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La tension du marché locatif sur Paris à l’approche des JO. Par Virginie Audinot, Avocat.
Parution : jeudi 29 février 2024
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La date d’ouverture des Jeux Olympiques 2024 à Paris se rapproche, et avec elle, un tsunami potentiel de litiges en matière immobilière et pas que.
Airbnb, locations, marché de la vente immobilière, l’ensemble va être perturbé et occasionner par effet de dominos des litiges variés dans ces domaines.

Entre autres, la question de la mise en location de leurs biens à la nuitée par les bailleurs, via la Plateforme Airbnb ou autre application de ce type, va se poser : pour certains bailleurs, la volonté d’être juste et donc « dans les clous » pour mettre leur bien en toute légitimité en location meublée de courte durée ; pour d’autres, l’entrée en scène de spéculations diverses, et une volonté de profiter financièrement à tout prix de cette période, même si cela doit l’être au détriment des droits de leur locataire… le tout sur un fond de marché de la location immobilière bouleversé et soumis à une pénurie de logements offerts à la location dite « standard »…

Des locataires parisiens voient soudain leur bail résilié, et se voient contraints de trouver un nouveau logement, alors que dans le même temps les offres de bien à la location « standard » se raréfient. Le nombre d’appartements proposés à la location standard aurait en effet, selon la Plateforme SeLoger, baissé de moitié en un an sur la capitale.

Or certains propriétaires donnent congé à leur locataire pour des motifs qui s’avèrent être parfaitement fallacieux : pour vendre, pour y réaliser des travaux, … la reprise du bien (tombant systématiquement par « coïncidence » quelques semaines avant l’ouverture des JO) laissant ainsi le temps au bailleur de remettre en état le bien avant une mise en location à la nuitée à prix d’or sur la plateforme Airbnb…

Le bailleur ne peut toutefois pas reprendre son bien n’importe comment.

Aussi, le locataire devra être vigilant pour garantir ses droits et le bailleur, de son côté, devra être prudent pour être « en règle ».

Le congé délivré par ce dernier doit être valide et, pour cela notamment, être fait dans les délais impartis légalement au bailleur et selon un motif valable et justifié.

De deux choses l’une :

Pour donner valablement congé, le bailleur doit respecter des règles impératives et cumulatives de délais, de forme et de motif, essentiels à la garantie des droits du locataire.

Attention en revanche, si tout est conforme, le bailleur est parfaitement dans son droit de reprendre son bien immobilier. Ne généralisons donc pas les cas dans une période troublée par les JO.

I. Le délai pour donner congé au locataire.

Sauf exceptions, le bailleur ne peut délivrer valablement congé à son locataire qu’à la date anniversaire du contrat de bail, tous les ans pour un meublé, tous les trois ans pour une location vide, et en respectant un préavis d’au moins 3 mois avant cette date anniversaire pour un meublé, et 6 mois pour une location vide.

Il existe des particularités également pour les locataires dits protégés (âgés de plus de 65 ans à la date d’échéance du bail et à faibles ressources).

D’ores et déjà, il convient donc de vérifier être bien dans ces délais si on est bailleur, et que ces délais ont bien été respectés par celui-ci si on est locataire.

Si le courrier n’arrive pas dans les temps, le congé ne sera pas valable, considéré comme nul, et la location continuera de courir à nouveau pour un délai identique (1 ou 3 ans de nouveau).

II. La forme du congé donné au locataire.

Le bailleur doit adresser son congé au locataire par lettre recommandée avec accusé de réception (attention, la jurisprudence considère que si le locataire ne va pas retirer le pli en bureau de poste, le congé est dépourvu d’effet et doit donc être signifié ensuite par voie d’Huissier dans les délais pour être efficace : il est donc préférable pour le bailleur de le faire délivrer directement par Commissaire de justice - huissier - et pour le locataire, le cas échéant de refuser de prendre le pli AR qui lui est adressé), signifié par un Huissier, ou remis en main propre contre émargement ou récépissé.

Le congé doit par ailleurs mentionner plusieurs éléments :

Dans le cas d’une reprise pour motif réel et sérieux, le détailler

De plus, ce courrier doit être accompagné de la notice d’information relative aux obligations du bailleur (pour les locations vides occupées à titre de résidence principale, et non pour les locations meublées - Arrêté du 13 décembre 2017) et aux voies de recours et d’indemnisations du locataire.

Enfin, le congé doit être délivré à tous les signataires du bail.

Il faut noter ici que dans le cas de locataires mariés, l’époux même non signataire du bail est co-titulaire de plein droit dès lors que le bailleur a été informé du mariage (même en cours de bail). Quant aux partenaires liés par un PACS, ces derniers ne sont considérés comme co-titulaires du contrat de bail de leur logement que si leurs deux noms figurent effectivement sur le bail ou s’ils en ont fait ensemble la demande en cours d’exécution du bail. Le bailleur n’est donc pas tenu de délivrer le congé au concubin non signataire du bail.

III. Le motif du congé délivré au locataire.

C’est souvent le point qui fait le plus débat dans les litiges, tel que souligné plus haut, le logement ne peut être repris par son propriétaire que dans trois cas limitativement énumérés par l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, à savoir : la reprise pour vendre, pour y résider ou y loger un de ses proches, et pour motif légitime et sérieux (notamment en cas de faute du locataire).

La loi ALUR a par ailleurs durci les conditions de reprise et instauré un contrôle judiciaire a priori. Ce qui est une bonne chose et facilite les démarches des locataires : en cas de contestation, le juge peut, même d’office, vérifier la réalité du motif de congé. Il peut notamment déclarer non valide le congé si la non-reconduction du bail n’apparaît pas justifiée par des éléments sérieux et légitimes (Cass. civ., 3°, 9 février 2022, n° 21-10.388).

Lorsqu’il donne congé à son locataire pour reprendre le logement, le bailleur doit donc justifier du caractère réel et sérieux de sa décision de reprise et le locataire est en droit de contester ce motif s’il l’estime fallacieux.

En cas de litige, le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation de la réalité et de la légitimité du motif de congé invoqué.

Reprenons les trois cas de reprise énumérés (parmi lesquels ne se trouve pas la reprise pour mise à la disposition du bien à la location touristique en vue des JO) :

Ce congé est possible et valable lorsqu’un propriétaire souhaite résider dans le logement en résidence principale ou y faire loger un parent proche qui en fera, lui aussi, sa résidence principale.

Le congé pour reprise du logement.

La reprise du logement par le propriétaire lui-même ou pour ses proches pour en faire une résidence secondaire est en revanche impossible.

Par ailleurs, seuls certains parents proches exclusivement peuvent en bénéficier :

Le bailleur devra donner l’identité du proche en question dans le congé délivré au locataire.

Le congé pour vente du logement.

Le bien peut être repris par le bailleur pour le vendre. Dans ce cas, le locataire, pour une location vide, bénéficie d’un droit de préemption sur le logement sous certaines conditions et sera donc prioritaire pour acheter le bien. Le congé pour vendre vaut alors offre de vente au locataire.

La lettre de congé doit contenir les informations suivantes :

L’offre de vente faite au locataire est valable durant les 2 premiers mois du préavis (qui est de 6). Le locataire peut alors l’accepter en informant le propriétaire par LRAR et en précisant s’il entend recourir ou non à un prêt immobilier. Il peut également refuser la proposition du bailleur ou faire une contre-proposition.

Le défaut de réponse au bailleur dans les deux mois précités valent refus du locataire d’user de son droit de préemption.

Le congé pour motif légitime et sérieux.

C’est un peu le motif « fourre-tout », source de plus de contentieux car soumis à interprétation et permettant donc, en apparence, plus de largesse au bailleur.

La lettre de congé doit toutefois expressément mentionner le motif légitime et sérieux qui entraîne la fin du bail du locataire.

Les motifs imputés pourront naturellement là encore être contestés par le locataire.

Ainsi, le propriétaire peut légalement donner congé à son locataire lorsqu’il invoque un motif légitime et sérieux par exemple en cas de manquements du locataire, mais pas seulement : le bailleur peut également invoquer un motif légitime et sérieux qui serait indépendant de la volonté du locataire et du respect de ses obligations par celui-ci.

Par exemple, le bailleur peut invoquer une nécessité de réaliser des travaux d’ampleur au sein du logement occupé par le locataire et qui nécessite que le bien soit inoccupé.

Il ressort de la jurisprudence que les tribunaux estiment ainsi valable le motif consistant à vouloir valoriser et mieux rentabiliser son bien en y réalisant de lourds travaux de rénovation, comme par exemple lorsque le Bailleur souhaite isoler entièrement un immeuble et refaire l’électricité pour diminuer les frais liés à l’énergie, ou encore s’il souhaite modifier la distribution des pièces pour pouvoir accroître le prix du loyer, …

De façon générale, ces travaux doivent toutefois être d’envergure importante et nécessiter que le bien soit inoccupé pour les réaliser, mais surtout, point non négligeable sur lequel il convient d’être vigilant : ils doivent être justifiés.

Le bailleur doit en effet pouvoir être en mesure de prouver la réalité des travaux et leur éligibilité à constituer un motif « légitime et sérieux ».

Pour que la résiliation du bail puisse être considérée comme valide, le bailleur va devoir alors être en mesure de prouver au locataire sa réelle intention de réaliser les travaux projetés et leur consistance, ce par tous documents justificatifs :

Ces documents, s’ils sont communiqués par le bailleur, doivent l’être idéalement par lettre recommandée avec AR, afin de démontrer qu’ils ont effectivement été adressés au locataire.

Le locataire, s’il a un quelconque doute, sera en droit de discuter la réalité de ces travaux devant le tribunal compétent.

IV. Dédommagement.

S’il est possible pour le locataire, dès sa délivrance, de constater que le congé délivré n’est pas valide (délais ou forme non respectés), il sera en droit alors d’opposer cette nullité à son bailleur et de se maintenir dans les lieux.

Si le congé délivré semble a priori valide, mais que le locataire a de fortes suspicions quant à la réalité du motif de congé invoqué par son bailleur, il lui sera possible alors de le contester.

Attention, il faut noter que si l’enjeu du litige est inférieur à 5 000 euros, le locataire devra préalablement à toute saisine du Juge saisir la Commission départementale de conciliation.

Cette démarche est gratuite.

A défaut d’accord, le Juge de la Protection des Contentieux du Tribunal judiciaire compétent sera saisi par voie d’assignation. La représentation par un Conseil n’est pas obligatoire.

S’il est parti des lieux mais qu’il s’avère a posteriori que le motif invoqué par le bailleur était en réalité fallacieux,, le locataire pourra alors prétendre à obtenir une juste indemnisation du préjudice subi (coût du déménagement, différence de loyer si le nouveau plus cher, réparation du préjudice subi du fait de l’éloignement contraint des écoles des enfants ou du lieu de travail, …) en démontrant que le congé ne lui a été délivré par le bailleur qu’à des fins spéculatives, dans le but pour celui-ci de pouvoir proposer ensuite son bien à la location touristique à des prix élevés pendant la période des Jeux Olympiques.

Enfin, le fait pour un bailleur de délivrer un congé justifié frauduleusement par sa décision de reprendre le logement est également puni d’une amende pénale dont le montant peut aller jusqu’à 6 000 euros pour une personne physique et à 30 000 euros pour une personne morale, le montant de l’amende étant décidé par le juge et proportionné à la gravité des faits constatés.

Le locataire est donc recevable dans sa constitution de partie civile parallèlement à sa demande de réparation de son préjudice.

A noter que l’Adil, l’Association Départementale d’Information sur le Logement, a mis en place un numéro de téléphone à destination des locataires concernés par cette situation [1], permettant de prendre rdv avec des juristes et d’être ainsi conseillé [2].

Virginie Audinot, Avocat Barreau de Paris Audinot Avocat www.audinot-avocat.com

[1Tél. : 01 42 79 50 40.

[2Prise des appels entre 9h45 et 12h45.