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Licenciement pour faute et prescription : attention aux pièges ! Par Xavier Berjot, Avocat.
Parution : lundi 26 février 2024
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Le 14 février 2024 (n° 22-19.351 et n° 22-22.440), la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu deux arrêts intéressants en matière de prescription des faits fautifs invoqués au soutien d’une procédure de licenciement.

1/ Rappels sur les délais de prescription des faits fautifs.

Aucun fait fautif ne peut donner lieu, à lui seul, à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu, dans le même délai, à l’exercice de poursuites pénales [1].

Le délai de deux mois s’apprécie au jour où l’employeur dispose d’une connaissance exacte de la réalité, la nature et l’ampleur des faits fautifs reprochés au salarié [2].

Ainsi, lorsqu’un rapport d’enquête est nécessaire pour statuer sur le caractère fautif des faits litigieux, le délai de prescription ne commence à courir qu’à compter du dépôt du rapport [3].

Par exception, les règles de prescription ne font pas obstacle à la prise en considération d’un fait antérieur à deux mois, si le comportement du salarié s’est poursuivi dans ce délai [4].

Tel est le cas, par exemple, lorsque le salarié a continué ses activités concurrentielles malgré les injonctions de l’employeur, et a expressément refusé d’y mettre fin [5].

Les agissements antérieurs prescrits ne peuvent cependant être pris en considération, à l’appui d’un fait fautif survenu dans le délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, que s’ils procèdent d’un comportement identique [6].

Ainsi, une Cour d’appel ne peut pas prendre en considération, pour décider que le salarié a commis une faute grave, des agissements fautifs antérieurs prescrits qui ne sont pas de même nature que ceux commis dans le délai de prescription [7].

Par ailleurs, le Code du travail prévoit qu’aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction [8].

Ce texte ne concerne que le cas où une nouvelle faute est commise après une première sanction, et non après une première faute [9].

Enfin, la sanction (dont le licenciement disciplinaire) ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d’un mois après le jour fixé pour l’entretien [10].

2/ Incidence de faits fautifs découverts en cours de procédure.

Dans l’arrêt n° 22-19.351 du 14 février 2024, la Cour de cassation précise les règles de prescription à observer par l’employeur lorsque celui-ci découvre de nouveaux faits fautifs après la convocation à l’entretien préalable à un éventuel licenciement disciplinaire.

Dans une telle hypothèse, l’employeur peut souhaiter tenir compte de ces nouveaux faits à l’appui de la mesure envisagée à l’égard du salarié.

Pour la Cour, lorsqu’en raison de la révélation de faits fautifs nouveaux postérieurement à cet entretien préalable, l’employeur adresse au salarié, dans le délai d’un mois à compter du premier entretien, une convocation à un nouvel entretien préalable, c’est à compter de la date de ce dernier que court le délai d’un mois qui lui est imparti pour notifier la sanction.

La Cour de cassation fonde sa décision sur l’article L1332-2 du Code du travail selon lequel le licenciement disciplinaire doit intervenir dans le délai d’un mois à compter de la date de l’entretien préalable.

Elle ajoute que « l’expiration de ce délai interdit à l’employeur de convoquer le salarié à un nouvel entretien préalable pour les mêmes faits ».

Concrètement, l’employeur se trouve privé de la faculté d’invoquer, dans la lettre de licenciement, les faits fautifs initiaux ayant motivé l’engagement de la procédure.

3/ Portée de la prise en compte de faits prescrits.

Dans l’arrêt n° 22-22.440 du 14 février 2024, la Cour de cassation était appelée à se prononcer sur la portée de l’article L1332-5 du Code du travail selon lequel

« aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction ».

Dans cette affaire, une lettre de licenciement, notifiée le 23 février 2017, contenait le grief suivant :

« ce n’est pas la première fois que nous devons faire face à un comportement inapproprié de votre part. En effet, en janvier 2014, nous vous avions notifié une mise à pied de deux journées suite à une insubordination et un abandon de poste ».

Pour la cour d’appel [11], le salarié avait manqué à ses obligations découlant de son contrat de travail et ce manquement s’ajoutait à des faits d’insubordination et d’abandon de poste précédemment sanctionnés par une mise à pied disciplinaire.

La Cour de cassation censure la cour d’appel, lui reprochant d’avoir retenu une sanction antérieure de plus de trois ans à l’engagement des poursuites disciplinaires pour justifier le licenciement.

En application de l’article 624 du Code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l’arrêt disant que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse entraîne la cassation du chef de dispositif rejetant les demandes au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse qui s’y rattachent par un lien d’indivisibilité.

L’affaire devra donc être rejugée (en l’occurrence, par la même cour d’appel autrement composée).

Xavier Berjot Avocat Associé au barreau de Paris Sancy Avocats [->xberjot@sancy-avocats.com] [->https://bit.ly/sancy-avocats] Twitter : https://twitter.com/XBerjot Facebook : https://www.facebook.com/SancyAvocats LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

[1C. trav. art. L1332-4.

[2Cass. soc. 7-7-2010, n° 09-40.047.

[3Cass. soc. 22-3-2011, n° 09-70.877.

[4Cass. soc. 20-10-2009, n° 08-41.036.

[5Cass. soc. 27-6-2001, n° 99-43.126.

[6Cass. soc. 13-2-2001, n° 98-46.482.

[7Cass. soc. 26-5-2010, n° 08-44.366.

[8C. trav. art. L1332-5.

[9CE 4-5-1988, n° 74589.

[10C. trav. art. L1332-2.

[11Aix-en-Provence, 25-11-2021, n° 18/19556.