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La consécration de la réhabilitation des sites d’orpaillage illégaux guyanais par le Conseil d’État. Par Matéo Bonet, Étudiant.
Parution : mercredi 3 janvier 2024
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Le 20 décembre 2023, suite à une action menée conjointement par l’association Maiouri Nature Guyane et l’association Wild Legal, le Conseil d’État a rejeté un important recours dirigé contre certaines dispositions de l’ordonnance du 10 novembre 2022 tenant à la réhabilitation et l’attribution d’exploitations aurifères illégales guyanaises à des exploitants reconnus.

Conseil d’État (section du contentieux, 6e chambre) le 20 décembre 2023, arrêt n° 470399

I. L’orpaillage guyanais, concurrence entre exploitants légaux et clandestins.

« En Guyane, la forêt amazonienne semble infinie, préservée de toute activité humaine. Pourtant, à certains endroits, des zones déforestées et occupées par les entreprises minières à la recherche d’or... » (France 24).

L’orpaillage est l’une des activités les plus anciennes en Guyane. De nombreux exploitants reconnus se partagent aujourd’hui les zones d’exploitations pour extraire le plus d’or possible mais doivent également faire face à la concurrence déloyale et illégale des orpailleurs clandestins. Il existe aujourd’hui plus de 10 000 orpailleurs clandestins [1] exerçant sur le sol guyanais et qui sont confrontés à l’action française, notamment au travers d’actions interministérielles comme la mission Harpie.
La France dispose pour cela d’un budget de 70 millions d’euros par an et utilise régulièrement les forces armées sur place pour concrétiser matériellement son action.
Ces orpailleurs illégaux participent chaque année à l’extraction illégale de près de 10 tonnes d’or, contre seulement 1 tonne de manière légale.


Afin d’améliorer leur productivité, les exploitants reconnus ont longtemps cherché à obtenir l’autorisation de reprise des sites illégaux après expulsion des orpailleurs clandestins. Ils justifient cette solution par une réhabilitation du site et des environs, une exploitation du site encadrée, et l’impossibilité pour les clandestins de se réinstaller.

Pour ce qu’il en est d’empêcher les orpailleurs illégaux de se réimplanter dans les zones d’exploitation, plusieurs études menées - dont notamment une enquête parlementaire - montrent que l’attribution des zones n’est pas un frein mais plutôt un vecteur de l’apparition des orpailleurs illégaux aux alentours des zones d’exploitation.
Cela peut s’expliquer de plusieurs manières, d’abord par la présence de matériel, d’outils nécessaires, de zones déjà organisées ou défrichées, mais également par une collaboration indirecte et masquée entre exploitants légaux et orpailleurs illégaux.
Quant à l’argument d’une exploitation saine du site, il s’avère nécessaire d’apporter quelques nuances. Il n’est pas ici réellement question d’une exploitation propre ou respectueuse de l’environnement, mais plutôt d’une meilleure gestion en raison d’une plus grande échelle.
En effet, que l’exploitation soit légale ou non, les procédés d’extractions ont les mêmes conséquences environnementales et humaines [2].
La destruction de la faune et la flore guyanaise est évidemment l’une des conséquences majeures de l’orpaillage guyanais mais on ne peut le limiter à cela. L’usage de cyanure et de mercure en grande quantité affecte la santé des populations tout en se propageant dans les cours d’eau et les nappes phréatiques, cause d’un énorme risque sanitaire pour les populations environnantes. Enfin, les exploitations minières sont également sources d’une grande pollution atmosphérique et sonore, pouvant affecter plus globalement l’entièreté de la biodiversité.

C’est en ce sens qu’il était plus que nécessaire de modifier les différentes normes juridiques encadrant l’exploitation minière d’or et la protection de l’environnement nécessaire qui en découle.

II. Un encadrement législatif et réglementaire en vue d’une meilleure protection de l’environnement.

Après les Accords de Paris de 2015 et les récentes prises de conscience environnementales, la loi 2021-1104, connue sous le nom « Loi Climat et résilience » portant lutte contre le réchauffement climatique est adoptée le 22 août 2021.
Dans son article 81, la loi Climat autorise le gouvernement à adopter, dans un délai de 15 mois, par ordonnance, toute mesure « destinée à mieux encadrer l’activité minière en matière d’or » ou de nature « à faciliter la réhabilitation des sites ayant été le siège d’activités illégales d’orpaillage ». Elle cristallise l’action française en matière environnementale en définissant largement mais aussi de manière sectorielle le cadre des politiques à venir.

C’est dans cette continuité que s’insère l’ordonnance 2022-1423 du 22 novembre 2022, qui vient préciser les différentes modalités de réhabilitation des sites illégaux d’orpaillage en Guyane.
L’article 5 de l’ordonnance vient remplacer l’article L621-4-1 du code minier par les termes suivants :

« Afin de lutter contre l’orpaillage illégal, le représentant de l’Etat peut délimiter un périmètre à l’intérieur de zones irrégulièrement exploitées et ouvertes à l’activité minière par le schéma départemental d’orientation minière, où sera conduit un projet, au sens du 1° de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, destiné à prévenir un danger grave pour les intérêts mentionnés à l’article L. 161-1 du code minier ou à y remédier ».
« Ce projet minier est arrêté et autorisé par le représentant de l’Etat, après l’accomplissement d’une consultation du public par voie électronique réalisée conformément à l’article L. 123-19-2 du code de l’environnement ».
« Il est mis en œuvre soit par des opérateurs retenus à l’issue d’une procédure de sélection par le représentant de l’Etat, soit par le détenteur du titre minier, du permis ou de l’autorisation d’exploitation correspondant à la zone impactée par cette exploitation irrégulière
 ».

Toutes ces nouvelles dispositions encadrent d’une manière plus large les exploitations minières d’or et poursuivent ainsi l’objectif de réhabilitation des anciens sites illégaux, qui peuvent désormais bénéficier aux exploitants réguliers sur décision du représentant de l’État.

C’est cette même disposition qui a été attaquée par l’association Maiouri Nature Guyane, supplée par Legal Wild, en janvier 2023 pour excès de pouvoir, en dénonçant la main mise et les pressions des exploitants sur les politiques publiques et les processus d’attribution des autorisations.
Les dispositions attaquées le sont également au motif qu’elles ne remplissent pas l’objectif de protection de l’environnement que doit poursuivre la France, dans le sens ou la réhabilitation des sites illégaux n’entraine pas une diminution de l’orpaillage mais facilite les exploitants légaux dans l’obtention de nouveaux sites à exploiter et polluer.

III. Une décision du Conseil d’État encourageante mais insuffisante au regard des enjeux environnementaux.

Sans grande surprise, le Conseil d’État, dans sa décision n°470399 ne fait pas suite aux arguments de l’association requérante en excluant l’excès de pouvoir de l’ordonnance par l’autorisation d’un tel acte accordée à l’article 81 de la loi 2021-1104. Toutefois, le Conseil d’État rappelle et précise les deux conditions nécessaires à l’octroi d’une autorisation de reprise d’un site illégal. Il est en effet nécessaire de se soumettre à une étude environnementale ainsi qu’une consultation locale tout en respectant une procédure de sélection encadrée pour l’exploitant. Ainsi, toute utilisation de l’ordonnance de manière détournée afin d’attribuer des autorisations accélérées d’exploitation est immédiatement écartée par le Conseil d’État et rassure de ce fait les associations locales qui dénonçaient la potentialité d’un tel détournement.

Par un prisme strictement environnemental, la maigre compensation de la double conditionnalité apparaît comme largement insuffisante. En effet, l’ordonnance pousse ainsi la réhabilitation des exploitations minières et non la réduction ou la suppression de celles-ci et ce, en dépit de toutes les conséquences environnementales que l’on connait, sans non plus minimiser les conséquences néfastes sur les populations environnantes de par la présence excessive de mercure et de cyanure. La France est ainsi dénoncée comme participant à la déforestation de l’Amazonie.

De plus, la confirmation d’une telle ordonnance reste assez problématique dès lors qu’on s’intéresse à la position dans laquelle elle place les exploitants légaux. En effet, ces derniers sont placés comme des protecteurs confirmés de l’environnement, exploitant les sites miniers de manière durable et respectueuse.
La formulation du considérant 5 de la décision du Conseil d’État pousse à réflexion puisque ce dernier considère que les dispositions de l’ordonnance sont de nature à lutter contre les effets de l’orpaillage illégal sur l’environnement. Par cette différenciation entre l’activité légale et celle illégale,elle crée une nette séparation entre les conséquences environnementales de l’une et l’autre, alors même que l’orpaillage légal n’est pas sans conséquence sur l’environnement. Peut se poser également la question de potentielles pressions des exploitants et lobbies miniers ultra-riches sur les politiques publiques locales et dans les processus décisionnels.

Cette action n’est pas la seule action menée par les associations locales et environnementales en Guyane puisque de nombreux litiges sont actuellement pendants devant les tribunaux en matière de carence fautive de l’État. Ainsi, une action récemment lancée en octobre dénonce la carence fautive de l’État français dans la protection de la santé de ses citoyens et de ses écosystèmes. Pour obtenir justice, le collectif associatif se base sur les précédentes jurisprudences en matière environnementale avec les affaires « Erika » [3] ou « rivière Turag » [4].
Dans un précédent communiqué, le collectif d’associations avançait qu’« il n’est pas tolérable que les actions de l’État se contentent de faire encore et encore le constat des dommages depuis trente ans, sans y mettre fin ».

Pour ce qu’il en est des normes nationales, certaines pistes sont actuellement en cours d’étude. L’obligation de reboisement est l’une des idées les plus envisagées en tant qu’elle permettrait une réhabilitation/préservation de la forêt. Malgré les annonces du président américain portant sur un plan de 20 milliards de dollars d’aide, cette idée reste néanmoins très largement utopique car elle nécessite d’énormes investissements continus de la part des nombreuses puissances publiques qui sont liées à l’orpaillage en Amazonie.

Pour conclure, même si l’encadrement législatif pousse de prime abord vers la protection de l’environnement, il est encore très loin, dans sa conception, dans son interprétation mais également dans son application, de ce qui est nécessaire pour protéger efficacement l’environnement et la biodiversité guyanaise. Ces recours, motivés par des associations soucieuses de l’environnement qui les entoure, sont toutefois les premières bases d’une protection de l’environnement dans le prétoire et affecteront la matière juridique par les innovations dont ils seront la source.

Sources :

Matéo Bonet, Étudiant, M1 droit européen - Droit global du changement climatique.

[110 000 orpailleurs clandestins pour près de 500 sites illégaux en Guyane selon France Guyane.

[2"L’impact environnemental et social de l’orpaillage au Guyana" par Cairn.info (article à lire ici).

[3Consécration du préjudice écologique et de sa nécessaire réparation dans une décision rendue par la Cour de cassation, Chambre criminelle, le 25 septembre 2012, n°10-82.938

[4Reconnaissance de la personnalité juridique et du caractère d’entité vivante aux fleuves au Bangladesh dans une décision de la Haute Cour du Bangladesh en 2019.

[5Article à lire ici.