Village de la Justice www.village-justice.com

La confrontation européenne : un débat passionné autour de la Super Ligue. Par Su Erbas, Doctorante.
Parution : jeudi 11 janvier 2024
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/ingerence-europeenne-face-polemique-super-ligue-une-interrogation-sur-structure,48435.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Près de trois décennies après le jugement Bosman [1], la Cour de justice de l’Union européenne a manifesté son engagement à sauvegarder les fondements du marché unique européen, en veillant à l’application équitable des règles de la concurrence, y compris dans le secteur du football professionnel.

Le rôle monopolistique de la FIFA et de l’UEFA dans la régulation du sport a été remis en question pour donner suite à un arrêt rendu par les magistrats luxembourgeois le 21 décembre 2023 [2], qui a été contesté par la société European Superleague Company SL (ESLC) [3].

Avant de s’engager dans l’examen minutieux de la décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne, il convient de procéder à un rappel structuré de l’architecture pyramidale qui prévaut au sein du football européen. Le monde du sport se caractérise par une hétérogénéité disciplinaire notable. Néanmoins, cette hétérogénéité est encadrée par un principe d’unité, dénommé le « Ein-Platz Prinzip » [4] dans la terminologie juridique germanique. Ce principe est respecté universellement et a pour objectif de créer un seul organe compétent dans chacune des disciplines sportives et à chaque niveau géographique : une fédération internationale, continentale ou nationale [5]. De ce principe découle le fait que le sport présente aussi bien au niveau international qu’au niveau national, l’image d’une structure hiérarchique et monopolistique uniforme. Ce monopole permet à la fédération internationale de gouverner sa discipline sportive [6], en imposant leurs règles à toutes les associations qui sont placées sous leur autorité.

Au sein de l’organisation pyramidale du football, la FIFA occupe la position apicale et jusqu’à ce jour incontestée. Elle peut édicter deux types de règles ; celles purement techniques (qui organisent le jeu et les compétitions) et des règles qui constituent un véritable ordre juridique interne [7]. C’est la raison pour laquelle la création et l’uniformisation de ces réglementations aux échelons local, national et ensuite international au sein de la FIFA constituent des démarches significatives, bien qu’elles puissent parfois susciter la controverse. Ainsi, elle endosse la responsabilité de préserver l’intégrité du football, en s’opposant résolument à toute forme d’atteinte ou de préjudice qui pourrait émaner de conduites illégales, contraires à la moralité ou dépourvues d’éthique [8]. Ainsi, le principe de la double appartenance, quant à lui, est la conséquence du fait que la fédération nationale elle-même fait partie de la fédération internationale du sport concerné [9]. De ce fait, l’association nationale est à la fois le membre de la fédération nationale et la fédération internationale. Dès lors nous sommes en présence d’une « chaîne des membres » où un athlète ou un club n’est membre d’une fédération faîtière que si ses statuts le permettent [10].

D’un point de vue économique, les associations telles que la FIFA ont un but idéal et non pas un but économique tel que les sociétés commerciales, ce qui constitue alors le cœur de cette distinction. Le but idéal de la FIFA est de promouvoir le football et de développer sa pratique tout en respectant la non-discrimination politique, religieuse ou raciale [11]. Au niveau de l’activité économique de la FIFA, une partie des buts de l’organisation incluent des moyens économiques tels que la vente des droits de retransmission, le sponsoring, le merchandising ou encore les billets pour les compétitions qu’elle organise [12]. Ainsi, reconnue par la FIFA, l’UEFA vise à unir et à améliorer la gestion du football sur le continent européen tout en revendiquant la spécificité du sport et en protégeant l’autonomie des instances sportives européennes contre les interférences externes.

Alors, dans quelle mesure le jugement de la Cour de justice de l’Union européenne du 21 décembre 2023 remet-il en question la légitimité de la position dominante de la FIFA et de l’UEFA, et quelles pourraient être les implications pour l’architecture monopolistique du football européen ?

Le jugement de la CJUE du 21 décembre 2023 interroge indirectement la légitimité de la position dominante de la FIFA et de l’UEFA en soulignant les pratiques qui pourraient constituer un abus de cette position. Cela pourrait entraîner une réévaluation de la manière dont ces organisations régulent le football européen, notamment en ce qui concerne l’organisation des compétitions et la commercialisation des droits y afférents.

Si l’on établit que ces fédérations exercent leurs activités d’une manière qui contrevient aux principes de concurrence établis par le droit de l’Union européenne, cela pourrait forcer une ouverture du marché à de nouvelles compétitions et acteurs, ébranlant ainsi la structure monopolistique actuelle. Bien que cette décision de la CJUE puisse être perçue comme favorisant une démocratisation dans le football européen (I), il est impératif de ne pas sous-estimer le danger d’une répartition disproportionnée des ressources financières dans le cadre du football européen avec la création d’une SuperLeague élite (II).

I. Un affrontement des réglementations européennes au sein du football.

L’arrêt de la CJUE a suscité une prise de conscience renouvelée chez les instances dirigeantes du football quant à la nécessité impérieuse d’entreprendre une révision de leurs réglementations et de leurs statuts. Il apparaît avec évidence que la revendication d’une autonomie du domaine sportif ne saurait, en elle-même, constituer un argument suffisant pour repousser toute intervention de l’Union européenne (A). D’ailleurs, ce n’est ni la première occurrence, ni vraisemblablement la dernière, où l’Europe affirme son droit de regard sur des enjeux d’une telle ampleur économique (B).

A. Une approche historique à l’autonomie sportive à l’épreuve de l’Union européenne.

Les fédérations sportives, structurées autour d’une logique privatiste, ont longtemps nourri la conviction de leur capacité à opérer en totale autonomie face aux autorités publiques, et en particulier vis-à-vis du droit de l’Union européenne, confortée en cela par l’absence de référence au sport dans les traités fondateurs. Cette perception s’est maintenue jusqu’à l’adoption du Traité de Lisbonne en 2009, qui, sans viser à réguler directement le sport au niveau européen, confère à l’Union une compétence d’appui permettant la création d’instruments déclaratifs non contraignants sur le plan juridique.

Dans le football européen, les arguments principaux en faveur de l’indépendance du sport incluent la reconnaissance que les entités sportives possèdent une expertise spécialisée, les rendant plus aptes à gérer les activités sportives que les autorités gouvernementales, en raison de leur connaissance approfondie des besoins des athlètes et des supporters [13]. Cette autonomie assure également l’intégrité et la souveraineté des organisations sportives, les protégeant des ingérences politiques et économiques. L’indépendance du sport est considérée comme un principe fondamental de la gouvernance démocratique, assurant la transparence, la responsabilité et l’engagement des acteurs concernés dans les décisions.

Néanmoins, cela ne signifie pas que le sport échappe à l’influence des institutions européennes. Lorsqu’une question sportive est portée devant le juge communautaire, celui-ci rappelle que le sport, en tant qu’activité économique, est soumis au droit européen et à l’acquis communautaire, notamment en matière d’interdiction des ententes et de dialogue social, comme l’illustrent les articles 101, 154 et 155 du TFUE. L’intérêt de l’Europe pour la question relevant du domaine sportif ne se limite pas à une simple question de l’autonomie, mais aussi de financement. Le financement des organisations sportives par des fonds publics peut engendrer des conflits d’intérêts et des pressions politiques. Par ailleurs, ces organisations doivent se conformer à des règles et normes européennes, qui peuvent restreindre leur autonomie et leur capacité de prise de décisions indépendantes.

Ainsi, elles sont également régies par des normes nationales, qui peuvent varier significativement d’un pays à l’autre. Il est alors essentiel de rappeler qu’en Europe, les juridictions européennes ont, à travers divers jugements, délimité l’autonomie accordée au secteur sportif. Notamment, l’article 3 du Traité de Rome énonçait les objectifs essentiels à sa mise en œuvre s’agissant de la libre circulation des personnes, des services et des capitaux. Il est également capital d’examiner les interactions entre l’Union européenne et l’UEFA en ce qui concerne la libre circulation des footballeurs professionnels [14]. Dès 1989, la Commission européenne et le Parlement européen se sont prononcés en faveur de cette libre circulation. Ils ont ainsi exhorté la Commission à intenter des actions contre les autorités nationales de football pour non-respect du droit communautaire lors de la formation des équipes nationales [15]. Bien que les institutions internationales du football aient cherché à maintenir leur position dominante et leur autonomie face au droit communautaire, l’arrêt Bosman [16] rendu par la CJCE le 15 décembre 1995 demeure emblématique [17]. Cette décision a établi une interaction fondamentale entre le droit communautaire et le sport, même si l’assimilation de cette réalité par le mouvement sportif n’est pas immédiate. La suppression des quotas de joueurs nationaux et la libéralisation du marché des droits télévisuels ont bouleversé l’ancien paysage sportif. Cette évolution a engendré une mobilité accrue des joueurs et une corrélation entre la richesse économique et la réussite sportive.

Ainsi, considérant que ce n’est point la première occurrence où l’Union européenne intervient dans le secteur sportif, de telles actions ont répétitivement influencé, avec une acuité particulière, le domaine du football.

B. L’intervention récidiviste de l’Union européenne dans le mouvement sportif.

Dans une série de jugements devenus pivots, tels que Walrave et Koch [18], Dona [19] et Deliège [20], la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) a éclairé le paysage juridique du sport en examinant la question de la restriction fondée sur la nationalité au regard du droit communautaire.

Notamment, avec l’arrêt Walrave et Koch, la cour avait établi que les réglementations qui concernent exclusivement le sport ne relèvent pas du champ d’action du droit de l’Union européenne, les percevant comme distinctes des activités économiques couvertes par le Traité sur la Communauté européenne. De même, dans l’affaire Deliège, la cour a reconnu l’aptitude prééminente des organisations sportives à établir des réglementations spécifiquement sportives, en raison de leur expertise et de leur expérience approfondie dans le domaine.

Cependant, le mouvement sportif a rapidement remarqué que les questions se complexifient en présence des questions économiques. Notamment, l’arrêt Meca-Medina [21] marque un revirement de la jurisprudence de l’UE dans le secteur sportif en soumettant les règlements antidopage, traditionnellement considérés comme relevant de la compétence des autorités sportives, au cadre juridique européen sous l’aspect de la concurrence. Cette décision pourrait potentiellement encourager une augmentation des recours judiciaires cherchant à remettre en question les normes et pratiques actuelles du sport sur la base du droit européen [22].

Cela dit, il est nonobstant que l’Union européenne n’était pas indifférente sur les questions économiques relevant du football. Cela a été mis en question de nouveau dans l’affaire C-333/21, opposant la FIFA et l’UEFA à la Superleague. Il importe d’analyser cette décision dans le cadre d’une éventuelle fragilisation de la pyramide de football, ou bien selon l’utilisation de Franck Latty de la « lex FIFA » et d’analyser si les régulations de la FIFA sont susceptibles d’être redéfinies par des juges luxembourgeois ?

II. Le projet Super League : une mise en question de l’autorité de la FIFA et de l’UEFA ?

En l’espèce, un groupe de douze clubs européens a tenté d’établir une nouvelle compétition, la Superleague, via la société European Superleague Company basée en Espagne. Face à la résistance de la FIFA et de l’UEFA, qui ont menacé de sanctions les clubs et joueurs participants, European Superleague Company a porté l’affaire devant le Tribunal de commerce de Madrid, arguant que les règles d’autorisation des compétitions et de gestion des droits médias vont à l’encontre du droit de l’Union, notamment en raison de la position monopolistique de la FIFA et de l’UEFA. Saisie par le tribunal espagnol [23], la Cour de justice reconnaît que l’organisation de compétitions interclubs et la gestion des droits médias constituent des activités économiques soumises aux règles de concurrence et aux libertés de circulation, tout en notant que le secteur sportif a ses spécificités, telles que la présence d’associations réglementaires avec des capacités de contrôle et de sanction. La cour note également que la FIFA et l’UEFA organisent elles-mêmes des compétitions de football, en plus de leurs rôles réglementaires.

Avant d’entamer une réflexion sur la position de la CJUE, il convient de rappeler que la CJUE n’a pas fait directement une interprétation sur l’abus de position dominante de la FIFA et de l’UEFA ainsi que la hiérarchie existante au sein du football international et européen (A). De ce fait, il faut tirer d’abord l’attention sur le fait qu’il existe une discordance entre le Communiqué de presse de la CJUE [24] et de l’arrêt de la CJUE au niveau de l’interprétation de l’autorisation préalable des compétitions de football interclubs dans le cadre de droit de la concurrence. En outre, la CJUE a constaté que les règles accordant aux fédérations sportives le droit exclusif de commercialiser les droits médiatiques des compétitions sont restrictives pour la concurrence et potentiellement illégales (B).

A. Une réaffirmation de la position hiérarchique de la FIFA et de l’UEFA en matière réglementaire.

Tout d’abord, la décision de la CJUE ne compromet pas la position hiérarchique de la FIFA et de l’UEFA en matière réglementaire. Alors, il n’est pas question ici des règles éventuellement établies par la FIFA et l’UEFA pour d’autres activités, ni des articles de leurs statuts concernant leur fonctionnement, leur structure, leurs objectifs ou même leur existence en tant qu’associations. Il est à noter que la cour a précédemment souligné que ces associations jouissent d’une autonomie juridique qui leur confère la capacité d’établir des règlements, en particulier ceux relatifs à l’organisation de leurs compétitions, à la bonne conduite de celles-ci et à la participation des athlètes [25].

De l’autre côté, la CJUE rappelle que les spécificités du football professionnel ne justifient pas l’adoption ni l’application de règles d’autorisation préalable et de participation sans limites claires, sans obligations ou sans contrôle apte à prévenir l’abus d’une position dominante. La CJUE souligne que pour caractériser un « abus de position dominante », il est généralement nécessaire de prouver que le comportement en question, en s’écartant de la concurrence méritocratique, a un effet restrictif, actuel ou potentiel, sur la concurrence, en empêchant l’entrée ou en excluant des concurrents aussi efficaces du marché [26]. En outre, l’octroi de droits exclusifs ou spéciaux ne doit pas permettre à l’entreprise de pratiquer cet abus, notamment en déterminant les conditions d’accès au marché pour les concurrents potentiels de manière arbitraire, ce qui nécessite des critères et des procédures transparents, objectifs et non discriminatoires pour éviter toute violation du droit de l’UE.

Alors, la CJUE n’a fait qu’un état des lieux de critères matériels et de modalités procédurales garantissant la transparence, l’objectivité, la précision et la non-discrimination [27]. Cela concerne particulièrement la capacité d’empêcher des concurrents d’accéder au marché. Il est ensuite expliqué que des sanctions qui ne sont pas basées sur des critères et des procédures assurant la transparence, l’objectivité et la proportionnalité sont intrinsèquement discrétionnaires et donc contraires à l’article 102 du TFUE, car il est impossible de vérifier si leur application est justifiée et proportionnée.

Cela dit, la Cour de Justice de l’Union européenne a reconnu une fois de plus le rôle normatif de la FIFA et de l’UEFA comme instances dirigeantes dans le domaine du sport, leur accordant le droit d’établir et d’appliquer des règles régissant l’organisation des compétitions internationales de football professionnel, y compris les conditions d’approbation préalable pour la tenue de ces compétitions et la participation des clubs et des joueurs [28]. Elle a en outre clarifié que les règles fixées par les fédérations sportives pour l’éligibilité ou la préautorisation ne sont pas, en elles-mêmes, illégales ou contraires à la concurrence [29].

Ainsi, elle a également précisé que le projet de la Superleague, tel qu’il a été conçu à l’origine, n’est pas nécessairement légal et peut être interdit. Cependant, la cour a rappelé que la FIFA et l’UEFA ne peuvent exercer un droit de pré-approbation sur des compétitions alternatives sans établir des critères prédéterminés, transparents, objectifs, non discriminatoires, adéquats et proportionnés pour atteindre des objectifs sportifs légitimes conformément à l’article 165 TFEU.

En résumé, La CJUE a tranché que les règles de la FIFA et de l’UEFA, qui n’établissent pas de critères substantiels ou de règles procédurales détaillées pour l’approbation de nouvelles compétitions, sont par nature préjudiciables à la concurrence.

Ainsi, le fait que la FIFA et l’UEFA n’aient pas de monopole légal et que des entreprises puissent en théorie créer de nouvelles compétitions ne change rien à la réalité de leur domination de marché qui rend, en pratique, impossible la création viable d’une compétition externe à leur écosystème, compte tenu de leur contrôle sur les clubs, les joueurs et d’autres types de compétitions.

B. Une restriction concurrentielle et potentiellement illégale.

La Cour de justice de l’Union européenne a identifié que les pratiques accordant à des organisations sportives le monopole de la commercialisation des droits de diffusion des événements sportifs pourraient entraver la libre concurrence et s’avérer potentiellement contraires à la législation européenne. Ces pratiques ne peuvent être considérées comme légitimes que si elles sont démontrées comme étant essentielles à la création de bénéfices significatifs pour la collectivité sportive et les consommateurs, et ce, au point de contrebalancer les restrictions imposées. Il appartient aux juridictions nationales d’effectuer cette analyse. Ce nouvel angle d’approche pourrait jouer un rôle crucial, susceptible de redéfinir l’équilibre des forces au sein du secteur sportif entre les instances dirigeantes et les clubs ou athlètes affiliés.

Ainsi, l’organisation des compétitions de football interclubs représente une activité économique importante, ce qui constitue le véritable objet du litige. La Super League, une organisation controversée de football, et l’UEFA, le corps administratif du football européen, représentent deux visions concurrentes pour l’organisation et le financement du football de club européen. Le débat entre ces deux entités soulève plusieurs questions fondamentales relatives à la gouvernance du sport, la distribution des revenus, la lutte contre le dopage, les droits de diffusion et la contribution au sport européen.

Tout d’abord, la Super League envisage de distribuer ses revenus exclusivement aux clubs participants, ce qui suggère une approche centrée sur les intérêts de ces clubs élites. En revanche, l’UEFA affirme répartir ses recettes sur l’ensemble du football européen, promouvant ainsi une vision plus solidaire du développement sportif [30]. Cette différence reflète les tensions entre un modèle fermé de compétition, favorisant la stabilité financière des clubs les plus riches, et un modèle ouvert, visant à préserver les chances de compétition équitable et le développement du football à tous les niveaux. Dans ce contexte, les structures de gouvernance doivent équilibrer les impératifs économiques avec les principes éthiques du sport.

Alors d’une part, la cour a rappelé que les règles actuelles [31], qui donnent à la FIFA et à l’UEFA un contrôle exclusif sur les droits des compétitions interclubs, pourraient être considérées comme limitant la concurrence. Cela est dû au fait qu’elles empêchent d’autres formes de gestion et d’exploitation de ces compétitions qui pourraient exister si la FIFA et l’UEFA n’imposaient pas un tel contrôle. Ces pratiques pourraient constituer un abus de position dominante, sauf si elles sont justifiées, particulièrement lorsque ces règles sont associées à des exigences d’approbation préalable et à des sanctions pour les clubs et joueurs impliqués.

D’autre part, la cour a rappelé d’une manière tangible et concrète que les bénéfices découlant de la vente centralisée des droits relatifs aux compétitions interclubs de football profitent effectivement à chaque catégorie d’usager, ce qui englobe non seulement les clubs professionnels et amateurs ainsi que les autres intervenants dans le monde du football, mais également les spectateurs et les téléspectateurs. Il incombera donc, en dernière analyse, à la juridiction de renvoi de statuer, à la lumière des éléments probants, notamment comptables et financiers, que les parties à l’instance principale seront appelées à produire, sur le bien-fondé des arguments avancés, qu’ils concernent la solidarité « horizontale » entre les clubs participants à ces compétitions ou la solidarité « verticale » avec les divers autres acteurs du football, et ce, en considération des normes en litige dans l’instance principale [32].

Les droits de diffusion constituent un autre enjeu crucial, touchant à la fois aux revenus considérables générés par le football et à l’accès des supporters aux matchs.

La question sera alors de savoir si les accords de diffusion de la Super League bénéficieraient à l’ensemble du football européen ou s’ils concentreraient les richesses entre quelques clubs privilégiés ?

Dans son ensemble, la controverse entre la Super League et l’UEFA est symptomatique des tensions entre commercialisation et préservation des valeurs sportives traditionnelles. L’issue de ce débat aura des implications importantes pour l’avenir du football européen, à la fois sur le terrain et dans sa structure économique et réglementaire.

Su Erbas, Doctorante et chargée d'enseignement à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Avocate au Barreau d'Istanbul, spécialiste du droit du sport

[1Affaire C-415/93 Union Royale Belge des Sociétés de football association ASBL c. Jean-Marc Bosman,1995.

[2Arrêt - 21/12/2023 - European Superleague Company Affaire C-333/21.

[3§23 de l’arrêt de la CJUE : ESLC est une entreprise de droit privé, créée en Espagne. Elle a été fondée à l’initiative d’un groupe de clubs de football professionnels basés en Espagne (Club Atlético de Madrid, Fútbol Club Barcelona et Real Madrid Club de Fútbol), en Italie (Associazione Calcio Milan, Football Club Internazionale Milano et Juventus Football Club) et au Royaume-Uni (Arsenal Football Club, Chelsea Football Club, Liverpool Football Club, Manchester City Football Club, Manchester United Football Club et Tottenham Hotspur Football Club).

[4Oswald, Le pouvoir juridictionnel des organisations sportives et ses limites, p. 42.

[5Ibid.

[6Ibid.p.43.

[7Oswald, « Associations » p. 21.

[8Cette responsabilité est expressément affirmée dans le préambule du Code d’éthique de la FIFA.

[9Zen Ruffinen, Piermarco, « Droit du Sport », Schulthess. Zürich , 2002 , p. 46.

[10Van Kleef, Rosmarijn, The legal status of disciplinary regulations in sport, Published online : 18 December 2013, T.M.C. Asser Instituut 2013 p. 35, « Cependant, dans la plupart des cas, un athlète n’est qu’un membre de son club, et dans certains cas également de sa fédération nationale, mais pas un membre de la fédération internationale ».

[11Article 2 et 4 du Statuts de la FIFA.

[12Zen Ruffinen, p. 125.

[13Chappelet, Jean-Loup, « L’autonomie du sport en Europe » Collection Politiques et pratiques sportives Editions du Conseil de l’Europe.

[14Le Noé, Olivier, « Le New Deal Sportif après l’arrêt Bosman : stratégie judiciaire et reconfiguration des relations professionnelles dans le football » p. 203.

[15Chappelet, p. 102.

[16Affaire C-415/93 Union Royale Belge des Sociétés de football association ASBL c. Jean-Marc Bosman,1995.

[17Dans cette affaire, Jean-Marc Bosman, footballeur professionnel, contestait le règlement UEFA-FIFA, le jugeant contraire aux articles 48 , 85 et 86 (liés aux règles de concurrence) du Traité de Rome, dénonçant ainsi une entrave à la libre circulation des footballeurs professionnels. La CJCE, par cette décision, a précisé que les normes édictées par les fédérations relatives aux activités sportives professionnelles devaient respecter les stipulations du Traité de Rome.

[18CJCE, 1974,Walrave et Koch contre Union Cycliste Internationale, aff. C-36/74.

[19CJCE, 1976, Gaetano Donà contre Mario Mantero, aff. C-13/76.

[20CJCE, 2000, Christelle Deliège contre Ligue francophone de judo and others, aff. jointes C-51/96 et C-191/97.

[21TPICE, 30 sept. 2004, aff. T-313/02, Meca-Medina.

[22Avec l’arrêt Meca Medina, le mouvement sportif était en face d’une question plus emblématique et importante. La compétence de la Cour de justice de l’Union européenne pour évaluer la proportionnalité des sanctions antidopage a soulève la question de savoir si de telles appréciations ne devraient pas être réservées aux autorités sportives, telles que le Tribunal Arbitral du Sport (TAS).

[23Le Tribunal de Madrid a posé les questions suivantes à la Cour de Justice de l’UE :
1. Est-il interdit, selon le droit de l’UE, pour la FIFA et l’UEFA d’exiger une autorisation pour créer des compétitions comme la Super League sans procédure claire et équitable, tout en ayant un possible conflit d’intérêts ?
2. Est-ce contraire au droit de l’UE si la FIFA et l’UEFA empêchent la création de compétitions comme la Super League, sans critères objectifs et en situation de conflit d’intérêts ?
3. Les menaces de sanctions de la FIFA et de l’UEFA contre les clubs et joueurs de la Super League, sans bases objectives, sont-elles prohibées par le droit de l’UE ?
4. Les statuts de la FIFA attribuant à l’UEFA et à ses associations nationales la propriété exclusive des droits des compétitions sont-ils compatibles avec le droit de l’UE ?
5. Si la FIFA et l’UEFA bloquent la Super League, est-ce que cela constitue une restriction de concurrence acceptable ou un abus de position dominante selon le droit de l’UE ?
6. Les exigences de la FIFA et de l’UEFA pour approuver des compétitions comme la Super League restreignent-elles les libertés fondamentales garanties par le droit de l’UE ?

[24Communiqué de presse de la CJUE, Arrêt de la cour dans l’affaire C-333/21 | European Superleague Company, Luxembourg, le 21 décembre 2023.

[25§75 et §142 de l’arrêt de la CJUE.

[26§129 à 138 de l’arrêt de la CJUE.

[27§203 de l’arrêt de la CJUE.

[28§142 de l’arrêt de la CJUE.

[29§39 de l’arrêt de la CJUE.

[30Le rapport du budget 2022/2023 de l’UEFA.

[31Articles 67 et 68 des statuts de la FIFA.

[32§236 à 237 de l’arrêt de la CJUE.