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Procès climatiques : l’étau se resserre sur les allégations environnementales trompeuses des entreprises. Par Matthieu Chavanne et Maxime Cléry-Melin, Avocats.
Parution : mardi 6 février 2024
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La lutte contre l’écoblanchiment - ou greenwashing - devrait être renforcée par l’adoption prochaine de la directive européenne 2022/0092 intitulée « donner aux consommateurs les moyens d’agir en faveur de la transition écologique ». Cet article propose de faire une brève synthèse du cadre législatif actuel et des perspectives à envisager en la matière.

Dans le foisonnement actuel des procès relatifs aux enjeux climatiques, la lutte contre l’écoblanchiment - ou greenwashing - devrait être renforcée par l’adoption prochaine de la directive européenne 2022/0092 intitulée « donner aux consommateurs les moyens d’agir en faveur de la transition écologique ». Approuvée le 17 janvier dernier par une écrasante majorité du Parlement européen, cette directive est désormais entre les mains du Conseil, dont l’approbation finale du texte constitue la dernière étape avant publication.

Nous ne pouvons que nous réjouir de l’initiative de l’Union Européenne en la matière. Pour mémoire, les pratiques commerciales trompeuses en matière environnementale constituent un des nombreux freins à la transition écologique et à la transformation des comportements des agents économiques, notamment par l’ampleur des fraudes qui y seraient en jeu. Ainsi, dans une étude réalisée en 2020, la Commission européenne observait que 53,3% des allégations environnementales qu’elle avait analysées étaient vagues, trompeuses ou infondées et … 40% dénuées même de toute justification.

La Directive européenne votée il y a quelques jours propose de définir plus clairement l’allégation environnementale - toute communication qui affirme ou suggère qu’un produit ou un professionnel a une incidence positive ou nulle sur l’environnement, est moins préjudiciable pour l’environnement que d’autres ou a amélioré son incidence environnementale au fil du temps - et d’encadrer plus strictement les conditions de leur publication.

En particulier, les mentions environnementales génériques et autres arguments commerciaux trompeurs seront désormais interdits et les mentions de durabilité ne seront autorisées que sur la base d’une certification approuvée ou établie par les autorités publiques. Une vigilance accrue s’imposera donc aux acteurs économiques.

L’initiative européenne sur ce sujet renforcera des dynamiques internes louables mais moins contraignantes de plusieurs Etats membres. En France notamment, le Conseil national de la consommation, répondant à une demande conjointe des ministères de l’Economie et de l’Ecologie, a mis à jour le 26 mai dernier le « Guide pratique des allégations environnementales à destination des consommateurs et des professionnels », dont la précédente version remontait à 2010.

Si ce guide n’a pas de valeur réglementaire, il a pour vocation d’éclairer aussi bien les entreprises que les agents de la répression des fraudes sur la nature des allégations environnementales et leur encadrement juridique. Schématiquement, cette notion, que le législateur n’a pas défini, recouvre toute déclaration (texte, image, représentation graphique ou symbole) d’une entreprise en matière d’environnement, qu’elle soit rattachée ou non à un de ses services ou produits.

Ces allégations doivent être présentées de manière claire, spécifique, exacte et dénuée d’ambiguïté afin de ne pas induire les consommateurs en erreur. Elles doivent également pouvoir être justifiées en cas de contrôle. A défaut, l’entreprise communicante s’expose à se voir poursuivie pour écoblanchiment sur le fondement du délit de pratiques commerciales trompeuses.

Pour mémoire, est dite trompeuse ou déloyale la pratique commerciale qui repose sur des allégations, indications ou présentations fausses pouvant tromper le consommateur et portant sur des éléments limitativement énumérés à l’article L121-2 et suivants du Code de la consommation. Parmi ces éléments, figurent aux 2° b) et e) de cette liste, depuis la loi Climat et résilience du 22 août 2021, « les propriétés et les résultats attendus de son utilisation du produit, notamment son impact environnemental » ainsi que « la portée des engagements de l’annonceur, notamment en matière environnementale ».

Qu’une faute soit caractérisée dans ces énonciations et l’entreprise et ses dirigeants pourraient se voir condamner à des peines s’élevant jusqu’à 7 ans d’emprisonnement en matière de pratiques commerciales trompeuses aggravées et jusqu’à des amendes pouvant atteindre pas moins de… 10% du chiffre d’affaires moyen annuel ou 80% des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité trompeuse. La cessation de cette publicité et la réparation du préjudice causé peuvent également être obtenues devant le juge civil à l’initiative de consommateurs, d’associations représentant leurs intérêts ou encore d’entreprises concurrentes agissant sur le fondement de la concurrence déloyale.

Des acteurs de la société civile se sont déjà emparés de ces nouveaux outils juridiques pour poursuivre de grands groupes internationaux. Récemment, trois associations de droit français - Les Amis de la Terre, Greenpeace et Notre Affaire à Tous - ont assigné devant le tribunal judiciaire de Paris le groupe pétrolier TotalEnergies sur le fondement de ce délit en critiquant une campagne de publicité sur l’ambition du groupe de « neutralité carbone d’ici 2050 » et sa volonté de jouer un « rôle majeur dans la transition énergétique ». En parallèle de cette action civile, le Parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire en décembre 2021 sur ces faits, sur la demande des mêmes associations.

Déjà, le 19 avril 2022, le Tribunal judiciaire de Paris s’était penché sur la demande de condamnation du fournisseur d’énergie suédois Vattenfall à qui il était reproché par l’association de consommateurs CLCV une pratique commerciale trompeuse, consistant en la promotion d’une offre « neutre en carbone et 10% moins chère ».

Le tribunal avait toutefois débouté la demanderesse en jugeant que l’offre en question était bien présentée ainsi « avec des explications adéquates ».

En complément de ces obligations en matière de communication environnementale, les grandes entreprises sont également soumises à un devoir général de vigilance, fixé notamment par l’article L225-102-4 du Code de commerce, leur enjoignant de mettre en place des outils propres à identifier des risques environnementaux de leur activité. Ce devoir de vigilance a vocation à se généraliser bientôt à toutes les entreprises de plus de 250 salariés et 40 millions d’euros de chiffres d’affaires, selon le projet de directive adopté le 1ᵉʳ juin 2023 par le Parlement européen. Cette nouvelle exigence de compliance a également été saisie par des acteurs de la société civile pour contester ou mettre en cause des activités économiques accusées de porter atteinte à l’environnement.

Si le sort de ces actions engagées sur le fondement du devoir de vigilance reste à ce jour incertain, à en juger par la décision rendue en la matière le 6 juillet dernier par le Tribunal judiciaire de Paris, nul doute que la pression croissante à ce que les entreprises communiquent sur leurs engagements environnementaux (dans le cadre du devoir de vigilance ou par le biais de résolutions actionnariales de type Say on climate, par exemple) augmente significativement les risques d’allégations environnementales trompeuses.

Un chemin de crête de plus en plus étroit se dessine alors entre, d’une part, les risques liés à l’absence de toute communication (écosilence ou greenhushing) et, d’autre part, les risques d’une communication trompeuse.

Matthieu Chavanne et Maxime Cléry-Melin, avocats au Barreau de Paris
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