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Saisir la Cour européenne des droits de l’Homme : mode d’emploi. Par Samy Merlo, Juriste.
Parution : jeudi 7 mars 2024
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La Cour européenne des droits de l’Homme, ou "Cour EDH", est une juridiction internationale, localisée à Strasbourg (France).
Pour cette raison, on l’appelle aussi "Cour de Strasbourg".
Elle peut être saisie par toute personne se trouvant sous la juridiction de l’un de ses 46 États-parties [1], quelle que soit sa nationalité (même extra-européenne), avec ou sans avocat.
Le guide qui va suivre n’a pas vocation à être exhaustif, ni à se substituer aux conseils personnalisés d’un professionnel du droit.

La Cour européenne des droits de l’Homme : qu’est-ce que c’est ?

Sa genèse.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements des États européens ont élaboré, successivement, deux traités :

À l’instar de la Constitution des États-Unis d’Amérique, le texte original est resté inchangé (ou presque), mais doit être lu à la lumière d’"amendements" successifs, appelés "Protocoles additionnels".

La Convention et ses Protocoles additionnels sont consultables en ligne [2].

Ces Protocoles ne doivent pas être oubliés, puisqu’ils sont pleinement applicables, au même titre que le texte original, sous certaines réserves pouvant avoir été émises par tel ou tel État avant ratification [3].

Ainsi, alors que l’article 2 de la Convention stipule expressément :

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ».

Le passage en gras, resté tel quel, est devenu lettre morte, suite à la ratification du Protocole n° 6, qui stipule en son premier article :

« Abolition de la peine de mort.
La peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté
 » [4].

Contra : l’article 35 de la Convention a bel et bien été modifié. Ainsi qu’on le verra, il stipule, dans sa version actuelle, un délai de quatre mois pour saisir la cour, à compter de la date de la décision interne définitive. Ce délai était autrefois de six mois. Cette modification résulte de l’entrée en vigueur du Protocole additionnel n° 15.

D’autres modifications mineures ont aussi été apportées par ce Protocole.

La Convention et ses Protocoles additionnels doivent, en outre, être lus à l’aune du règlement de la cour ainsi que des « instructions pratiques » sont consultables en ligne [5].

Son objet.

Ce Conseil et cette Convention ont essentiellement pour objet de promouvoir et protéger les droits fondamentaux au sein de l’Europe, eux-mêmes inspirés de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ("DUDH"), ainsi que cela résulte du préambule de la Convention (extrait) :
« Les gouvernements signataires, membres du Conseil de l’Europe,
Considérant la Déclaration universelle des droits de l’homme, proclamée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948 ;
Considérant que cette déclaration tend à assurer la reconnaissance et l’application universelles et effectives des droits qui y sont énoncés ;
Considérant que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres, et que l’un des moyens
d’atteindre ce but est la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales
 ».

Attention : ces institutions ne doivent pas être confondues avec celles organisant la "Communauté économique européenne", devenue "Union européenne", laquelle regroupe 27 États-membres à ce jour, et dont l’objet dépasse très largement le simple cadre des droits humains.

Le même préambule s’achève ainsi : « Affirmant qu’il incombe au premier chef aux Hautes Parties contractantes, conformément au principe de subsidiarité, de garantir le respect des droits et libertés définis dans la présente Convention et ses Protocoles, et que, ce faisant, elles jouissent
d’une marge d’appréciation, sous le contrôle de la Cour européenne des Droits de l’Homme instituée par la présente Convention,
Sont convenus de ce qui suit
 ».

Puis embraye sur le premier article.

Il résulte donc de ce préambule que la Cour de Strasbourg a pour objet de contrôler la bonne application, par les États-parties, des droits énumérés au sein de la Convention et ses Protocoles.

Sa localisation.

La Cour EDH est située en France, dans la ville de Strasbourg.

Son adresse postale est la suivante :

Madame la Greffière de la Cour européenne des droits de l’Homme
Conseil de l’Europe
67075 Strasbourg Cedex
France

Ainsi qu’il est expliqué au sein des instructions pratiques, elle ne peut être saisie que par voie postale : il est rigoureusement inutile de s’y déplacer physiquement.

Qui peut la saisir ?

Aux termes du premier article de la Convention :

« Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention ».

Et selon son article 34 :

« La cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit ».

Le spectre dont relèvent ces stipulations est extrêmement large, à dessein.

Ainsi, la recevabilité d’une requête n’est subordonnée, ni à un critère de résidence, ni moins encore à un critère de citoyenneté ou de nationalité [6].

De même, aucun critère géographique n’est opérant, dès lors que les violations alléguées par les requérants sont bien le fait des autorités de l’un des États-parties à la Convention.

Ainsi, le Royaume-Uni a pu être condamné par la Cour EDH, en raison d’agissements commis en Irak, au préjudice de ressortissants irakiens, tels l’arrestation et la détention de membres du parti Baath dans des centres gérés par les forces armées britanniques, avant remise aux autorités irakiennes [7].

L’on notera, d’ailleurs, que la Convention ne s’intitule pas « ... de l’Homme et du Citoyen », contrairement à la Déclaration de 1789, et pour cause : si celle-ci énumère, pêle-mêle, des droits individuels, acquis pour tous les êtres humains [8], et des droits politiques, réservés aux seuls titulaires de la citoyenneté [9], les droits stipulés par celle-là sont, au contraire, au bénéfice de tout être humain.

La Cour européenne des droits de l’Homme peut donc être saisie, in fine, par toute personne susceptible de justifier d’un grief à l’encontre de l’un des États-parties à la Convention, au visa d’au moins l’un des droits et libertés protégés par celle-ci ou ses Protocoles additionnels.

Quels sont ses pouvoirs ?

Saisie d’une requête, la Cour EDH opère un premier examen à juge unique.

La saisine n’est pas suspensive de la décision litigieuse en droit interne.

En application de l’article 27 de la Convention, le juge unique, soit rejette la requête comme manifestement irrecevable, ou la raye du rôle, soit la transmet à un comité ou à une chambre.

La décision de rejet ou de radiation ne peut faire l’objet d’aucun recours et met définitivement un terme à la procédure.

Selon le motif du rejet [10], tel le caractère prématuré de la requête, si les voies de recours internes n’ont pas encore été épuisées (comme on le verra), le requérant peut toujours réitérer sa requête, qu’il doit recomposer en entier, après avoir régularisé sa situation.

Le rejet de la requête à juge unique se produit avant que l’État défendeur ne soit attrait au litige : ce dernier n’a donc même pas connaissance de ladite requête.

Lorsque la requête est transmise, la cour s’efforce de trouver une solution amiable, en application de l’article 39 de la Convention.

Hors règlement amiable, et sauf radiation du rôle, la cour instruit l’affaire et rend un arrêt, lequel peut, en vertu de l’article 43 de la Convention et à titre exceptionnel, être contesté devant la Grande Chambre, en guise d’ultime recours.

Cet arrêt peut, soit constater l’absence de violation, soit la violation d’un ou plusieurs droits et libertés prévus par la Convention.

Lorsque l’arrêt est définitif [11], et qu’il ne constate aucune violation, il est mis un terme définitif à la procédure.

Au contraire, un arrêt peut constater l’existence d’une violation de la Convention ou ses Protocoles : la cour "condamne" l’État-partie. La notion de "condamnation" d’un État par la Cour européenne des droits de l’Homme résulte du langage courant, et non d’un langage juridique rigoureux.

Ce terme renvoie simplement au "constat" d’une violation : la cour « dit » qu’il y a eu, ou qu’il n’y a pas eu, violation de tel ou tel article.

En outre, en application de l’article 41 de la Convention, le requérant peut demander à la cour de "condamner" l’État défendeur au paiement d’une somme d’argent au titre de la « satisfaction équitable ».

Celle-ci n’est due que lorsque la cour estime que le simple constat solennel d’une violation n’est pas à lui seul susceptible de réparer le préjudice souffert par le requérant.

Là encore, le cas échéant, la cour « dit » que l’État défendeur « doit » verser au requérant la somme qu’il détermine.

De la même manière, une somme peut également être due au titre des frais et dépens (i.e. les frais d’avocat notamment) [12], mais seulement en cas de constat d’une violation.

Les décisions de la cour ne revêtent toutefois pas un caractère purement symbolique : bien au contraire, les États ont obligation de se conformer aux arrêts définitifs auxquels ils sont parties, selon l’article 46 de la Convention.

Cette mise en conformité peut passer, par exemple, par la réouverture d’un procès, et/ou par toutes autres mesures utiles au redressement des violations relevées par la cour, sans préjudice du paiement des sommes auxquelles l’État a été "condamné".

Le respect de cette obligation est surveillé par le Comité des Ministres, lequel peut « prendre » des « mesures » après mise en demeure infructueuse, selon les 4. et 5. du même article.

Le Comité surveille aussi la bonne exécution des règlements amiables, selon le 4. de l’article 39 de la Convention.

Enfin, la cour peut également, en cours de procédure et à titre très exceptionnel, ordonner des « mesures provisoires », aux termes de l’article 39 du règlement.

Le Comité des Ministres est là encore chargé de la bonne exécution de ces mesures, selon le 2. du même article.

De telles mesures concernent tout particulièrement les risques d’atteintes au droit à la vie (article 2 de la Convention) ou au droit de ne pas subir de traitements inhumains ou dégradants (article 3).

Par exemple, la cour a pu ordonner la suspension provisoire d’une décision du Conseil d’État français, visant à mettre un terme à l’alimentation et l’hydratation artificielles d’une personne tétraplégique [13].

Elle a également pu ordonner, à plusieurs reprises, de suspendre l’expulsion d’étrangers risquant de trouver la mort ou de subir des mauvais traitements au sein de leur pays d’origine [14].

Aucun recours n’est ouvert en cas de rejet de la demande d’un requérant de mettre en oeuvre une telle mesure.

Quelles sont les conditions préalables à sa saisine ?

Avoir épuisé toutes les voies de recours en droit interne.

Aux termes de l’article 35 de la Convention :

« 1. La cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus (...) ».

Autrement dit, la personne qui se plaint d’une violation de l’un de ses droits doit, d’abord et avant tout, tenter de solutionner son litige auprès des juridictions internes : à défaut de subsidiarité, la requête adressée à la Cour de Strasbourg ne sera pas recevable.

Elle doit donc commencer par épuiser toutes les voies de recours à sa disposition devant les instances nationales.

Typiquement, ces voies de recours sont :

Dès lors que ces voies de recours existent [15], elles doivent impérativement être utilisées, afin de ménager aux autorités nationales la possibilité de prévenir ou de redresser les violations alléguées [16].

Toutefois, lorsqu’il s’avère que le requérant dispose, en droit interne, de plusieurs voies de recours parallèles susceptibles de lui donner satisfaction, il lui appartient de choisir l’une d’elles : l’usage d’une autre voie dont le but est pratiquement le même n’est pas exigé [17].

Avoir discuté des droits dont la violation est alléguée, au moins en substance.

Au sein de la hiérarchie des normes, et de façon générale, les conventions internationales sont supérieures aux lois nationales.

La Convention européenne des droits de l’Homme n’y déroge pas : les juridictions internes des États-parties à la Convention sont tenues d’appliquer directement, non seulement la Convention et ses Protocoles (sauf réserves, comme vu supra), mais encore la jurisprudence de la Cour de Strasbourg elle-même.

Aussi, l’applicabilité de la Convention n’est pas soumise à une quelconque condition de réciprocité [18] : la carence d’un État à appliquer la Convention n’autorise pas les autres États à cesser de l’appliquer à leur tour.

La jurisprudence de la Cour EDH peut ainsi être utilement invoquée par les justiciables devant les instances nationales, même en l’absence de loi interne équivalente, et même encore lorsque la loi interne entre en contradiction avec la jurisprudence strasbourgeoise : les juges sont alors tenus d’écarter la loi interne au profit de la jurisprudence de Strasbourg [19].

La cour met à la disposition du public des "guides pratiques" pour chaque article de la Convention ainsi que ses Protocoles [20]. Ces guides sont régulièrement mis à jour et synthétisent l’ensemble de la jurisprudence afférente à chacun des droits protégés par la Convention et ses Protocoles.

Pour ces raisons, il ne suffit pas d’avoir épuisé toutes les voies de recours en droit interne : le requérant doit impérativement y avoir discuté des droits dont la violation est alléguée.

Toutefois, il n’est pas nécessaire de se référer expressément à la Convention et à ses Protocoles par devant les instances nationales, dès lors que le grief y a été soulevé « au moins en substance » [21].

Par exemple, si le requérant entend dénoncer devant la Cour de Strasbourg une violation de son droit à la vie privée, il n’est pas nécessaire d’avoir expressément invoqué devant les juridictions nationales l’article 8 de la Convention, ni même la jurisprudence afférente, mais seulement d’y avoir effectivement dénoncé la violation de ce droit.

En outre, une telle discussion doit impérativement avoir eu lieu au dernier niveau de juridiction en droit interne, y compris en cassation [22].

Ne pas être hors délai.

Comme on l’a déjà vu, l’article 35 de la Convention stipule un délai impératif de quatre mois [23] pour saisir la Cour de Strasbourg, à peine d’irrecevabilité de la requête, relevée d’office [24].

Le délai commence à courir le lendemain du jour où la décision définitive en droit interne a été prononcée en public, ou du jour où le requérant ou son représentant en a été informé, et expire quatre mois calendaires plus tard, indépendamment de leur véritable durée [25].

Le jour où le délai commence à courir est appelé « dies a quo » ; celui où il expire est appelé « dies ad quem ».

Attention : la cour ne tient pas compte du fait que le dies ad quem tombe un samedi, un dimanche ou un jour férié, et elle n’a cure d’une éventuelle prorogation accordée par le droit national en pareille situation [26].

Il appartient donc au requérant d’anticiper le problème et, le cas échéant, d’introduire sa requête en avance.

La règle se comprend parfaitement au regard de la très grande diversité culturelle, cultuelle et religieuse qui caractérise l’étendue des 46 États-parties à la Convention, et du nombre de spécificités calendaires nationales subséquentes, dont la cour n’a pas vocation à tenir compte.

Enfin, la requête est réputée introduite au jour où elle est expédiée par voie postale : dès lors, est recevable la requête reçue par le greffe de la cour hors délai, mais qui a été expédiée au cours du délai, le cachet de la poste faisant foi [27].

Ne pas avoir déjà saisi une autre instance internationale concernant la même affaire.

Lorsqu’une autre instance internationale a déjà été saisie de faits et de griefs substantiellement identiques par les mêmes personnes [28], la requête présentée devant la Cour de Strasbourg n’est pas recevable [29].

La cour dispose de la faculté d’examiner d’office cette fin de non-recevoir [30].

Coût et représentation.

Est-il nécessaire d’être représenté par un avocat ?

Selon l’article 36 du règlement de la cour, le requérant peut, à son choix, introduire lui-même sa requête en nom propre, ou se faire représenter à cette occasion.

Son représentant peut être aussi bien un avocat inscrit dans l’un des barreaux des États-parties (ou « conseil habilité à exercer dans l’une quelconque des Parties contractantes et résidant sur le territoire de l’une d’elles »), que toute autre personne de son choix, telle un ami, un proche, ou encore un tiers juriste autre qu’un avocat.

Ce n’est que lorsque la requête a valablement passé l’étape du juge unique, et qu’elle est transmise à l’État défendeur, que la représentation par avocat devient obligatoire.

La question de la représentation au stade de l’introduction de la requête ne doit toutefois pas être prise à la légère pour autant.

En effet, les statistiques de la cour pour l’année 2023 [31] indiquent (page 3 du document) :

« En 2023, 34 650 requêtes ont été attribuées à une formation judiciaire, ce qui représente une baisse globale de 24% par rapport au chiffre de 2022 (45 500). Sur ce total, 21 000 ont été identifiées comme devant être examinées par un juge unique et étaient normalement appelées à être déclarées irrecevables (soit une diminution de 21% par rapport à 2022) ».

Cela renvoie donc à un total d’environ 60,6% de requêtes identifiées comme irrecevables ab initio.

Et, à cet égard, une requête mal rédigée, ou non assortie des pièces pertinentes, a toutes les chances de connaître le même sort que ces 60,6%.

Or, lorsqu’il s’agit de saisir une instance internationale, le requérant n’a pas le droit à l’erreur : si sa requête est rejetée, il ne peut plus que se résigner.

C’est pourquoi, sauf à ce que le requérant soit lui-même un juriste confirmé, ce dernier a tout intérêt à se faire aider par un professionnel du droit, dès l’étape de l’introduction de la requête.

Il n’importe peu que cette personne ait ou non la qualité d’avocat.

Les seuls critères déterminants sont :

Sur le premier critère, il faut bien se rendre compte que tous les professionnels du droit - avocats compris - ne sont pas de fins connaisseurs de la Convention européenne des droits de l’Homme : bien au contraire, nombreuses sont les requêtes rendues irrecevables pour avoir omis de discuter, au moins en substance, des droits protégés par la Convention et ses Protocoles devant les juridictions internes ...

En outre, il n’est pas nécessaire d’avoir une fine connaissance ou une expertise particulière du droit national : en effet, l’office de la cour se borne strictement à contrôler le bon respect de la Convention et de ses Protocoles, à la lumière de sa propre jurisprudence. Au contraire, elle n’a pas vocation à remettre en cause l’interprétation ou l’application de la loi nationale par les juridictions internes, ni davantage à refaire le procès sur ses aspects factuels ou les éléments de preuves afférents [32].

Sur le second critère, l’exposé d’un raisonnement juridique rigoureux est un exercice qui ne s’improvise pas, et qui nécessite bien des années de formation et d’entraînement avant de parvenir à un résultat convainquant.

La tâche est d’autant plus ardue que le rédacteur est limité en termes d’espace : l’exposé des violations alléguées, comme on le verra infra, doit en effet tenir sur deux pages, ce qui nécessite encore un esprit de synthèse accru [33].

Pour toutes ces raisons, il apparaît souhaitable de privilégier, à choisir, l’assistance d’un juriste autre qu’un avocat mais spécialiste en la matière, qu’un avocat non spécialiste.

Existe-t-il un système d’aide judiciaire (ou "aide juridictionnelle") ?

Dans le prolongement de ce qui précède, le requérant doit aussi tenir compte du fait que, non, il n’existe pas de système d’aide judiciaire, ou "aide juridictionnelle", au stade de l’introduction de la requête ; du moins, pas au titre du règlement de la cour.

Si les articles 105 et suivants dudit règlement prévoient bien la possibilité d’une « assistance judiciaire » au bénéfice des requérants indigents, cette « assistance » n’est accessible qu’ « une fois que, conformément à l’article 54 § 2 b) du présent règlement, la Partie contractante défenderesse a présenté par écrit ses observations sur la recevabilité de la requête ou que le délai qui lui était imparti à cet effet a expiré », selon l’article 105.

Autrement dit, une fois passée l’étape du juge unique, une fois la représentation par avocat devenue obligatoire.

Il n’est donc pas utile de privilégier une représentation par avocat, dès le stade de l’introduction de la requête, dans le seul but d’avoir accès à la gratuité de ses services, à moins que la loi nationale ne prévoit, quant à elle, une telle prise en charge [34].

Quant au remboursement des frais et dépens, celui-ci n’intervient qu’en toute fin de procédure, et uniquement en cas de constat d’au moins une violation.

Comment la saisir ?

Ainsi qu’il résulte de l’article 47 du règlement, la saisine de la Cour européenne des droits de l’Homme se fait obligatoirement au moyen d’un formulaire prévu à cet effet, disponible sur le site officiel de la cour, à télécharger, à remplir, à imprimer, à signer et à poster à l’adresse indiquée.

Le formulaire est téléchargeable en ligne [35], dans l’encadré « Comment télécharger le formulaire de requête ».

Si le rédacteur fait le choix de remplir le formulaire à la main, il doit prendre le plus grand soin pour écrire très lisiblement.

Le formulaire, ainsi que ses pièces jointes, peuvent être présentés dans n’importe quelle langue officielle de l’un des États-parties à la Convention, ainsi qu’il résulte de l’article 34 du règlement.

Toutefois, selon le même article, les échanges entre la cour et les représentants des parties devront obligatoirement se faire en français ou en anglais - langues officielles de la cour - une fois passée l’étape du juge unique.

Les quatre premières pages.

Il s’agit d’informations usuelles au sujet du requérant (nom, prénom, adresse ...), de l’État défendeur (qui doit être l’un des 46 États-parties à la Convention, listés en page n° 2/13), et de l’éventuel représentant.

Il est nécessaire d’attribuer à ce dernier un pouvoir de représentation, dûment signé par le requérant, même s’il s’agit d’un avocat.

La requête, ainsi présentée par la cour, ne doit donc pas être anonyme, et son requérant doit être une personne identifiable, à peine d’irrecevabilité [36].

Aux termes des articles 33 et 47 du règlement, le requérant peut formuler une demande d’anonymisation de sa requête.

Cette demande doit être motivée, et l’anonymisation - si elle est accordée - ne vaut qu’à l’égard du public, et non à l’égard de l’État défendeur ni des éventuelles autres parties.

Pages 5 à 7.

Il s’agit de l’exposé des faits, mais également de la procédure en droit interne, ayant conduit à la saisine de la cour.

Ces faits et la procédure subséquente doivent être narrés de manière chronologique et synthétique.

Surtout, ils doivent être narrés sous l’angle du contrôle de la cour : au terme de ces trois pages, le lecteur doit avoir compris les tenants et aboutissants de l’affaire, d’une part, et doit avoir une idée des articles que le requérant s’apprête à invoquer dans les pages qui suivent, d’autre part.

Les faits doivent donc être relatés :

L’énoncé de la procédure doit faire apparaître toutes les principales décisions judiciaires en droit interne (généralement au nombre de trois : première instance, appel, cassation) ; la décision définitive doit impérativement être datée. En outre, si le requérant n’en a pas eu immédiatement connaissance, il doit être mentionné à quelle date celle-ci lui a effectivement été notifiée ou signifiée, à lui-même ou à son représentant, afin de montrer à la cour le bon respect du délai de forclusion de quatre mois.

L’énoncé de la procédure peut aussi être utilement détaillé concernant les discussions ayant pu se tenir devant les juridictions internes, eu égard aux droits de la Convention et de ses Protocoles.

Au contraire, il n’est pas utile de détailler les éventuelles polémiques afférentes aux éléments de preuves quant aux aspects factuels, ni quant à l’application ou l’interprétation de la loi interne par les juridictions nationales, dès lors qu’elles se trouvent être sans incidence sur le bon respect des droits en litige.

L’on a déjà vu, en effet, que la cour n’a pas vocation à connaître de griefs de « quatrième instance » [37].

Enfin, lors de l’énoncé chronologique des éléments de la procédure, le requérant peut, à chaque fois, indiquer entre parenthèses à quelle pièce jointe il est fait référence.

Exemple : « Le requérant a été condamné en première instance en date du ... par le tribunal de ... (pièce n° X)  ».

Cela n’est toutefois pas obligatoire.

Pages 8 et 9.

Sur ces pages doivent être indiqués les articles de la Convention et/ou de ses Protocoles dont la violation est alléguée.

À gauche, à la marge, les textes visés ; à droite, les arguments qui démontrent en quoi il y a eu violation.

Il appartient en effet au requérant, et à lui seul, de faire savoir quels droits ont selon lui été violés. La cour ne saurait, ni les relever d’office, ni les "déduire" de l’énoncé des faits, même si cet énoncé fait apparaître les violations de manière évidente.

Cette démonstration se fait, traditionnellement, en deux parties : « En droit » et « En fait » (en lettres capitales d’imprimerie).

Dans la partie « En droit », le rédacteur rappelle la règle de droit pertinente, jurisprudence de la cour à l’appui (de préférence).

La règle doit impérativement se rattacher au droit référencé à gauche à la marge.

Dans la partie « En fait », il explique en quoi la règle de droit a été violée. Il peut aussi rappeler la règle de droit interne, si ce rappel est pertinent pour mettre en lumière la violation alléguée.

L’article 47 alinéa 10 du règlement de la cour autorise le requérant à « compléter ces informations en joignant au formulaire de requête un document d’une longueur maximale de 20 pages exposant en détail les faits, les violations alléguées de la Convention et les arguments pertinents ». Aucune autre précision n’est donnée quant à la manière dont est censé se présenter ce document.

Page 10.

Sur cette page doivent être énoncés les « griefs » dont se plaint le requérant.

Un grief se caractérise par les faits qu’il dénonce, et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués [38].

À la marge, à gauche, le requérant doit donc lister les "faits" dont il se plaint et qui constituent le ou les grief(s).

Ces griefs doivent résulter des deux parties précédentes, à savoir le rappel des faits, et l’énoncé des articles dont la violation est alléguée.

Exemple : « Violation de l’article 6 de la Convention par le refus des juridictions internes de donner au requérant accès à son dossier, ce qui constitue une violation de l’équité du procès. »

La partie en gras constitue le grief.

L’on notera que la cour dispose toujours de la faculté de requalifier un grief, c’est-à-dire de substituer un article à celui invoqué par le requérant, dès lors qu’une telle requalification n’implique pas d’étendre l’objet de l’affaire au-delà du grief initialement exposé dans la requête [39].

Pour chaque grief, le requérant rappelle, à droite, de quelles voies de recours en droit interne il a fait usage, ainsi que la date de la décision définitive en droit interne, assortie le cas échéant de la date à laquelle elle a été dûment portée à sa connaissance ou à celle de son représentant.

Les trois dernières pages et les pièces jointes.

Le rédacteur explique, successivement, s’il disposait d’une voie de recours non utilisée et pourquoi, s’il a déjà saisi une autre instance internationale de la même affaire, et s’il a déjà saisi la Cour EDH d’autres requêtes.

Les réponses à ces questions devraient en principe être négatives.

Il doit énumérer ensuite, très soigneusement et chronologiquement, les pièces qu’il joint au formulaire.

Attention : seules des copies doivent être jointes au formulaire, jamais d’originaux (ils ne seront pas restitués).

Les pièces à joindre sont celles permettant de corroborer les faits, griefs et violations alléguées, et celles servant à démontrer le bon respect de la règle de subsidiarité.

Autrement dit, doivent être jointes :

Au contraire, il est rigoureusement inutile, et surtout contre-productif, de produire indistinctement tous les éléments de la procédure en interne : ainsi qu’on l’a dit, la Cour de Strasbourg n’a pas vocation à "refaire le procès" ; elle n’a donc pas vocation à réexaminer toute la procédure, mais seulement les points litigieux eu égard au respect de la Convention et de ses Protocoles.

Ces pièces doivent, en outre, être intitulées de manière intelligible (le lecteur doit avoir une idée précise du contenu de la pièce à la seule lecture de son intitulé), numérotées et paginées en page 12/13 du formulaire.

Exemple : si la première pièce fait 5 pages, elle doit être numérotée "1", et paginée "1 - 5" sur le formulaire.

Si la deuxième pièce fait 3 pages, elle doit être numérotée "2", et paginée "6 - 8".
Et ainsi de suite.

Les pièces elles-mêmes doivent aussi être numérotées et paginées, puis jointes au formulaire.

Cette opération doit être faite très soigneusement : la numérotation et surtout la pagination constituent un travail long et pénible, mais absolument nécessaire.

Enfin, le rédacteur ne doit pas oublier de dater et signer la requête en dernière page du formulaire, en indiquant sa qualité (requérant ou représentant) ainsi que son adresse. Il peut aussi faire part d’une dernière remarque dans l’encadré prévu à cet effet.

L’impression du formulaire et des pièces jointes se fait usuellement en recto seulement, bien qu’une impression en recto/verso ne soit pas rédhibitoire (aucune indication ou contre-indication n’est formulée à cet égard).

La cour met à la disposition des avocats une foire aux questions en ligne [40].

Samy Merlo, Juriste Mail: [->samy.merlo.juriste@laposte.net]

[147 jusqu’au 16 septembre 2022, date à laquelle la Fédération de Russie a cessé d’être partie à la Convention.

[3Par exemple, la France a expressément émis une réserve en marge de l’article 4 du Protocole n° 7. Cette réserve n’est pas lettre morte : Crim 1er mars 2000 n° 99-86.299 (Cour de cassation française, Chambre criminelle).

[4Le second article du même Protocole prévoit une exception en temps de guerre. Mais cette exception est à son tour abolie par le Protocole n° 13 : la peine de mort est donc bien totalement prohibée par le droit européen des droits de l’Homme, sans aucune exception à ce jour.

[6C’était d’ailleurs bien les termes « toute personne résidant sur leur territoire » qui étaient initialement prévus par le premier projet, avant d’être revus pour les raisons susvisées ; cf « Recueil des travaux préparatoires de la Convention européenne des Droits de l’Homme ».

[7Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, 4 octobre 2010, n° 61498/08 ; voir également Al-Jedda c. Royaume-Uni, [GC], 7 juillet 2011, n° 27021/08.

[8Liberté, propriété, sûreté, résistance à l’oppression ...

[9Droit de concourir à la formation de la loi, consentement à l’impôt...

[10Effectivement, la décision prise à juge unique est « sommairement motivée », selon l’article 52A du règlement. Lorsque le motif du rejet consiste en une requête manifestement infondée, la décision, dans le meilleur des cas, rappelle sommairement la jurisprudence adéquate. Dans le pire des cas, elle se borne à énoncer la formule suivante :
« La cour juge à la lumière de l’ensemble des éléments en sa possession que les faits dénoncés ne révèlent aucune apparence de violation des droits et libertés énumérés dans la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que ces allégations sont manifestement mal fondées au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention.
La cour déclare la requête irrecevable
 ».

[11Soit qu’il n’a pas été déféré devant la Grande Chambre, soit qu’il émane de la Grande Chambre elle-même, selon l’article 44 de la Convention.

[12Selon les instructions pratiques : « D. Frais et dépens
15. La cour peut ordonner de rembourser au requérant les frais et dépens qu’il a nécessairement, donc inévitablement, assumés - d’abord au niveau interne puis dans la procédure conduite devant elle - pour tenter d’empêcher la violation ou d’y apporter remède. Les frais et dépens incluent d’ordinaire les frais de l’assistance d’un avocat, les frais de justice et de traduction, les frais postaux, etc. Ils peuvent également comprendre les frais de déplacement et de séjour, notamment s’ils ont été occasionnés afin d’assister à une audience devant la cour
 ».

[13Lambert et autres c. France, [GC], 5 juin 2015.

[14Exemple : Abdollahi c. Turquie, 3 novembre 2009.

[15Et si tant est qu’elles existent, car les États-parties à la Convention n’ont pas l’obligation de créer des cours d’appel ou de cassation (Platakou c. Grèce, 5 septembre 2001, § 38 ; Zubac c. Croatie [GC], 5 avril 2018, § 80).

[16Gherghina c. Roumanie [GC], 9 juillet 2015, §§ 84-89.

[17Fabris et Parziale c. Italie, 12 octobre 2020, § 58.

[18Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978.

[19Vermeire c. Belgique, 29 novembre 1991.

[20Par exemple, le "guide pratique" pour l’article 6 (droit à un procès équitable), volet pénal, est consultable https://www.echr.coe.int/documents/d/echr/guide_art_6_criminal_fra

[21Castells c. Espagne, 23 avril 1992, § 32.

[22Association Les témoins de Jéhovah c. France, 21 septembre 2010.

[23Autrefois six mois, avant d’être raccourci par l’entrée en vigueur du Protocole additionnel n° 15.

[24Sabri Güneş c. Turquie, [GC], 29 juin 2012, § 29.

[25Otto c. Allemagne, 10 novembre 2009 ; Ataykaya c. Turquie, 22 octobre 2014, § 40).

[26Sabri Güneş c. Turquie, [GC], 29 juin 2012, §§ 43 et 61.

[27Vasiliauskas c. Lituanie, [GC], 20 octobre 2015, §§ 115-117.

[28En somme, en cas d’identité de cause, d’objet et de parties.

[29OAO Neftyanaya Kompaniya Yukos c. Russie, 20 septembre 2011, § 521.

[30POA et autres c. Royaume-Uni, 21 mai 2013, § 27.

[32Un tel grief se nomme « grief de quatrième instance » et est irrecevable comme tel (Kemmache c. France (n° 3), 24 novembre 1994, § 44).

[33Il est vrai, cependant, que l’article 47 alinéa 10 du règlement autorise le requérant à « compléter ces informations en joignant au formulaire de requête un document d’une longueur maximale de 20 pages exposant en détail les faits, les violations alléguées de la Convention et les arguments pertinents ». Aucune autre précision n’est donnée quant à la manière dont est censé se présenter ce document.

[34En France, ce n’est pas le cas (décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020).

[36« Blondje » c. Pays-Bas, 15 septembre 2009.

[37Kemmache c. France (n° 3), 24 novembre 1994, § 44, susmentionné.

[38Scoppola c. Italie (n° 2), [GC], 17 septembre 2009, § 54.

[39Grosam c. République tchèque, [GC], 1er juin 2023 §§ 91 et 136.

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