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L’exercice du droit au retrait litigieux par la caution : une nouvelle précision de la Cour. Par Houssam Hassani, Étudiant.
Parution : mercredi 28 février 2024
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En matière de titrisation de créances, la caution appelée à honorer ses engagements, est fondée à exercer le droit au retrait litigieux au sens de l’article 1699 du Code civil.
Dans un important arrêt rendu le 14 février 2024, la Chambre commerciale de la Cour de cassation apporte plus de précisions sur l’exercice du droit au retrait litigieux.

Présentation de l’arrêt.

Le 21 décembre 2011, la Banque Société Générale a consenti un prêt à la société Eden. Le dirigeant de la société Eden s’est porté caution sur les engagements de cette dernière.

Le 28 mai 2015, le tribunal de commerce de Nice a, dans un premier temps, ouvert une procédure de sauvegarde à l’égard de la société Eden. Puis, dans second temps, l’a placé en liquidation judiciaire le 20 décembre 2017.

Le 31 janvier 2018, la Société Générale a déclaré sa créance au passif de la société Eden, et dans la foulée, a fait appel à la caution aux fins de répondre à ses engagements.

Par un jugement en date du 20 juin 2018, le tribunal de commerce de Nice a enjoint à la caution de payer à la Société Générale, la somme de 417.780,78 euros, outre les intérêts afférents. La caution a interjeté appel le 24 juillet 2018.

Le 03 août 2020, la Société Générale a cédé sa créance au fond commun de titrisation Castanea, ayant pour société de gestion, la société Equitis gestion, représentée par son recouvreur la société MCS et associés (ci-après FCT).

Le FCT a fait une intervention volontaire dans la procédure d’appel. L’occasion parfaite pour la caution de lui opposer le droit de retrait litigieux.

Dans son pourvoi en cassation, le FCT soutenait que :

Réponse la Cour.

En premier lieu, c’est au visa de l’ancien article 1692 du code civil, que la Cour a fondé sa décision, tout de moins, s’agissant des deux premiers arguments du FCT.

Selon la Cour, la cession de la créance principale, comprenant également ses accessoires, comporte au profit du cédant la cession de la créance sur la caution. Dès lors, la caution, lorsqu’elle conteste le droit invoqué contre elle, peut exercer le droit au retrait litigieux.

Ensuite, la Cour affirme que, dès lors que la caution a été assignée en paiement, elle a donc la qualité de défendeur. À ce titre, elle peut, si elle conteste le droit du créancier au fond, exercer le droit au retrait, avant ou après qu’elle a interjeté appel du jugement l’ayant condamné au paiement.

Enfin, la Cour approuve la Cour d’appel d’Aix-en-Provence d’avoir considéré, que la caution avait bel et bien la qualité de défendeur, en ce sens qu’elle a conclu au principal, sur le rejet de la demande de la banque, au motif que son engagement en tant que caution a été disproportionné. Ce faisant, et dès lors que le litige d’espèce portait sur le fond de l’engagement de la caution, cette dernière était fondée à exercer le droit au retrait.

Observations.

1 - Rappel de la notion du droit au retrait litigieux.

Un cadeau empoisonné pour le cessionnaire, du pain bénit pour le débiteur.

Prévu à l’article 1699 du Code civil, le droit au retrait litigieux, peut dans certains cas être une aubaine pour le débiteur cédé et une désillusion pour le cessionnaire.
En effet, il est d’une pratique fréquente dans le milieu bancaire, que les établissements de crédit cèdent leurs créances à des sociétés de titrisation ou des sociétés spécialisées dans le recouvrement de créances. Le transfert s’effectue par bloc de créances de même nature (crédits immobiliers, crédits à la consommation, etc).

Cette forme de cession de créances peut s’apparenter à une cession par voie de Bordereau Dailly [1], à la différence que la cession de créances par titrisation nécessite une émission de titres sur les marchés financiers, afin de pouvoir financer l’acquisition. D’autres différences peuvent être relevées.
L’avantage d’une telle cession, c’est que le prix de la cession est relativement bas que la valeur de la créance, donc, pour le cessionnaire, c’est du pain bénit. Du côté de l’établissement cédant, ça lui évitera les coûts d’une longue procédure de recouvrement, et l’insolvabilité du débiteur. Enfin, du côté du débiteur, c’est qu’il aura la faculté de racheter sa créance au prix de la cession.

C’est là que ça dévient intéressant :

Exemple : On a "Tonton Jack" qui a contracté un crédit de 500 000 euros auprès de la "banque Moutou". “Tonton Jack” n’arrive pas à honorer ses échéances, et par conséquent, la banque a prononcé la déchéance du terme, et l’a assigné en paiement.
Au cours de la procédure, la "banque Moutou" a cédé sa créance au fond commun “MyMoneyPaid (MMP)” au prix de 80 000 euros. Sachant que le reste à payer pour “Tonton Jack” est de 300 000 euros.
“Tonton Jack” oppose au “fond commun MMP” le droit de retrait litigieux conformément à l’article 1699 du Code civil. Le juge fait droit à sa demande, et “Tonton Jack” n’a payé que 80 000 euros correspondant au prix de la cession, au lieu de 300 000 euros.

À travers cet exemple illustratif, on ne peut que comprendre que le plus chanceux dans toute l’opération n’est rien d’autre que le débiteur, qui peut échapper au paiement d’une très grosse somme (dans notre cas d’espèce, c’est la caution qui en tire les bénéfices). Or, celui qui devait tirer plus d’avantages, c’est le cessionnaire, puisqu’en achetant la créance à vil prix, il s’attend à en tirer plus de bénéfices.

Toutefois, il est important de souligner que l’exercice du droit au retrait litigieux n’a autant de facilité que ce qu’il peut en avoir l’air. Il est soumis à la réunion de certaines conditions matérielles :

2- Les précisions de la Cour de cassation.

Dans ses motivations en réponse aux différents moyens avancés par le FCT, la Cour de cassation a tenu à nous apporter plus de précisions sur la question du droit au retrait litigieux.

Dans un premier temps, elle apporte une première précision sur la qualité de la personne qui peut prétendre exercer un tel droit. En effet, dans la première branche de son moyen, le FCT conteste le droit qu’aurait la caution à invoquer le retrait litigieux, en ce sens qu’elle n’est pas le débiteur principal. Le FCT faisait application stricte de l’article 1699, qui laisse croire que le droit au retrait litigieux ne peut être invoqué que par le débiteur cédé.

C’est ainsi que la Cour précise qu’à partir du moment où la cession de la créance principale emporte au profit du cédant la cession de la créance, cette dernière peut légitimement opposer au cessionnaire le retrait litigieux. La réponse de la Cour paraît pertinente, dans la mesure où le contrat de cautionnement a toujours été l’accessoire du contrat principal.

Il ne faut surtout pas oublier de rappeler que ce principe a été renforcé par l’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés (article 2298 du Code civil).
Une autre précision opérée par la Cour, porte sur la temporalité de la demande de retrait litigieux. En effet, dans son pourvoi, le FCT contestait le retrait litigieux exercé par la caution, au motif que ce droit ne doit être exercé que par le défendeur à l’instance. Or, en ayant relevé appel du jugement l’ayant condamné à payer le créancier le reliquat du prêt, en exécution de ses engagements de caution, cette dernière n’avait pas la qualité de défendeur, par conséquent, sa demande de retrait litigieux demeurait inopérante.
Cet argument est loin d’être le plus convaincant pour la Haute juridiction. Selon elle, que l’exercice de retrait litigieux ait été exercé avant ou après que la caution a interjeté appel du jugement l’ayant condamné au paiement, cela n’a aucune incidence ni sur sa faculté à exercer ce droit, ni sur sa qualité de défendeur.
Jusque-là, en matière de rachat de créance, le débat portait sur la contestation au fond du droit cédé, par le défendeur, qui souhaitait opposer ce droit à son nouveau créancier. À cette question, la Cour de cassation s’est maintes fois déjà prononcée [2].

Ce qu’il faut retenir de l’arrêt :

Le droit au retrait litigieux ne bénéfice pas seulement au débiteur principal, il peut également bénéficier à la caution.
La caution a la qualité du défendeur, et à ce titre, elle peut exercer ce droit, peu important que cet exercice soit intervenu avant ou après qu’elle a interjeté appel du jugement l’ayant condamné au paiement.

Houssam Hassani, Étudiant, IEJ de Toulon - CRFPA, Droit bancaire et droit des entreprises en difficulté.

[1Technique financière créée par la loi du 2 janvier 1981, modifiée en 1984.

[2Voyons en ce sens Com. 20 avr. 2017, n° 15-24.131.