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[Guinée] L’apport en nature du permis d’exploitation minière dans le cadre d’une fusion création de sociétés. Par Albert Dione, Docteur en Droit.
Parution : lundi 15 janvier 2024
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La problématique soulevée par cet article est de savoir si le permis d’exploitation minière peut faire l’objet d’un apport en nature dans le cadre d’une fusion entre deux sociétés.

Selon le Code minier guinéen (C. min.), le titre minier est un document de l’administration minière conférant des droits de reconnaissance, de recherche ou d’exploitation de substances minières. Il existe trois catégories de titres miniers : le permis de recherche industrielle ou semi-industrielle ; le permis d’exploitation minière industrielle ou semi-industrielle et la concession minière. Nous nous intéresserons, dans cet article, qu’au permis d’exploitation minière.

L’article 28 du Code minier de la Guinée dispose que le permis d’exploitation confère à son titulaire, dans les limites de son périmètre et indéfiniment en profondeur, le droit exclusif de reconnaissance, de recherches, d’exploitation et la libre disposition des substances minières pour lesquelles il est délivré. Le permis d’exploitation crée au profit de son titulaire un droit mobilier divisible et amodiable. Ce droit est susceptible de gage pour garantir des emprunts de fonds destinés à l’exploitation. Il peut faire l’objet de transmission ou de cession totale ou partielle (Art. 90 C. min.).

La problématique soulevée par cet article est de savoir si le permis d’exploitation peut faire l’objet d’un apport en nature dans le cadre d’une fusion entre deux sociétés. En effet, l’article 189 de l’Acte uniforme relatif au Droit des sociétés commerciales et du Groupement d’intérêt économique (AUDSCGIE), définit la fusion comme « l’opération par laquelle deux (2) ou plusieurs sociétés se réunissent pour n’en former qu’une seule, soit par création d’une société nouvelle soit par absorption de l’une d’entre elles ». La société détentrice du permis d’exploitation peut-elle apporter ce droit à la société en création comme un apport en nature ? C’est ce que nous allons analyser dans cet article.

Pour rappel, l’article 4 du même Acte uniforme dispose que

« la société commerciale est créée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent, par un contrat, d’affecter à une activité des biens en numéraire ou en nature, ou de l’industrie dans le but de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui peut en résulter. Les associés s’engagent à contribuer aux pertes dans les conditions prévues par le présent Acte uniforme ».

La question qui se pose est de savoir si le permis d’exploitation peut être apporté au titre d’un apport en nature dans le cadre de la création d’une nouvelle société ? Pour répondre à cette question, il nous faut analyser la nature juridique du permis d’exploitation (1), le caractère spécifique du permis d’exploitation (2), l’apport du permis d’exploitation par amodiation (3) et l’évaluation du permis d’exploitation ou gisement de minerai dans le cadre de l’apport en nature (4).

1. Le régime juridique du permis d’exploitation minière.

Par régime juridique, nous comprenons la catégorie des biens dans laquelle le permis d’exploitation peut être classé et les droits qu’il confère à son titulaire. De prime abord, le permis d’exploitation est un instrumentum qui confère des droits à son titulaire. Il s’agit notamment du droit d’exploitation du gisement de minerai et de la vente du produit extrait.

La valeur marchande de ce document repose sur le droit qu’il confère à son titulaire. Un droit de jouissance et de disposition. Il permet d’extraire le minerai et de le vendre. Le titulaire du permis n’est pas le propriétaire du terrain, il n’est pas non plus le propriétaire du gisement. Ce dernier est la propriété exclusive de l’État. L’État a effectué un démembrement de la propriété. Il reste nu propriétaire du terrain alors que le titulaire du permis est l’usufruitier. Cet usufruit porte sur le gisement exploitable. Le Code minier de la Guinée définit le gisement comme : « Tout gîte naturel de substances minérales économiquement exploitable ».

Dès lors, sans le gisement, le permis d’exploitation n’aurait pas sa raison d’être. De ce point de vue, le gisement qui a une valeur économique confère au permis d’exploitation sa valeur économique. Par conséquent, à travers le gisement, le permis d’exploitation qui est un bien incorporel devient un bien corporel, ou du moins l’instrumentum qui confère un droit de propriété sur le minerai à extraire. En réalité, un expert établira la valeur du minerai qui sera apporté à la société en création.

Nous avons démontré que le permis d’exploitation confère un droit de propriété sur le minerai à extraire et nous avons découvert que le Code minier permet la transmission de ce droit. Nous en déduisons la possibilité d’apporter les droits portant sur cet instrumentum à la société en création. Ce postulat repose sur l’assertion de base qui soutient que le permis confère un droit d’usufruit sur un bien corporel qui est le gisement. Or, l’usufruitier a le fructus, l’usus et l’abusus sur le droit conféré. Par conséquent, l’apport sera un apport en usufruit d’un bien consomptible, plus précisément le gisement. En pratique, ce qui est transmissible, c’est le droit d’usufruit et non le titre minier qui peut être retiré alors que le produit du gisement est consomptible.

Nous l’avons dit, le titulaire du permis n’étant qu’usufruitier, le permis reste la propriété de l’État qui se réserve le droit de contrôler sa transmission ou cession, mais aussi le droit de le retirer en cas de non-respect des conditions d’octroi conformément à l’article 88 du Code minier. Ce qui, le cas échéant, peut avoir des conséquences sur l’existence de la société.

Un autre souci a trait au fait que le titulaire du permis ne peut pas le transmettre librement. L’approbation du Ministre des mines est nécessaire pour toute opération de transmission ou de cession du permis. C’est ce qui ressort de l’article 90 du Code minier de la Guinée. En pratique, cette approbation ne pose pas de problème si toutes les conditions de transfert ou de cession sont réunies. Cette autorisation se justifie dans la mesure où le transfert du permis opère un changement d’usufruitier. Il faut que le nouvel acquéreur fournisse à l’État les mêmes garanties que le premier.

En clair, c’est l’usufruit qui est apporté à la société en création comme un apport en nature et non le permis, encore moins le gisement. Il faut préciser que le gisement n’est pas la propriété du titulaire du permis, mais plutôt la propriété de l’État.
Hormis l’obstacle de l’approbation du Ministre des mines, l’apport du droit d’exploitation dans le cadre d’une fusion ne souffre d’aucune autre restriction. Mais comment cet apport sera-t-il organisé dans le cadre d’une fusion ?

2. L’apport du permis d’exploitation dans le cadre d’une fusion.

Nous l’avons vu, la fusion peut aboutir à la création d’une société. Or, cette création de la nouvelle société impose aux associés de faire apport pour constituer le capital social avec les droits correspondants. L’article 40 de l’AUDSCGIE prévoit limitativement trois types d’apport que les associés peuvent faire, à savoir : de l’argent, par apport en numéraire ; des droits portant sur des biens en nature, mobiliers ou immobiliers, corporels ou incorporels, par apport en nature ; ainsi que des connaissances techniques ou professionnelles ou des services, par apport en industrie. À cet effet, tout autre apport est interdit.

L’apport des droits d’exploitation du gisement à travers le permis d’exploitation entre dans la catégorie d’apport en nature. Toutefois, la spécificité du bien apporté mérite d’être analysée dans la mesure où l’apporteur ne dispose pas de la pleine propriété sur le bien apporté, à savoir le permis d’exploitation ; il n’est qu’usufruitier. Ce qui soulève la question de la nature du bien sur lequel portent les droits apportés à la société. Le bien apporté est le gisement situé sur un terrain appartenant à l’État. Dès lors, nous nous retrouvons face à un démembrement de la propriété et un apport en usufruit.

Or, ce type d’apport n’est pas expressément mentionné dans l’AUDSCGIE. Néanmoins, l’article 45 du même acte uniforme est rédigé comme suit :

« les apports en nature sont réalisés par le transfert des droits réels ou personnels correspondant aux biens apportés et par la mise à la disposition effective de la société des biens sur lesquels portent ces droits ».

L’interprétation de cet article permet de déduire l’apport en usufruit. En effet, selon le Code civil guinéen (C. civ. Art. 855), « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la nue-propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ». Donc l’usufruit est un droit réel au regard de l’article 45 de l’acte uniforme sur les sociétés. Nous en déduisons que l’usufruit peut constituer un apport en nature dans le cadre de la fusion-création de sociétés.

Le schéma est le suivant. L’État octroie au concessionnaire une concession minière avec permis d’exploitation sur un terrain d’une superficie de 10 000 mètres carrés contenant un gisement de bauxite estimé à 200 millions de tonnes. L’État est propriétaire du terrain et le concessionnaire usufruitier de la bauxite. La substance que le concessionnaire aura à conserver est la parcelle de terrain qui est la propriété de l’État. Il peut jouir de la bauxite en tant que propriétaire. Le titulaire pourra épuiser la bauxite, mais non la terre sur laquelle se trouve la bauxite ; cette terre peut être considérée comme la substance telle que relevée à l’article 855 précité.

En droit des sociétés, l’apport est un mécanisme de transfert de la propriété. Les fruits naturels sont ceux qui sont le produit spontané de la terre (C. civ. Art. 859) la bauxite est le fruit naturel de la terre et l’usufruitier a un droit de propriété sur le fruit. En somme, il peut transférer cette propriété.

Nous avons vu que le permis d’exploitation pourrait être retiré en cas de non-respect des conditions d’octroi. Cette situation est réglée par l’AUDSCGIE en son article 46 qui dispose que « lorsque l’apport est en propriété (usufruit), l’apporteur est garant envers la société comme un vendeur envers son acheteur ». Une fois transféré, la société devient propriétaire du bien apporté, elle pourra en user et en abuser (vendre la bauxite). Il en résulte qu’une fois transféré, la société supporte les risques.

Il faut aussi régler le problème de l’évaluation du bien. Les parties au contrat de société ont la faculté de régler le problème de l’évaluation de l’apport en nature à travers la désignation d’un commissaire aux apports. L’article 49 de l’AUDSCGIE en son alinéa 1 retient que « les associés évaluent les apports en nature ». Dans les cas prévus par le présent Acte uniforme, cette évaluation est contrôlée par un commissaire aux apports. La nomination du commissaire aux apports doit être prévue par les statuts dès lors que la valeur de l’apport en nature est supérieure à cinq millions de francs CFA (AUDSCGIE, Art. 312). La conséquence de l’absence de l’évaluation de l’apport par le commissaire aux apports ou lorsque la valeur de l’apport est différente de celle proposée par le commissaire aux apports est que, les associés sont solidairement responsables pendant cinq ans, à l’égard des tiers, de la valeur attribuée aux apports en nature. Dans le cadre de l’apport du permis d’exploitation, il s’agira d’évaluer le gisement de bauxite dans le périmètre concédé.

Le permis d’exploitation sera apporté à la société par amodiation.

3. L’apport du permis d’exploitation par amodiation.

Toute décision de cession, de transmission et d’amodiation totale ou partielle et toute acquisition formelle d’un Titre minier doit faire l’objet d’un avis favorable ou d’une validation de la Commission Nationale des Mines avant d’être soumise à l’approbation du Ministre en charge des Mines. (C. Min. Art. 90). Nous l’avons vu, le permis d’exploitation est un titre minier. Il peut donc faire l’objet d’une amodiation.

L’amodiation est un louage pour une durée déterminée ou indéterminée, sans faculté de sous-louage, de tout ou partie des droits attachés à une Autorisation d’exploitation de carrières, à un Permis d’exploitation minière industrielle ou semi-industrielle, ou à une Concession minière moyennant une rémunération fixée par accord entre l’amodiant et l’amodiataire (entre l’apporteur et la société).

L’apport en société, nous l’avons vu, entraîne le transfert des droits miniers du titulaire du permis au bénéfice d’un tiers (la société). Le détenteur du permis d’exploitation n’est pas le propriétaire du permis d’exploitation ; il bénéficie tout simplement du droit lié à ce permis.

La question qui se pose est de savoir par quel moyen pourrait-il apporter ce permis à la société en constitution comme un apport en nature. Le Code minier de la guinée a prévu un moyen de transmettre le permis d’exploitation par la procédure d’amodiation. Cette dernière ne transfère pas la propriété des droits, mais permet leur jouissance par un tiers (l’amodiataire), lequel dispose ainsi des gisements extraits en lieu et place du titulaire (l’amodiant).

Nous l’avons vu, l’article 47 de l’AUDSCGIE souligne que lorsque l’apport est en jouissance, l’apporteur est garant envers la société comme un bailleur envers son preneur.

Le permis d’exploitation adossé au gisement qui est un bien consomptible pose le problème de sa disparition ou du moins de son épuisement après des années d’exploitation. Il est clair que le gisement apporté est un bien consomptible. De ce point de vue, il devient la propriété de la société, qui est tenue de remettre à l’apporteur les actions équivalentes.

Le gisement est constitué de bauxite, bien non renouvelable, il en résulte que l’apport en jouissance de gisement opère un transfert de propriété de la bauxite extraite à la suite de l’exploitation réalisée par la société. La société en dispose à sa guise et n’est pas tenue de restituer à l’apporteur la bauxite extraite et commercialisée par la société.

Il ressort de tout ce qui précède que l’apporteur loue le gisement de bauxite à la société, qui va l’exploiter, moyennant l’octroi d’actions de la société.

Qu’est-ce qui va se passer en cas d’épuisement du gisement ? La réponse immédiate est : la fin de la société. Si nous adoptons cette posture, cela signifie que le gisement constitue l’objet social et que la société se dissout par la réalisation de l’objet social, en l’occurrence l’épuisement du gisement. La question de l’épuisement du gisement nous amène à évoquer le problème de sa valeur et son évaluation.

4. L’évaluation du gisement de minerai en tant qu’apport en nature.

Il ne s’agit pas d’évaluer le permis d’exploitation qui est l’instrumentum mais plutôt le gisement attaché au permis d’exploitation dont la quantité peut être estimée. Le gisement est un bien fongible dont le risque inhérent est géré par la société. En cas de dissolution de la société, l’associé apporteur peut récupérer le permis d’exploitation, mais la quantité du gisement extrait reste propriété de la société.

Comme nous l’avons vu, le gisement n’est pas transféré, c’est son exploitation qui est transférée. L’État reste propriétaire du gisement.

L’apporteur reçoit des droits sociaux à hauteur de la valeur du bien mis à la disposition de la société. Se pose alors le problème de l’évaluation du gisement.

L’apport en nature a pour conséquence la remise de titres. Mais il faut déterminer la valeur du bien transmis. En effet, la valeur des apports en nature sera prévue dans les statuts étant donné que cela conditionne l’attribution des titres.

L’article 312 de l’AUDSCGIE prévoit que l’évaluation des apports en nature est contrôlée par un commissaire aux apports dès lors que la valeur de l’apport en nature considéré, ou que la valeur de l’ensemble des apports en nature considérés, est supérieure à cinq millions de francs CFA.

L’Acte uniforme précité fait obligation de recourir à un commissaire aux apports qui sera chargé de l’évaluation des biens apportés à l’entreprise dès l’instant que la valeur de l’apport est supérieure à cinq millions.

La désignation du commissaire aux apports choisi sur la liste des commissaires aux comptes est effectuée à l’unanimité des associés ou actionnaires. À défaut d’unanimité, les fondateurs de la société ou l’un d’entre eux dépose une requête auprès de la juridiction compétente pour nommer un commissaire aux apports.

Le commissaire aux apports a pour mission d’évaluer la valeur du gisement qu’il notifiera ensuite dans son rapport. Quels que soient le gisement considéré et la phase de son développement, la question du potentiel de ce gisement est mise sur la table. Les futurs actionnaires ou associés se posent des questions sur la quantité de minerai à récupérer. Dès lors, le travail du commissaire aux apports est de se fier aux géologues qui auront effectué l’estimation de la valeur économique du gisement selon leur propre méthode de calcul des ressources. Les aspects techniques et pratiques de la méthode de calcul et de valorisation ne seront pas abordés ici.

Le but de cet article a été de démontrer la possibilité d’apporter à la société en création un document ayant une valeur économique à travers les droits qu’il confère à son titulaire. Les investisseurs en République de Guinée dans le cadre des restructurations des sociétés peuvent envisager cette option d’apport du permis d’exploitation étant donné que cela est possible grâce à l’interprétation de l’article 90 du Code minier.

Albert Dione Docteur en droit Avocat au Barreau de Paris