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L’évolution des métiers de la traduction à l’épreuve du numérique : la post-édition.
Parution : jeudi 8 février 2024
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L’émergence d’un nouveau métier : "Post-éditeur" ! ... Et quelques conseils d’utilisation de l’IA dans les métiers de la traduction.

Un peu d’histoire

L’avènement de l’Intelligence Artificielle (IA) a révolutionné notre perception des capacités des machines. Définie par le Parlement européen comme « la possibilité pour une machine de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité », l’IA est devenue omniprésente dans notre quotidien. Dans ce contexte, la Machine Translation (MT) (traduction automatique), terme utilisé pour la première fois par Warren Weaver (1894 - 1978), représente l’une des manifestations les plus remarquables de l’IA dans le domaine de la traduction. Les origines de la MT remontent aux années 1930 avec les travaux du professeur russe Petr Petrovich Troyanskii (1894 - 1950), mais c’est véritablement lors de la période de Guerre froide (1945-1989) que la première traduction automatique a été réalisée avec l’expérience Georgetown-IBM dont l’objectif était de traduire les messages interceptés.

Depuis lors, la traduction automatique a connu une évolution, notamment avec l’avènement du Deep Learning (apprentissage profond), illustré par des systèmes tels que ChatGPT, apparu en 2020. Trois principaux types de MT se distinguent : la Rule Based Machine Translation (RBMT), la Statistical Machine Translation (SMT) et la Neural Machine Translation (NMT). Auparavant utilisée dans les secteurs de l’automobile, les voyages et les loisirs, la MT est dorénavant utilisée dans des domaines tout aussi divers tels que l’aérospace, la biologie, le commerce, les services financiers voire également les services institutionnels.

Toutefois, malgré les avancées technologiques, la post-édition demeure un aspect crucial de la traduction automatique et le traducteur juridique n’est pas épargné ! Ce processus consiste en la révision d’un document pré-traduit par la traduction automatique, effectuée par un traducteur humain. Les termes « post-édition », « post-éditeur » et « post-éditer » sont des dérivés de l’anglais post-editing, post-editor et to post-edit, le verbe to edit signifiant « réviser » dans un contexte traductionnel. Par conséquent, se pose alors la question : L’Intelligence Artificielle (IA) serait-elle un danger pour le métier de traducteur juridique ?

L’émergence d’un nouveau métier : Post-éditeur

Avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle et l’utilisation plus répandue des CAT tools, le métier de post-éditeur exige un ensemble de qualités spécifiques pour garantir la qualité de la traduction automatique révisée. Il est essentiel de porter une attention minutieuse aux détails et de démontrer une grande précision lors de la correction des erreurs, qu’elles concernent la grammaire, la syntaxe ou le vocabulaire.

Cependant, le métier de post-éditeur ne doit pas être confondu avec le métier de relecteur. Contrairement à la relecture qui s’attache aux aspects formels tels que l’orthographe, la typographie et la grammaire, la post-édition se concentre essentiellement sur le sens et la fluidité du texte traduit par la machine. Il se peut que dans un même cabinet juridique ces deux postes travaillent en tandem.

Tout d’abord, il convient de souligner que la post-édition (PE) se divise en deux types : Light Post-Editing (la post-édition légère) et Full Post-Editing (la post-édition complète). La post-édition légère est généralement utilisée pour des textes de moindre visibilité, et se concentre principalement sur la correction du sens sans particulièrement s’attarder au style. Elle est souvent intégrée dans un flux de travail utilisant des outils de traduction assistée par ordinateur (TAO ou CAT Tools en anglais), des systèmes de gestion de traduction et des glossaires. En revanche, la post-édition complète est destinée à des textes de haute visibilité et nécessite des exigences de qualité beaucoup plus élevées. Elle implique également l’utilisation d’outils similaires, mais le focus est davantage porté sur la qualité du texte final, prêt à être publié. Les besoins de l’objectif final du texte doivent être connus en amont afin de déterminer le type de post édition nécessaire.

Le type de contenu, le public cible et le style de format ont un impact sur l’adéquation à la PE (tableaux, présentations PowerPoint, listes). Les types de contenu les plus susceptibles d’être adaptés à la PE sont des documents descriptifs, techniques et riches en terminologie. En revanche, la PE est moins adaptée aux contenus strictement marketing et créatifs, aux textes juridiques avec une syntaxe complexe, aux logiciels d’interface utilisateur, aux scripts et aux discours.

Il est donc primordial de reconnaître l’importance de la Machine Translation en tant qu’outil. Chaque traducteur a besoin de connaître et de reconnaître l’effervescence de la Machine Translation et de savoir l’utiliser de manière bénéfique.

C’est un nouveau terrain et nous sommes tous concernés. Il faut tirer les bénéfices de la Machine Translation pour monter en envergure le métier de traducteur.

Alors, comment l’utiliser et quel est le juste équilibre ?

Quelques conseils d’utilisation de l’IA dans les métiers de la traduction

L’intelligence artificielle, à travers les logiciels de traduction, génère une explosion du contenu. La machine traduit des volumes importants, très rapidement et avec une qualité certaine. De plus, les cabinets de traduction utilisent les CAT tools et des logiciels d’assistance pour assurer un volume de traduction plus intéressant, plus élevé et pour un coût plus attractif.

Les logiciels d’assistance permettent aux traducteurs de travailler avec précision tout en assurant un travail rapide. Rapidité, volume, coût attirant. Ces trois bénéfices sont très attirants et les logiciels sont abordables et rapidement amortis.

De même, la MT est globalement acceptée aujourd’hui comme mode de travail par le traducteur. La traduction brute qui sort de la machine est ensuite traitée et revue par le traducteur afin de rendre un travail final fluide et homogène, notamment pour affiner les nuances linguistiques et le style, et l’adéquation culturelle.

Par ailleurs, tout dépend de la finalité de la traduction et des attentes. Ces éléments doivent être précisés par le Client en amont. Si la rapidité est primordiale alors la traduction par la machine peut suffire, mais si l’objectif est principalement lié à la qualité plutôt qu’à la quantité, la MTPE pourrait avoir son rôle à jouer.

Cependant, il convient d’ajouter que l’intelligence artificielle, à travers la MT, doit servir de support pour le traducteur et doit être utilisée à bon escient. Le traducteur lors de la post édition doit revoir la traduction avec un œil objectif afin de repérer les nuances et rendre la traduction plus fluide en ajoutant sa touche stylistique. La machine est une aide, mais ne remplace pas l’humain !

Alors, en poussant plus loin nos propos, nous mettons beaucoup sur les épaules du post éditeur. Ce rôle est en fin de compte primordial à l’heure actuelle, avec l’invasion des MT.

Le post-éditeur à l’ère numérique, le bras droit du traducteur

Le post-éditeur a non seulement besoin des connaissances approfondies du métier de la traduction, mais doit être hautement spécialisé dans son domaine.

Il contrôle la qualité, la fluidité et les nuances linguistiques. Ce métier nécessite une formation spécifique et suffisamment d’expérience afin d’assurer l’objectivité lors de cette phase de travail. C’est clé pour la réussite.

Par ailleurs, la post-édition nécessite une aisance dans l’utilisation de la MT pour assurer une qualité humaine. Il faut que le post-éditeur adopte une attitude d’amitié avec la machine afin de compléter la traduction.

Enfin, dans cette période d’effervescence digitale et l’explosion de machine translation, nous devrions garder à l’esprit la nécessité de l’amitié humaine lors de chaque phase du travail, afin de travailler en tandem avec la Machine Translation et d’assurer une traduction finale à la hauteur des espérances de chaque client. Cette phase finale de « customization » est certes le rôle du post-éditeur, mais en amont aussi le rôle du traducteur. La Machine Translation peut épauler le traducteur dans son travail mais nous ne pouvons pas imaginer une inversion des tâches. Le traducteur reste maître de son travail et comme le peintre, il doit choisir les bons pinceaux, soit les bons logiciels d’assistance, pour aboutir à une traduction de qualité.

Pour le moment, nous ne voyons que la partie visible de l’iceberg et tout reste à venir…

Par Jane Kochanski, Expert Judiciaire Cour d’appel de Paris et Mathis Guyon, traducteur junior spécialisé en traduction juridique français/anglais/espagnol