Village de la Justice www.village-justice.com

Bilan de la stratégie nationale bas-carbone par rapport aux objectifs ambitieux portant sur la réduction des émissions de GES. Par Saeed Khanivalizadeh, Elève-Avocat.
Parution : jeudi 22 février 2024
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/bilan-strategie-nationale-bas-carbone-snbc,48885.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Comme l’a souligné le ministère de la Transition écologique et solidaire, la stratégie nationale bas-carbone constitue l’un des axes de la stratégie française pour l’énergie et le climat. Alors que le bilan du premier budget-carbone 2015-2018 a révélé un dépassement, le second budget carbone pour la période 2019-2023 s’efforce d’atteindre un probable respect du budget révisé. Toutefois, étant donné la jurisprudence administrative, il s’avère que le juge administratif exige les mesures supplémentaires.

I. Genèse de la Stratégie nationale bas-carbone.

Comme l’avait souligné le ministère de la Transition écologique et solidaire, la stratégie nationale bas-carbone (ci-après « SNBC ») constitue l’un des axes de la stratégie française pour l’énergie et le climat. La stratégie nationale bas-carbone a été prévue par l’article 173 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Elle constitue la feuille de route de la France pour atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (ci-après « GES ») de 40% entre 1990 et 2030 et la neutralité carbone à l’horizon 2050 [1].

Ladite stratégie définit les orientations et les mesures concrètes à suivre dans les politiques publiques, sectorielles et territoriales et fixe à court et à moyen terme des budgets-carbone afin de définir la trajectoire de baisse des émissions à suivre [2].

La première SNBC a tenté, d’une part, d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 et, d’autre part, de réduire l’empreinte carbone de la consommation, dans tous les secteurs d’activités (construction, transports, agriculture, industrie, énergie, déchets). En application de l’art. L222-1 C du Code de l’environnement, et par le biais du décret n° 2015-1491 du 18 novembre 2015, le budget carbone de la période 2015-2018 ainsi que la SNBC ont été adoptés.

A la suite d’une consultation du public menée par le ministère de la Transition écologique et solidaire, lancée le 20 janvier 2020, la nouvelle version de la SNBC (SNBC-2) et les budgets carbone pour les périodes 2019-2023 et 2024-2028, ainsi qu’un quatrième pour la période 2029-2033 ont été adoptés par le décret n° 2020-457 du 21 avril 2020.

Eu égard à l’article L222-1 B, I du Code de l’environnement, nous constatons que la SNBC offre une vision globale visant à réduire les émissions de GES, tout en intégrant des aspects économiques et décisionnels.

II. Projets publics soumis aux critères de contribution à la réduction des émissions de GES.

L’article L222-1 B, III du Code de l’environnement précise qu’il est primordial de considérer la SNBC non seulement dans les documents de planification et de programmation, mais également dans le niveau de soutien financier aux projets publics entraînant des conséquences significatives sur les émissions de GES.

C’est dans ce contexte que le décret n° 2017-725 du 3 mai 2017 vient déterminer les principes et modalités de calcul des émissions de GES des projets publics, lequel a créé les articles D222-1-D à D222-1-I du Code de l’environnement.

Ainsi, l’article D222-1-E dudit code dispose que les principes et modalités de calcul des émissions de GES sont susceptibles de s’appliquer à deux types de projet :

En revanche, pour les projets qui ne relèvent pas desdits critères, il incombe au maître d’ouvrage de soumettre des méthodes de calcul simplifiées, offrant ainsi au financeur la possibilité d’évaluer la contribution du projet à la diminution des émissions de GES.

S’agissant du champ d’application de ce décret et aux termes des dispositions de l’article D222-1-D-1° du Code de l’environnement, on entend par le « projet public » les travaux ouvrages ou aménagements résultant d’un investissement réalisé sous maîtrise d’ouvrage publique (Etat, collectivité territoriale, établissement public, entreprise publique) ou par une entreprise privée dans le cadre d’un marché de partenariat, d’un contrat de concession de service public ou d’un contrat de concession de travaux publics. Cette disposition est bienvenue en ce qu’elle clarifie le périmètre des projets soumis aux règles mises en place.

A l’égard de la sanction prévue à l’encontre des personnes morales soumises en cas de manquements à l’établissement ou à la transmission du bilan des émissions de GES, il convient de rappeler que conformément à l’article L229-25 du Code de l’environnement, l’autorité administrative par une amende ne dépassant pas la somme de 50 000 euros, et 100 000 euros en cas de récidive. Cela indique une augmentation cinq fois supérieure par rapport à celle auparavant prévue avant le 23 octobre 2023.

A cet égard, l’article R229-50-1 dudit code dispose qu’une fois que ledit manquement a été constaté, le préfet, après l’expiration du délai imparti, est en mesure d’ordonner le paiement de l’amende.

III. Bilan des objectifs de la SNBC à la lumière de la jurisprudence.

Le bilan du premier budget-carbone 2015-2018 révèle un dépassement estimé à 3,7% du budget initial. Ainsi, nous constatons que les émissions de GES ont diminué seulement de 1% par an en moyenne, par rapport à la prévision de 2,2%. De surcroît, les émissions sectorielles ont dépassé les budgets pour le transport, les bâtiments, l’agriculture, et l’industrie, tandis qu’elles ont été respectées pour la production d’énergie et les déchets.

S’agissant du deuxième budget carbone de la Stratégie nationale bas-carbone révisée (SNBC-2) fixé à une moyenne de 422 MtCO2e/an pour la période 2019-2023, nous constatons que les émissions moyennes entre 2019 et 2022 sont estimées à 410 MtCO2e, se situant en dessous de ce seuil et constituant ainsi un probable respect du budget révisé.

Au regard du bilan publié, nous constatons qu’en écartant les années 2020-2021 impactées par la crise sanitaire, une baisse moyenne de 2,1% par an (soit -9,1 MtCO2e/an) est observée. Il convient de noter que la SNBC-2 prévoit une trajectoire de réduction moyenne de -2,7% par an pour la période 2019-2023, de -3,3% par an pour la période 2024-2028, et de -4,0% par an pour la période 2029-2033 [3].

Néanmoins, nous constatons que les juges du Palais-Royal ont demandé à maintes reprises au gouvernement de prendre des mesures nécessaires et concrètes. Ainsi, par un arrêt du 19 novembre 2020, le juge administratif a reproché le non-respect des engagements de la France à l’égard de la trajectoire de réduction des émissions de GES étant donné que les objectifs n’ont pas été atteints (CE, 19 novembre 2020, n° 427301).

A la suite de cet arrêt, par un arrêt du 1ᵉʳ juillet 2021 le Conseil d’Etat a enjoint au Premier ministre de prendre toutes mesures utiles, avant le 31 mars 2022, permettant d’infléchir la courbe des émissions de GES produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs prévus (CE, 1ᵉʳ juillet 2021, n°427301).

Toutefois, la Haute juridiction précise, à l’occasion d’une décision rendue le 10 mai 2023, que la décision du 1ᵉʳ juillet 2021 ne peut être considérée comme complètement exécutée. Le Conseil d’Etat indique de surcroît qu’en dépit des mesures significatives adoptées, l’exécution complète de ladite décision demeure incertaine.

Ainsi, alors même que le gouvernement a exprimé sa volonté d’atteindre les objectifs fixés pour 2030, le juge considère que des doutes subsistent quant à la crédibilité des résultats avancés, notamment en comparaison avec l’analyse sectorielle de la stratégie nationale bas-carbone menée par le Haut conseil pour le climat.

Par voie de conséquence, le Conseil d’Etat a enjoint au gouvernement de prendre toutes mesures supplémentaires utiles, avant le 30 juin 2024, pour aligner le rythme de diminution des émissions de GES avec la trajectoire de réduction de ces émissions (CE, 10 mai 2023, n°467982).

En outre, le Tribunal administratif de Paris a rendu plusieurs jugements à cet égard.

Par un jugement du 14 octobre 2021, le tribunal a enjoint au premier ministre et aux ministres compétents de prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages à hauteur de la part non compensée d’émissions de GES au titre du premier budget carbone, soit 15 Mt CO2eq, avant le 31 décembre 2022 (TA Paris, 14 octobre 2021, n°s 1904967, 1904968, 1904972, 1904976/4-1).

Par un autre jugement rendu le 22 décembre 2023, le juge indique que compte tenu de l’autorité de chose jugée s’attachant au jugement du 14 octobre 2021, le juge de l’exécution ne saurait, au regard de données nouvelles, modifier le quantum du préjudice restant à réparer de 15 Mt CO2eq.

Néanmoins, la réparation n’est pas considérée comme complète au 31 décembre 2022, avec un préjudice restant de 3 à 5 Mt CO2eq. En tout état de cause, en tenant compte du rythme de réduction des émissions de GES et de la part indicative fixée pour 2023, il n’est pas constaté que cette tendance soit susceptible de remettre en cause la réparation du préjudice. C’est ainsi qu’aucune mesure d’exécution supplémentaire n’est jugée nécessaire (TA Paris, 22 décembre 2023, n° 2321828).

Saeed Khanivalizadeh Elève-avocat

[1Art. L100-4 du Code de l’énergie.

[2Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, « stratégie nationale bas-carbone » https://www.bulletin-officiel.developpement-durable.gouv.fr/documents/Bulletinofficiel-0031300/TRER2010109P.pdf