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Le droit à la médiation dans la Constitution, l’idée est lancée. Par Jean-Louis Lascoux.
Parution : jeudi 22 février 2024
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Tandis que de terribles affrontements ont lieu sur la planète impliquant des décisionnaires politiques de premier rang, à l’heure des innovations technologiques qui permettent une communication entre tous les humains, des voyages dans l’espace, des échanges immédiats, la mise en place d’action de solidarité, la liberté est toujours morcelée, malmenée et soumise à de multiples arbitraires. Ne peut-on rien y faire ? Et si nous repensions le modèle qui s’est imposé dans la vie sociale et politique pour envisager un autre modèle de gouvernance ?
Est-il possible d’introduire un droit nouveau dans la constitution ? J’ai fait cette proposition à l’occasion du prix Guy Carcassonne, décerné chaque année pour un article original de droit constitutionnel traitant d’un sujet d’actualité [1].

L’héritage de la pensée du 17° siècle continue de marquer le paysage intellectuel actuel. Malgré les progrès de la pensée dans les sciences et les technologies, et la mondialisation de la civilisation, la pensée juridique demeure figée, et sa prolixité ne fait qu’en appauvrir l’intérêt général. Cette immobilité cristallise l’esprit de la loi qui définit le référentiel de la vie en société.

I. L’appel à une évolution constitutionnelle.

Après plus de 230 ans, il est temps de revoir des bases obsolètes de la Déclaration des Droits de l’Homme, retenues dans la constitution française. Le système judiciaire, « gardien de la liberté individuelle », présente un paradoxe. Celui-ci découle des difficultés des Lumières à se libérer de l’obscurantisme et à encourager l’usage de la raison ainsi que l’importance de l’instruction.

La réalité montre qu’en matière de justice, la liberté est sous tutelle. La conséquence est, au 21° siècle, la primauté d’un instrument politique de limitation de la liberté. Cet article examine l’importance attribuée au système judiciaire quant à la gestion des adversités. Il met en évidence les avantages de la médiation, promotrice de l’altérité et de la résolution des différends par l’entente interpersonnelle et sociale.

A contrario, plutôt que de sécuriser la liberté des parties, le système judiciaire opère, avec des décisions incertaines, comme un mécanisme de contrôle. En revanche, la médiation assure une décision prise par les parties, en alignement avec les fondamentaux constitutionnels. C’est ainsi que la prééminence de la médiation trouve sa justification. Sous réserve d’une indépendance, et assurée par des professionnels, la flexibilité de cette médiation s’inscrit dans l’efficacité et la pérennité autant que dans l’altérité.

II. Priorité constitutionnelle à la médiation.

L’idée de donner une priorité constitutionnelle à la médiation représente une transformation du paradigme juridique. Cette approche est liée à une dimension pédagogique : accompagner plutôt que sanctionner. Elle marque un tournant dans la manière dont la société aborde les heurts relationnels et cherche à préserver l’exercice de la liberté. Il faut intégrer que la liberté, plutôt qu’un acquis de naissance, est une pratique de vie qui nécessite une démarche éducative confirmée par l’expérience.

Dans le contexte d’un différend, l’enjeu réside dans la capacité à se détacher de l’émotion qui l’anime ; c’est là que commence l’exercice de la liberté et de la décision. L’entêtement devient un obstacle significatif. La médiation s’inscrit alors comme une démarche visant à permettre aux parties de s’approprier des pratiques pour sortir de leur impasse. La corrélation entre la prise de décision et la liberté souligne l’importance d’un enseignement continu. Et la posture et les compétences d’un médiateur professionnel nécessitent de ne pas être placé sous une autorité, même celle du système judiciaire. Son indépendance s’appuie sur son engagement éthique et déontologique.

Cette approche va au-delà de la perspective juridique et du paradigme du contrat social. Elle place la relation au cœur du paradigme originel de l’établissement de toute relation, celui de l’entente.

III. La constitutionnalisation d’un Droit à la médiation.

L’instauration d’une priorité constitutionnelle à la médiation renforce la protection des droits individuels. Elle crée un environnement propice aux ententes, et favorable à surpasser les obstacles émotionnels et financiers, à éliminer la primauté paradoxale et les effets de lourdeurs du recours au judiciaire. Avec une assistance professionnelle, elle permet de surmonter les difficultés décisionnelles.

La constitutionnalisation d’un droit à la médiation prioritaire ne vise donc pas à diminuer l’importance du système judiciaire, mais à rééquilibrer la balance en faveur d’une justice plus respectueuse de la liberté individuelle.

L’introduction d’un droit prioritaire à la médiation dans la constitution représente une avancée dans l’ajustement du système juridique aux réalités actuelles. Cette mesure garantit la perception du système judiciaire en tant que dernier recours, efficace lorsque des individus ne parviennent pas à dénouer leur différend. En adoptant cette approche, elle maintient la cohérence avec les principes constitutionnels. Elle contribue à construire une société où la liberté de décision reste au cœur des valeurs juridiques et sociales. Par conséquent, l’intégration constitutionnelle d’un droit prioritaire à la médiation peut remodeler le paysage juridique, favorisant une justice en tant qu’alternative adaptée à l’évolution culturelle moderne.

IV. Quel est l’objectif poursuivi de cette participation ?

Un éminent membre du jury du prix Guy Carcassonne a indiqué que la préférence est allé pour un article lié à l’actualité des Jeux Olympiques 2024, autour de la question du dopage, immédiatement plus marketing. Dans un grand éclat de rire public, il m’a déclaré qu’il était apparu impossible au jury de décerner le prix pour un sujet qui prône la mise en second plan du droit juridique au bénéfice de la médiation. Alors ? L’idée est avancée, elle ne peut que prospérer. L’histoire a montré que les idées les plus novatrices provoquent des levées de bouclier. C’est ainsi que ma proposition de profession de médiateur avait été violemment critiquée, que l’idée de médiation obligatoire avait été rejetée, que la notion de qualité relationnelle indissociable de la technicité des médiateurs professionnels avait été considérée comme absurde. C’est ainsi que commence l’introduction d’un changement culturel. L’objectif est atteint : désormais, le droit à la médiation est devenu un sujet au conseil constitutionnel.

Jean-Louis Lascoux, auteur du Dictionnaire de la Médiation (ESF); Pratique de la Médiation Professionnelle (ESF); Médiation en milieux hostiles (ESF). Président du centre de recherche en entente interpersonnelle et sociale et ingénierie relationnelle - www.creisir.fr

[1Cérémonie présidée par M. Marc Guillaume, préfet de Paris et d’Ile-de-France, le 20 février 2024.

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