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La visioplainte fait son entrée dans le Code de procédure pénale. Par Patrick Lingibé, Avocat.
Parution : lundi 26 février 2024
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Cet article commente le décret n° 2024-139 du 23 février 2024 relatif au dépôt de plainte par voie de télécommunication audiovisuelle, publié au Journal Officiel du dimanche 25 février 2024.

Il convient de rappeler préalablement que le législateur a souhaité mettre en place un dispositif dématérialisé pour permettre aux victimes de pouvoir déposer plainte sans pour autant se déplacer dans les services de police et de gendarmerie. Il a inséré un nouvel article 15-3-1 dans le Code de procédure pénale, issu de l’article 12 de la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur, qui dispose :

« Toute victime d’une infraction pénale peut déposer plainte et voir recueillir sa déposition par les services ou unités de police judiciaire par un moyen de télécommunication audiovisuelle garantissant la confidentialité de la transmission.
La victime est avisée de ses droits énumérés à l’article 10-2.
Le procès-verbal de réception de plainte et le récépissé sont établis et adressés selon les modalités prévues à l’article 15-3-1.
La plainte par un moyen de télécommunication audiovisuelle ne peut être imposée à la victime.
Si la nature ou la gravité des faits le justifie, le dépôt d’une plainte par la victime selon les modalités prévues au présent article ne dispense pas les enquêteurs de procéder à une nouvelle audition sans recourir à un moyen de télécommunication.
Un décret en Conseil d’Etat définit les modalités d’application du présent article. Il précise notamment les infractions auxquelles la procédure prévue au présent article est applicable et les modalités d’accompagnement de la victime qui y a recours.
Un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, précise les modalités de traitement des données à caractère personnel issues de la procédure de dépôt de plainte prévue au présent article
 ».

Nous ne pouvons que nous inscrire dans cette démarche qui vise à mettre à la disposition des justiciables les outils issus des nouvelles technologies pour faire valoir leurs droits. Cependant, cette dématérialisation de la Justice ne doit pas faire oublier que des parties de notre vaste territoire français, comprenant 23 fuseaux horaires et où le soleil ne se couche jamais, restent sans accès au numérique, avec un accès très problématique aux services publics.

Le décret n° 2024-139 du 23 février 2024 relatif au dépôt de plainte par voie de télécommunication audiovisuelle, publié au Journal Officiel du dimanche 25 février 2024, est donc venu définir les modalités d’application de l’article 15-3-1-1 du Code de procédure pénale et déterminer notamment les infractions auxquelles la procédure de visioplainte est applicable ainsi que les modalités d’accompagnement de la victime qui a recours à ce procédé.

Nous nous proposons de passer en revue les cinq éléments apportés par ce texte au profit des auteurs de dépôt de plainte.

1° Le droit de déposer une plainte par télécommunication audiovisuelle consacré.

Aux termes du nouvel article R2-25 I du Code de procédure pénale, en application de l’article 15-3-1-1, toute victime d’une infraction pénale peut déposer plainte ou voir recueillir ses déclarations par un officier ou agent de police judiciaire par un moyen de télécommunication audiovisuelle.

Le II de cet article précise que la plainte recueillie par un moyen de télécommunication audiovisuelle ne peut être imposée à la victime, celle-ci disposant, à tout moment et en toute circonstance, du droit de déposer plainte dans un service de police ou une unité de gendarmerie de son choix, conformément aux dispositions de l’article 15-3 du Code de procédure pénale.

Cependant, en fonction de la nature ou de la gravité des faits dénoncés dans la visioplainte, une nouvelle audition ultérieure de la victime pourra le cas échéant s’avérer nécessaire sans recourir à un moyen de télécommunication audiovisuelle.

2° Les infractions pénales pour lesquelles le recours à la visioplainte est exclu.

Les visioplaintes sont formellement et expressément exclues pour les faits portant sur des infractions d’agressions sexuelles ou d’atteintes sexuelles prévues par les articles 222-22 à 222-31-2 et 227-25 à 227-27-3 du Code pénal. Une telle exclusion se comprend parfaitement au regard de la nature et de la gravité de tels faits.

Pour ces deux catégories d’infraction, les officiers ou agents de police judiciaire doivent obligatoirement procéder à une audition en présence de la victime.

3° L’identification de la victime selon des procédés techniques restant à définir.

Aux termes du nouvel article R2-26 du Code de procédure pénale, la victime déposant plainte par un moyen de télécommunication audiovisuelle doit s’identifier de façon sécurisée par un téléservice défini et selon des modalités précisées par arrêté du ministre de l’Intérieur et du garde des Sceaux, ministre de la Justice.

Il conviendra donc d’attendre la parution de l’arrêté interministériel fixant les modalités du procédé de télécommunication qui sera utilisé pour la visioplainte.

4° Les informations devant être portées obligatoirement à la connaissance de la victime.

Aux termes de l’article R2-27 du Code de procédure pénale, la victime doit être informée par l’officier ou l’agent de police judiciaire en charge du recueil de ses déclarations des cinq éléments informatifs suivants :

1- Du caractère facultatif du dépôt de plainte par voie de télécommunication audiovisuelle et de la faculté qu’elle conserve de se déplacer dans un service de police ou une unité de gendarmerie de son choix pour déposer plainte.

2- De la faculté, pour les enquêteurs, de procéder à une audition ultérieure en présence de la victime, si la nature ou la gravité des faits le justifie.

3- De ses droits prévus par l’article 10-2 du Code de procédure pénale, notamment celui d’être accompagnées chacune, à leur demande, à tous les stades de la procédure, par leur représentant légal et par la personne majeure de leur choix, y compris par un avocat, sauf décision contraire motivée prise par l’autorité judiciaire compétente (sauf pour l’avocat).

4- Des modalités de communication sur les suites données à sa plainte et des modalités de recours contre une éventuelle décision de classement sans suite telles que prévues par l’article 40-3 du Code de procédure pénale.

5- De la possibilité pour la victime de faire l’objet d’une prise en charge psychologique et médicale si la nature de l’infraction le justifie notamment pour les infractions de nature sexuelle.

Un document énonçant ces différents droits doit être mis à cet effet à la disposition de la victime sous un format électronique et imprimable.

5° L’obligation de garantir une transmission fidèle, loyale et confidentielle des échanges.

Aux termes du nouvel article R2-28 du Code de procédure pénale, le moyen de télécommunication audiovisuelle utilisé doit assurer une transmission fidèle, loyale et confidentielle des échanges entre la victime et l’officier ou l’agent de police judiciaire recueillant la plainte.

Ce moyen de télécommunication doit assurer une qualité de transmission des images permettant de s’assurer de l’identité de la victime, tout incident technique ayant perturbé la transmission devant être mentionné dans le procès-verbal de la visioplainte.

6° Les suites de la visioplainte et l’échange dématérialisé.

Le nouvel article R2-29 du Code de procédure pénale prévoit qu’à l’issue du recueil de la plainte, et préalablement à sa signature par l’officier ou l’agent de police judiciaire, le procès-verbal de plainte doit être adressé à la victime par voie électronique.

A réception des documents transmis sous format numérique, la victime doit confirmer, par tout moyen et par un accord exprès, que ces derniers transcrivent fidèlement ses déclarations et les faits relatés. Elle peut solliciter auprès de l’officier ou de l’agent de police judiciaire toute modification qu’elle juge nécessaire. L’accord de la victime doit être mentionné au procès-verbal.

Le récépissé et le procès-verbal doivent signés, selon les modalités prévues par l’article 801-1, par l’officier ou agent de police judiciaire ayant reçu la plainte, la signature du plaignant n’étant pas requise.

Le récépissé et, si elle en fait la demande, la copie du procès-verbal de plainte doivent être transmis à la victime dans les meilleurs délais. Il serait selon nous de bonne administration de transmettre systématiquement au plaignant, en plus du récépissé de dépôt de sa plainte également le procès-verbal de son audition.

Les dispositions du décret entrent en vigueur à compter du lundi 26 février 2024.

Cependant, il faudra attendre la parution de l’arrêté conjoint du garde des sceaux et du ministre de l’Intérieur pour que ce dispositif de visioplainte soit techniquement opérationnel au niveau des unités de police et de gendarmerie.

Patrick Lingibé Membre du Conseil National des barreaux Ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France Avocat associé Cabinet Jurisguyane Spécialiste en droit public Diplômé en droit routier Médiateur Professionnel Membre de l’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM) www.jurisguyane.com