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La transmission successorale du patrimoine numérique du défunt. Par Andréa Dumetrier, Etudiante.
Parution : lundi 5 février 2024
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Que deviennent les données numériques générées de notre vivant, après la mort ? Peut-on les transmettre à nos ayants droit par testament ?
Des plateformes en ligne comme Google, Facebook, LinkedIn, Instagram ont déjà réfléchi à des solutions à cet égard. Par exemple, Google explore la possibilité de permettre aux utilisateurs de transférer leurs données à un contact de confiance après une période d’inactivité de son choix. Cependant, la plupart des autres plateformes imposent des procédures plus complexes aux proches du défunt, rendant souvent difficile la suppression de comptes inactifs en l’absence d’instructions ou de mots de passe confiés au préalable par le défunt.

La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique est venue apporter une solution à ces problématiques, en reconnaissant le droit à la mort numérique en vertu duquel chacun peut exprimer de son vivant ses préférences concernant la préservation et la communication de ses données après son décès, ou d’en demander leur suppression. Cette loi permet également aux héritiers de se subroger dans les droits du défunt, ce qui n’était pas possible avant.

Depuis le 1er juin 2019, en vertu des articles 84 à 86 du décret du 29 mai 2019 d’application de la loi du 6 janvier 1978 dite Informatique et Libertés, ce droit peut être exercé par n’importe qui, souhaitant protéger son patrimoine numérique.

1. La question de l’identification du « patrimoine numérique » du défunt.

Par définition, un patrimoine est l’ensemble des biens et des obligations d’une même personne, de l’actif et du passif envisagé comme formant une universalité de droit, un tout, comprenant non seulement ses biens présents, mais aussi ses biens à venir.

Cependant, lorsqu’il s’agit du patrimoine dit « numérique » du défunt, il est plus difficile de le définir. En effet, la notion de patrimoine numérique ne connait pas pour l’instant de définition légale ou prétorienne, claire et précise. Cela pourrait s’apparenter à toutes les données personnelles générées lors de notre vivant via les réseaux sociaux, les courriels, les sites de streaming, de ventes en lignes, etc. ainsi que les biens numériques possédés tels que les cryptomonnaies, logiciels, photos, vidéos etc. et qui constituent notre identité numérique (l’identité numérique se concentre davantage sur la manière dont une personne est représentée et identifiée en ligne tandis que le patrimoine numérique englobe l’ensemble de ces biens et données numériques de manière plus large).

Dans sa Charte pour la conservation du patrimoine numérique du 17 octobre 2003 [1], l’UNESCO précise ce terme, en considérant que « Le patrimoine numérique est constitué de matériaux fondés sur l’informatique, d’une valeur durable, qu’il est nécessaire de conserver pour les générations futures ». Cette définition permet de démontrer l’enjeu croissant que représentent les données constituant notre patrimoine numérique, mais également son importance, car elles sont représentatives, porteuses d’une valeur transmissible aux héritiers. Par exemple, les NFT (non-fungible token) générés par le défunt de son vivant sont créateurs de valeur, notamment financière et il est alors important d’anticiper leur transmission et leur partage parmi les héritiers.

2. L’importance d’intégrer la gestion de nos données numériques au testament.

Les articles 84 à 86 du décret du 29 mai 2019 d’application de la loi Informatique et Libertés encadrent les modalités de transmission de notre patrimoine numérique. Deux hypothèses sont alors à envisager.

Premièrement, celle dans laquelle le défunt n’a pas pris de mesures avant son décès. Dans ce cas, les données de celui-ci vont rester disponibles sur Internet et il y a des risques de violation de la vie privée par des individus malveillants ou à des fins frauduleuses (portant atteinte à sa vie privée ou à celle de ses proches), d’usurpation d’identité, de piratage et d’exploitation de ses comptes inactifs à des fins d’exploitation de ses données financières par exemple…

Pour pallier cette problématique, la loi offre la possibilité d’anticiper l’avenir de nos données, en désignant une personne de confiance chargée de gérer l’ensemble de vos données personnelles en ligne après votre décès. Elle exige que cette personne soit certifiée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

Ainsi, le notaire peut jouer un rôle essentiel dans la transmission des données numériques. L’intégration de ces données au testament fait par acte devant notaire à l’écrit, permet d’en certifier l’authenticité et la valeur juridique, mais permet également de s’assurer que les volontés relatives à notre patrimoine numérique seront respectées.

Le notaire est en mesure d’informer un client rédigeant un testament sur les implications de la transmission des identités numériques. Il est recommandé que le client mentionne dans son testament tous ses comptes en ligne ainsi que les mots de passe associés, permettant ainsi à ses héritiers de prendre les meilleures décisions concernant le devenir de ses données. Par exemple, les ayant-droits peuvent faire procéder à la clôture des comptes utilisateurs du défunt, s’opposer à la poursuite des traitements de données à caractère personnel le concernant ou faire procéder à leur mise à jour.

Enfin, lors de l’établissement du testament, il est possible de décider d’opter pour un coffre-fort numérique afin de conserver durablement, de manière sécurisée et confidentielle, des documents numériques, mais également d’autoriser l’accès aux membres de sa famille.

Andréa Dumetrier, Etudiante à l'Université Catholique de Lille

[1Site de l’Unesco.org

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