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Le conciliateur fait-il du droit sans le vouloir ? Par Jean-Claude Richard, Avocat honoraire.
Parution : mercredi 10 janvier 2024
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Le conciliateur prend des décisions juridiques qui exposent sa responsabilité, et qui posent la question de l’assurance de ce risque.

« Le conciliateur ne fait pas de droit et n’est pas responsable, d’autant plus qu’il est bénévole ». Cette philosophie connaît un certain succès dans le monde de la conciliation. Elle est rassurante. Elle est confortée par l’interdiction faite au conciliateur de donner des consultations juridiques, ce qui laisse à penser qu’il lui est interdit de faire du droit, ce qui n’est pas la même chose.
Le conciliateur fait du droit, il prend des décisions de droit, et en particulier celles relatives à la rédaction du constat d’échec.

En effet c’est au conciliateur d’apprécier, et donc de juger, si l’absence d’une partie à la conciliation, la non réponse à une convocation etc. constitue une situation d’échec ou de carence. Il prendra ensuite la décision qu’il estime justifiée, carence ou échec de la conciliation, et rédigera le constat adéquat.
Or ce constat aura des conséquences, en particulier sur la prescription.

Comme nous le savons l’article 2238 du code civil dispose en son alinéa 1 que la prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d’accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation.
La jurisprudence retient que la saisine unilatérale d’un conciliateur sans accord écrit des autres parties, qui ont refusé de participer à la réunion de « tentative de dialogue » organisée par le conciliateur et qui n’ont pas donné suite aux relances de celui-ci, n’a pas d’effet interruptif de prescription [1].

Donc le conciliateur devra apprécier si la conciliation a bien été entreprise ou non. Si elle a été entreprise et qu’elle a abouti à un échec, il rédigera un constat d’échec, et cette procédure de conciliation aura un effet suspensif.

Or le conciliateur peut commettre une erreur de jugement.
Par exemple il peut estimer que la conciliation n’a pas été entreprise, et rédiger un constat de carence alors qu’en fait les parties ont entamé le processus de conciliation, ce qui aurait dû le conduire à établir un constat d’échec, avec effet suspensif.
La prescription n’ayant pas été suspendue, elle pourra être opposée avec succès au demandeur à l’action, qui aura saisi un tribunal à la suite de la non-conciliation. Le justiciable ne pourra plus agir, car la prescription aura été acquise.
Il s’agit bien sûr d’un cas d’école, mais on ne voit pas ce qui pourrait empêcher le justiciable de rechercher la responsabilité du conciliateur, dont l’erreur lui aura causé un préjudice, en relation avec son appréciation fautive.

Le conciliateur réalise donc des actes juridiques, dont il est responsable. Cette question ne fait pas débat, puisque cette responsabilité a déjà été évoquée dans deux questions écrites, au Sénat et à l’Assemblée nationale, le ministère de la Justice ayant à chaque fois répondu par la même formule : « la responsabilité du conciliateur de justice pourrait être engagée s’il commettait une faute personnelle à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, dans ce cas… » [2]

Le conciliateur doit-il s’assurer ?
La réponse du ministère de la Justice, est la même aux deux questions posées : « dans ce cas… il serait soumis aux règles de la responsabilité de droit commun et pourrait appeler l’État en garantie. »
Toutefois, le conciliateur peut décider de s’assurer lui-même, et souscrire une assurance RCP. Il peut également adhérer à certaines associations, qui procurent une assurance RCP dont le coût est compris dans la cotisation. Enfin le risque ne paraît pas limité au taux du ressort de 5 000 €.

Jean-Claude Richard, avocat honoraire, ancien conciliateur de justice.

[1Colmar 2ème chambre civile section A 1er Juin 2018 n° 16/03983

[2Question écrite de Mr Zocchetto n° 16745 JO Sénat 5/01/2012 et question de Mr Favennec-Bécot n° 99009 réponse publiée au JO AN 3/01/2012 page 81.