent s’abandonner aux facilités qui menacent, sur ces réseaux, les particuliers non investis de la responsabilité de juger : trivialité, véhémence, imprudence ne peuvent que brouiller la représentation élevée que doivent avoir les citoyens de l’institution judiciaire et de ceux qui y concourent ».

Rebecca Medioni, Avocat au barreau de Paris.