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Absence d’obligation légale d’aviser le tuteur ou le curateur d’un majeur protégé en cas de défèrement. Par Johnny Anibaldi, Juriste.
Parution : vendredi 23 février 2024
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Suite au dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par la Cour de cassation, la procédure de déferrement des majeurs protégés a été déclarée anticonstitutionnelle par un arrêt rendu le 18 janvier 2024 par le Conseil constitutionnel.

Le 18 janvier 2024, le Conseil constitutionnel rendit un arrêt en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité posée par la Cour de cassation. Il s’agit d’un mécanisme par lequel une juridiction peut, à l’occasion d’un litige dont elle est saisie, suspendre l’affaire le temps que le Conseil constitutionnel, à qui cette question est posée, fournisse une réponse. En l’espèce, la chambre criminelle de la Cour de cassation posa une question prioritaire de constitutionnalité dans le cadre d’une décision rendue le 10 octobre 2023. Cette question portait sur l’article 706-113 du Code de procédure pénale : dans la mesure où cette disposition ne prévoit pas d’obligation, pour les magistrats, de procéder à l’information du curateur ou du tuteur d’un majeur protégé faisant l’objet d’une procédure de déferrement, y’a-t-il lieu d’affirmer que l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen soit respecté ? C’est donc à cette question que le Conseil constitutionnel fournit une réponse par son arrêt du 18 janvier 2024, lequel fait l’objet de la présente publication. Deux points ressortent du raisonnement des Sages de la rue de Montpensier : d’une part, il y a un encadrement de la procédure de déferrement du majeur protégé (I) et, d’autre part, une modulation des effets de l’abrogation de la disposition litigieuse (II).

I- L’encadrement de la procédure de déferrement du majeur protégé.

Dans son arrêt, le Conseil constitutionnel actualise le cadre juridique applicable à la procédure de déferrement d’un majeur protégé à la lumière des droits de la défense. Il pose une règle de principe : à savoir que les magistrats sont dans l’obligation de prévenir le curateur ou le tuteur dudit déferrement (A), tout en laissant la place à des situations exceptionnelles que l’on devine contraires (B).

A) Une obligation d’information du curateur ou du tuteur de principe.

En son quatrième considérant, l’arrêt n’envisage en tout et pour tout qu’une seule disposition : l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen en vertu duquel « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». À lire cette phrase, les « droits » doivent être garantis. Au sens du Conseil constitutionnel, et tel qu’il ressort du considérant en question, il s’agit des « droits de la défense ». Cette affirmation mérite, pour être mieux comprise, quelques explications. C’est par une décision rendue le 30 mars 2006 que le Conseil constitutionnel rattacha les droits de la défense à l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : auparavant, il s’agissait de principes généraux [1]. Parmi les droits de la défense consacrés sur cette base par le Conseil constitutionnel se trouve le droit à un avocat [2].

Une difficulté surgit alors : comment s’assurer qu’un majeur frappé d’un régime de protection juridique puisse exercer effectivement son droit à un avocat ? En vertu de l’article 425 du Code civil, toute personne sujette à une altération de ses facultés psychiques ou n’étant pas en mesure d’exprimer sa volonté en raison de troubles physique se voit placée sous un régime de protection juridique, lesquels vont du mandat de protection future à la tutelle. Comment s’assurer, donc, qu’un individu qui n’est pas ne mesure puisse être assisté d’un droit à un avocat ? Bien sûr, se pose en creux la question de la légitimité du droit à un avocat : ce serait là poser la question de la jouissance de droits de la défense, droits à valeur constitutionnelle, pour cette catégorie de personnes, laquelle a été été traitée par le Conseil constitutionnel. Il ne s’agit pas tant de déterminer si les majeurs protégés ont bien droit à un avocat dans le cadre d’une procédure de déferrement que de définir les moyens de l’exercice concret de ce droit. Cette problématique est envisagée dans l’arrêt étudié en son considérant n° 9 :

« toutefois, lorsqu’il apparaît au cours de la procédure que la personne déférée est un majeur protégé, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n’imposent aux autorités judiciaires d’informer son curateur ou son tuteur. Ainsi, le majeur protégé peut être dans l’incapacité d’exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d’exprimer sa volonté en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles. Il est alors susceptible d’opérer des choix contraires à ses intérêts, au regard notamment de l’exercice de son droit de s’entretenir avec un avocat et d’être assisté par lui ».

La réponse est à la fois bienvenue et logique : s’assurer, par le biais d’une obligation de nature constitutionnelle, qu’à compter de la découverte de l’existence d’un régime de protection juridique, le représentant légal, soit le curateur soit le tuteur dudit majeur protégé, soit informé de l’existence de cette procédure de déferrement afin qu’il puisse, au nom et pour le compte du majeur protégé, exercer le droit à un avocat, partant lui conférer toute son effectivité.

Pour autant, une criante incohérence apparaît : par la rédaction de l’arrêt, le Conseil constitutionnel semble parfois envisager l’intégralité des majeurs protégés par une mesure de protection juridique et, à d’autres moments, n’envisager que les majeurs placés sous un régime de curatelle et de tutelle. Il apparaît d’abord, au deuxième considérant, que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur l’obligation d’informer « le curateur ou le tuteur d’une majeur protégé » lorsque celui-ci fait l’objet d’un déferrement. Or, au considérant n° 9 du même arrêt, le Conseil constitutionnel s’exprime ainsi : « ainsi le majeur protégé peut être dans l’incapacité d’exercer ses droits » : dans la mesure où, dans ce neuvième considérant, il ait recours à une particularité propre à chaque majeur soumis à une mesure de protection juridique, n’est-ce pas là un indice laissant penser que le Conseil constitutionnel s’empare de la question prioritaire de constitutionnalité posée pour résoudre un problème propre aux droits de la défense de l’ensemble des majeurs protégés ? La réponse à cette apparente contradiction se trouve dans le commentaire de l’arrêt Mickaël M. [3] : « bien qu’elle s’adresse indistinctement à tous les majeurs protégés, la procédure spéciale prévue par les articles 706-112 à 706-118 du CPP a principalement vocation à bénéficier aux personnes placées sous curatelle ou sous tutelle, dans la mesure où ces régimes supposent la désignation d’un assistant ou d’un représentant légal chargé de les accompagner par sa présence et ses conseils. Les autres régimes de protection civile connaissent moins d’aménagements ou n’ont pas été expressément intégrés à la procédure pénale spéciale » [4]. Certes, l’on sait bien que la loi pénale est d’interprétation stricte [5] notamment confirmé par un arrêt du 7 mai 1969 [6] : « les textes répressifs sont d’interprétation stricte et les juges ne peuvent procéder par voie d’extension ou d’analogie ». Mais le Conseil constitutionnel n’aurait-il pas dû profiter de cette question prioritaire de constitutionnalité pour combler un vide juridique ? Rien n’empêche qu’un majeur protégé par une mesure d’habilitation familiale fasse l’objet d’un déferrement comme il en est question ici et puisse, à cette occasion, poser une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité : le Conseil ira-t-il jusqu’à dire que cette catégorie de majeurs protégés n’est pas envisagée par l’obligation de prévenir le représentant légal ? Il s’agirait là d’une lecture fort stricte du texte qui ne résoudrait pas le problème de fond : quid de la protection de tous les justiciables, en ce compris de tels majeurs, dans le cadre de la procédure pénale ? L’inconstitutionnalité de l’article 706-113 du Code de procédure pénale n’aurait peut-être pas due tant être prononcée en raison de l’absence d’obligation - au rang de principe - du curateur ou du tuteur du majeur protégé qu’en vertu de sa rédaction bien trop obtuse, amenant à exclure une catégorie de justiciables du champ des droits de la défense dans le cadre d’un déferrement.

B) La possibilité exceptionnelle de ne pas avoir à informer le représentant.

Il est aisé de manquer les quelques mots à travers lesquels le Conseil constitutionnel laisse la porte ouverte à quelques exceptions. En effet, le dixième considérant de l’arrêt est ainsi formulé : « dès lors, en ne prévoyant pas, lorsque les éléments recueillis au cours de la procédure font apparaître que la personne déférée fait l’objet d’une mesure de protection juridique, que le magistrat compétent soit, en principe, tenu d’avertir son curateur ou son tuteur afin de lui permettre d’être assisté dans l’exercice de ses droits, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense ». L’expression est discrète, il s’agit de « en principe ». Ainsi, c’est au rang de principe que se range l’obligation de contacter le curateur ou le tuteur du majeur protégé soumis à une procédure de déferrement. Il est intéressant de noter que cette formulation apparaît déjà dans un arrêt rendu le 14 septembre 2018 [7] en son neuvième considérant :

« dès lors, en ne prévoyant pas, lorsque les éléments recueillis au cours de la garde à vue d’une personne font apparaître qu’elle fait l’objet d’une mesure de protection juridique, que l’officier de police judiciaire ou l’autorité judiciaire sous le contrôle de laquelle se déroule la garde à vue soit, en principe, tenu d’avertir son curateur ou son tuteur afin de lui permettre d’être assistée dans l’exercice de ses droits, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense ».

Alors, pourquoi le Conseil constitutionnel n’a-t-il point consacré un principe impropre à souffrir quelque exception que ce soit ? Plusieurs éléments sont à envisager pour envisager une potentielle réponse à cette question. Dans un premier temps, il y a lieu que les décisions du Conseil constitutionnel ont-elles-mêmes valeur constitutionnelle, chaque mot doit donc être pensé avec la plus grande prudence. En ce sens, un raisonnement par l’absurde s’impose : si le Conseil constitutionnel avait consacré un principe absolu, quelles en eussent été les implications ?

Premièrement, le législateur aurait été défait de toute marge de manœuvre dans l’encadrement légal de la procédure de déferrement.

Deuxièmement, et c’est la suite de ce premier point, qu’en eût-il été si le législateur dût s’intéresser à des problématiques particulières telles que la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent ?

La question se pose donc de savoir s’ils ne sont pas certains cas où les droits de la défense doivent, dans une certaine mesure, laisser le pas à des considérations d’intérêt général d’une certaine ampleur. Bien naturellement, il ne s’agit pas de traiter cette question mais simplement de mettre en lumière le bon sens, de la part du Conseil constitutionnel, d’avoir, par cette incise, laissé ouverte la possibilité, pour le législateur, d’adapter le droit de la procédure pénale à des problématiques particulières ultérieures.

Une autre exception peut se dégager de la jurisprudence antérieure du Conseil constitutionnel : dans son arrêt Abderahmane L. [8] rendu le 6 mai 2011, il a été dit, au considérant n° 13 :

« […] que l’article 393 du Code de procédure pénale impartit au procureur de la République de constater l’identité de la personne qui lui est déférée, de lui faire connaître les faits qui lui sont reprochés, de recueillir ses déclarations si elle en fait la demande et, en cas de comparution immédiate ou de comparution sur procès-verbal, de l’informer de son droit à l’assistance d’une avocat pour la suite de la procédure ; que cette disposition, qui ne permet pas au procureur de la République d’interroger l’intéressé, ne saurait sans méconnaître les droits de la défense, l’autoriser à consigner les déclarations de celui-ci sur les faits qui font l’objet de la poursuite dans le procès-verbal mentionnant les formalités de la comparution ».

En d’autres termes, le fait, pour le procureur de la République, de consigner des informations à la demande de la personne majeure intéressée, lesquelles informations ne portent pas sur l’affaire en cours et ne figurent pas dans le procès-verbal de comparution, ne sauraient porter atteinte aux droits de la défense, d’après les Sages de la rue de Montpensier. Pour le dire autrement, une telle hypothèse, n’étant pas à même de constituer une violation des droits de la défense, rentre dans ces exceptions envisageables par la formulation du dixième considérant de l’arrêt étudié.

Après avoir présenté et mis en lumière les enjeux de cet arrêt en ce qui concerne l’encadrement de la procédure de déferrement des majeurs protégés, il y a désormais lieu d’envisager la seconde partie de l’arrêt entraînant, quant à elle, une modulation des effets conséquents de la déclaration d’inconstitutionnalité, sur la base de l’article 62 de la Constitution.

II- La modulation de l’abrogation pour inconstitutionnalité.

Toute disposition dont la conformité est niée par le Conseil constitutionnel est abrogée de droit. Il est néanmoins possible, conformément à l’article 62 de la Constitution, d’aménager une telle mesure. C’est le cas ici : dans le présent arrêt, le Conseil constitutionnel procède effectivement à la modulation des effets de l’abrogation de l’article 706-113 du Code de procédure pénale en maintenant le statuo quo, d’une part (A), et, d’autre part, en exemptant l’État de toute forme de responsabilité du fait de lois inconstitutionnelles (B).

A) Le maintien du statu quo à l’aune du principe de sécurité juridique.

L’abrogation d’une disposition légale entraîne nécessairement le risque du bouleversement de situations acquises ou, du moins, envisageables d’une certaine façon. En ce qui concerne l’abrogation de l’article 706-113 du Code de procédure pénale, le risque serait que les magistrats ne seraient nullement tenus d’informer le curateur ou le tuteur du majeur protégé dans le cadre d’une poursuite pénale à quelque stade qu’elle se trouve. Il y aurait alors une complète méconnaissance des droits de la défense propres à tout justiciable et plus spécifiquement en ce qui concerne les majeurs protégés. Cette inquiétude est partagée par le Conseil constitutionnel qui déclare, au treizième considérant de l’arrêt que « l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait notamment pour effet de supprimer l’obligation pour le procureur de la République et le juge d’instruction d’aviser le curateur ou le tuteur, ainsi que le juge des tutelles, en cas de poursuite pénale à l’encontre d’un majeur protégé ». Ce que signifie cet extrait, c’est précisément que le Conseil constitutionnel dispose du pouvoir de déclarer une norme inconstitutionnelle - il pourrait déclarer que, pour les motifs ci-dessus envisagés, l’article 706-113 du Code de procédure pénale soit en contradiction avec l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

En réalité, les Sages de la rue de Montpensier semblent être poussés à ne pas emprunter cette voie pour la simple et bonne raison que les conséquences seraient particulièrement dommageables : le Conseil constitutionnel adopte donc ici une posture conséquentialiste où son approche n’est pas purement dictée par des considérations de compatibilité constitutionnelle mais aussi de sécurité juridique. En effet, le principe de sécurité juridique commande que les justiciables soient placés dans un environnement sûr et sécurisé, ce qui passe nécessairement par la possibilité d’avoir une représentation fiable et fondée des effets juridiques attachés à un évènement ou un comportement. Ce faisant, l’abrogation immédiate de la disposition litigieuse extraite du Code de procédure pénale aurait pour conséquence de briser cette représentation dûment ancrée dans l’esprit de tous les justiciables en défaisant les majeurs protégés de leur droit à être assistés par le biais de l’information obligatoire de leur curateur ou tuteur.

L’enjeu est donc d’opérer une balance entre, d’une part, la reconnaissance et l’affirmation du caractère inconstitutionnel d’une disposition légale rentrant dans le champ de la procédure égale et, d’autre part, les effets concrets d’une telle manœuvre. Ce juste milieu est expressément mentionné dans le même treizième considérant de l’arrêt où le Conseil affirme qu’une telle abrogation immédiate « entraînerait ainsi des conséquences excessives ». Pour contrebalancer les effets d’une abrogation immédiate, le Conseil préfère ainsi laisser une marge de manœuvre en préservant l’état actuel du droit de la procédure pénale jusqu’au 31 janvier 2025, soit un an plus tard à compter du mois du prononcé de l’arrêt, ou jusqu’à la promulgation d’une loi modificatrice antérieure à cette date. Toujours est-il que même si l’abrogation immédiate n’est pas prononcée, le Conseil constitutionnel n’en pose pas moins une exigence particulière que :

« si des éléments recueillis au cours de la procédure font apparaître que la personne susceptible d’être déferrée à compter de la publication de cette décision fait l’objet d’une mesure de protection juridique, le curateur ou le tuteur doit être avisé par le magistrat compétent de son déferrement et, le cas échéant, de sa retenue dans les locaux du tribunal ».

L’abrogation n’est donc déférée qu’en raison du maintien du statu quo pour les situations déjà existantes où il a été établi qu’u majeur faisait effectivement l’objet d’une mesure de protection juridique : en ce qui concerne toute nouvelle procédure à compter de la date de prononcé de l’arrêt, il y aura d’ores et déjà une telle obligation d’information.

Le maintien du statu quo pour les instances en cours prononcé par le Conseil constitutionnel à l’aune du principe de sécurité juridique va de pair avec l’exemption de toute forme de responsabilité de l’État du fait des lois déclarées postérieurement anticonstitutionnelles.

B) Pas de responsabilité de l’État du fait de lois déclarées anticonstitutionnelles.

Dans un arrêt du 24 décembre 2019, l’assemblée du contentieux du Conseil d’État a reconnu la possibilité, pour un justiciable, d’engager la responsabilité de l’État en compensation des effets de l’application d’une disposition jugée - postérieurement à son application - contraire à la Constitution [9]. Pour ce faire, deux hypothèses doivent être distinguées : d’une part, la responsabilité de l’État peut être engagée

« pour assurer la réparation de préjudices nés de l’adoption d’une loi à la condition que cette loi n’ait pas exclu toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés » [10] ou « d’autre part, en raison des exigences inhérentes à la hiérarchie des normes, pour réparer l’ensemble des préjudices qui résultent de l’application d’une loi méconnaissant la Constitution ou les engagements internationaux de la France » [11].

Le respect de la hiérarchie des normes permet donc de sanctionner, via l’engagement de la responsabilité, la promulgation d’une disposition contraire à une norme hiérarchiquement supérieure. Or, la question qui se pose est de savoir si l’engagement de la responsabilité de l’État souffre, ou non, de conditions subsidiaires. La réponse est positive, comme en fait état la même assemblée du contentieux dans ce même arrêt :

« toutefois, il résulte des dispositions des articles 61, 61-1 et 62 de la Constitution que la responsabilité de l’État n’est susceptible d’être engagée du fait d’une disposition législative contraire à la Constitution que si le Conseil constitutionnel a déclaré cette disposition inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1, lors de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité […]. En outre, l’engagement de cette responsabilité est subordonné à la condition que la décision du Conseil constitutionnel, qui détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause, ne s’y oppose pas, soit qu’elle l’exclue expressément, soit qu’elle laisse subsister tout ou partie des effets pécuniaires produits par la loi qu’une action indemnitaire équivaudrait à remettre en cause ». La responsabilité de l’État ne peut donc être engagée si le Conseil constitutionnel, dans le cadre du traitement d’une question prioritaire de constitutionnalité, refuse une telle manœuvre dans son arrêt.

En l’espèce, le Conseil constitutionnel ferme la porte à l’engagement de la responsabilité de l’État sans visa quelconque : « d’autre part, les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité » [12]. Le fait qu’aucun visa ne soit explicité ici n’emporte nullement quelque conséquence que ce soit : l’article 62 de la Constitution dispose, en son deuxième alinéa, que toute

« disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ».

L’article 61-1 envisagé est celui fondant constitutionnellement la question prioritaire de constitutionnalité ; l’article 62 de la Constitution permet donc, au Conseil constitutionnel, de moduler les effets de l’abrogation d’une disposition anticonstitutionnelle sans délimitation expresse aucune. Ce faisant, le Conseil n’a effectivement nul besoin de viser quelque disposition : son pouvoir découle de l’article 62 de la Constitution. L’impossibilité d’engager la responsabilité de l’État en une telle circonstance est, de plus, formulée d’une façon quelque peu singulière : il est question de contester les décisions prises sur le fondement de l’inconstitutionnalité. En d’autres termes, le Conseil constitutionnel ne ferme pas directement la voie à l’engagement de la responsabilité : il opère un détour en prenant soin d’expliciter que ce sont les décisions prises dans le cadre de la procédure de déferrement de majeurs protégés dont le curateur ou les tuteur n’a pas été informé qui ne peuvent être remises en cause et, incidemment, permettre l’engagement de la responsabilité de l’État.

Johnny Anibaldi Juriste et formateur en droit

[1V. Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi pour l’égalité des chances, cons. 24.

[2Décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, cons. 48 à 53.

[3Commentaire de la décision n° 2020-873 QPC du 15 janvier 2021, M. Mickaël M., p.3 disponible via ce lien : https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/decisions/2020873qpc/2020873qpc_ccc.pdf

[4Ici, une note de bas de page précise que « c’est le cas de l’habilitation familiale ».

[5V. en ce sens, l’article 111-4 du Code pénal, lequel dispose expressément que « la loi pénale est d’interprétation stricte » et l’arrêt de principe rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 8 septembre 1809. Concernant cet arrêt V. Gaz. Trib., 14 mai 1827, n° 521, disponible à cette adresse : https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwiclM66m76EAxXqR6QEHXzUCeMQFnoECC8QAQ&url=http%3A%2F%2Fdata.decalog.net%2Fenap1%2FLiens%2FGazette%2FENAP_GAZETTE_TRIBUNAUX_18270514.pdf&usg=AOvVaw2x4AefH2wZ85KCv5N6lXRK&opi=89978449: « Considérant que ces principes de toute justice ont été professés en 1809 par le procureur-général d’alors de la Cour de cassation , qui a dit : Il ne suffit pas qu’un acte Soit défendu -, il ne suffit pas qu’il soit rangé dans la classe des délits, pour qu’une peine quelconque lui soit applicable -, il faut encore que la loi elle-même détermine, par une exposition expresse la peine qui doit lui être appliquée ; et si la loi se tait à cet égard, les juges ne peuvent pas suppléer à son silence.
Que cette doctrine a été adoptée et consacrée par la Cour de cassation , par quatre arrêts rendus le 8 septembre 1809, dans une espèce parfaitement analogue à celle soumise à la Cour, puisqu’il s’agissait de savoir si la loi du 9 floréal an XI , en renouvelant les dispositions prohibitives de l’article 3 du titre 26 de l’ordonnance de 1669, avait en même temps renouvelé la disposition pénale portée en cet article, et la Cour a proclamé que si la disposition prohibitive de l’art. 9 de la loi du 9 floréal an XI, demeure sans moyen coactif on de, répression, c’est au législateur à y pourvoir par une nouvelle mesure législative ; mais que les tribunaux ne peuvent prononcer de peines par induction ou présomption, ni même sur des motifs d’intérêt public
 ».

[6Cass.crim. 7 mai 1969 (Gaz.Pal. 1969 II 68), Dame C..

[7Décision n° 2018-730 QPC du 14 septembre 2018, M. Mehdi K Absence d’obligation légale d’aviser le tuteur ou le curateur d’un majeur protégé de son placement en garde à vue.

[8Décision n° 2011-125 QPC du 6 mai 2011, M. Abderrahmane L. (Défèrement devant le procureur de la République), cons. 12.

[9CE, ass., 24 déc. 2019, req. n° 425981

[10Considérant n° 5 de l’arrêt.

[11Considérant n° 6 de l’arrêt.

[12Considérant n° 14.