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Cadres en forfait-jours : le non-respect des obligations légales entraine la nullité de la convention. Par Frédéric Chhum, Avocat et Mathilde Fruton Létard, Elève-Avocate.
Parution : lundi 29 janvier 2024
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Dans un arrêt du 10 janvier 2024 (n°22-15.782), la chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé qu’en cas de manquement à l’une des obligations prévues par l’article L3121-65 du Code du travail (dispositif de rattrapage que peuvent suivre les employeurs lorsque l’accord collectif sur lequel se base les conventions individuelles de forfait ne respectent pas les conditions prévues par l’article L3121-64 du même code), la convention individuelle de forfait en jours est nulle.

1) Faits et procédure.

Un salarié a été engagé en qualité de coordinateur salons professionnels à l’international le 1ᵉʳ octobre 2016. Le contrat contenait une convention de forfait en jours.

Le salarié a été licencié pour insuffisance professionnelle le 4 juillet 2018.

Le 29 janvier 2019, le salarié a saisi la juridiction prud’homale de demandes en paiement de diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail.

La Cour d’appel d’Angers, dans un arrêt du 10 février 2022, a annulé la convention individuelle de forfait en jours du salarié.

L’employeur a alors formé un pourvoi en cassation.

2) Moyens.

L’employeur fait valoir que :

3) Solution.

La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur.

Après avoir rappelé les conditions « de rattrapage » prévues par l’article L3121-65, qu’il convient de respecter lorsque l’accord collectif sur lequel est fondée la convention individuelle de forfait ne respecte pas les stipulations de l’article L3121-64 du Code du travail, la chambre sociale de la Cour de cassation expose que :

« En cas de manquement à l’une de ces obligations, l’employeur ne peut se prévaloir du régime dérogatoire ouvert par l’article L3121-65 du Code du travail. Il en résulte que la convention individuelle de forfait en jours conclue, alors que l’accord collectif ouvrant le recours au forfait en jours ne répond pas aux exigences de l’article L3121-64, II, 1° et 2°, du même code, est nulle ».

En l’espèce, l’accord collectif du 5 septembre 2003, qui permettait le recours au forfait en jours, n’était pas conforme aux dispositions de l’article L3121-64 du Code du travail. Il fallait donc vérifier si l’employeur avait ou non respecté les dispositions prévues par l’article L3121-65.

La cour d’appel a constaté que :

En conséquence, « la cour d’appel en a exactement déduit que la convention individuelle de forfait en jours était nulle ».

4) Analyse.

La loi Travail du 8 août 2016 a prévu que, pour être valable, une convention individuelle annuelle de forfait en jours doit être conclue sur la base d’un accord collectif qui détermine notamment [1] :

Toutefois, de nombreuses conventions individuelles de forfait annuel en jours, conclues avant l’entrée en vigueur de cette loi, reposaient sur des accords collectifs ne respectant pas ces conditions.

Ainsi, afin de sécuriser les forfaits annuels en jours existants et de permettre aux entreprises de conclure de nouvelles conventions individuelles, la loi du 8 août 2016 a prévu un dispositif de rattrapage pour les entreprises.

Ainsi, l’article L3121-65 du Code du travail prévoit qu’une convention individuelle de forfait en jours peut être valable, quand bien-même l’accord collectif sur laquelle elle repose ne respecterait pas les conditions de validité légales, à condition pour l’employeur de respecter certaines conditions :

C’est ce dispositif supplétif dont se prévalait l’employeur dans l’affaire commentée.

En effet, l’accord collectif du 5 septembre 2003, sur lequel reposait la convention individuelle de forfait annuel en jours contestée, n’était pas conforme aux dispositions de l’article L3121-64.

L’employeur se prévalait alors du respect des conditions de l’article L3121-65.

Toutefois, la Cour de cassation conteste le raisonnement de l’employeur.

L’employeur a ici manqué à trois des obligations prévues par l’article L3121-65 :

La solution de la Cour de cassation n’est donc pas surprenante : les conditions de validité de la convention individuelle de forfait en jours n’étant pas respectées, cette dernière est nulle.

Sources.

Cour de cassation 10 janvier 2024 pourvoi n° 22-15.782.
Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (1).

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) Mathilde Fruton Létard élève avocate EFB Paris Chhum Avocats (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Article L3121-64 du Code du travail.