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Licenciement : l’adhésion d’une femme enceinte à un CSP, l’exigence de motivation renforcée. Par Maximilien Bouchard, Juriste.
Parution : jeudi 28 décembre 2023
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Dans un arrêt du 4 octobre 2023 publié au Bulletin (Cass. soc., 4 octo. 2023, n° 21-21.059, F-B), la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle aux employeurs, que l’adhésion d’une salariée enceinte à un contrat de sécurisation professionnelle (CSP), ne le dispense pas de son obligation de justification renforcée du licenciement d’une femme enceinte. L’employeur doit, soit démontrer l’impossibilité du maintien du contrat ou d’une faute grave de la salariée, à défaut de respect de cette obligation de motivation, le licenciement est nul.

En l’espèce, une association confrontée à des difficultés économiques suite au retrait d’une partie de ses financements, procède à une réduction de ses effectifs. Une salariée qui voit son poste supprimé est convoquée à un entretien préalable à son éventuel licenciement. Au cours de son entretien, son employeur lui propose d’adhérer à un CSP.

Pour rappel, le CSP à pour « objet l’organisation et le déroulement d’un parcours de retour à l’emploi (…) » [1], il est proposé obligatoirement aux salariés dont le licenciement pour motif économique est envisagé, dans les entreprises de moins de 1 000 salariés [2].

À partir de la remise du document de proposition d’adhésion au contrat de sécurisation professionnelle, le salarié dispose d’un délai de réflexion de 21 jours calendaires pour répondre à l’offre.

En l’espèce, au cours de ce délai de réflexion, l’employeur apprend que la salariée a été contrainte de s’absenter en raison de son état de grossesse.

À partir du constat de l’état de grossesse de la salariée, celle-ci bénéficie d’une période de protection dite "relative", en vertu de l’article L1225-4, l’employeur ne pourra licencier la salariée sauf à justifier d’une faute grave ou d’une impossibilité de maintenir le contrat de travail de l’intéressée, sans tenir compte de l’état de grosse de la salariée.

Le lendemain, la salariée adhère au CSP. L’adhésion emporte rupture du contrat de travail [3]. La salariée est notifiée quelques jours plus tard du motif économique de la rupture de son contrat.

La salariée saisit le Conseil de Prud’hommes et conteste la rupture, elle invoque la nullité de son licenciement au regard de son état de grossesse. La salariée estime que l’employeur n’a pas satisfait l’exigence motivation de la rupture de son contrat de travail.

Le 11 juin 2021, la Cour d’appel de Lyon annule le licenciement et condamne l’employeur à verser des dommages et intérêts, en dehors du barème Macron. En l’espèce, les magistrats de la Cour d’appel de Lyon constatent que l’employeur n’avait pas satisfait l’exigence légale de justification du licenciement de la salariée enceinte, dès lors le licenciement est nul.

L’employeur fait grief à l’arrêt d’avoir considéré que l’adhésion à un CSP constitue une modalité de licenciement économique, dès lors d’avoir considéré qu’il devait respecter cette obligation de justification supplémentaire liée à l’état de grossesse. Au contraire, d’après ce celui-ci, l’adhésion au CSP

« emporte rupture d’un commun accord du contrat de travail, de sorte que l’employeur n’est pas tenu de justifier de l’existence d’une faute grave commise par la salariée ou de son impossibilité de maintenir le contrat de travail ».

L’employeur se réfère directement sur l’article 5, 1§ de la convention Unedic, du 26 janvier 2015 relative au contrat de sécurisation professionnelle qui stipule effectivement que l’adhésion à un CSP emporte rupture d’un commun accord.

La Cour de cassation doit répondre à la question suivante : L’adhésion à un CSP constitue-t-elle une modalité de licenciement économique, de sorte que l’adhésion d’une femme enceinte entraine une obligation de motivation renforcée du licenciement ?

La Cour de cassation confirme l’arrêt des juges du fond et rejette le pourvoi de l’employeur.

La chambre sociale réaffirme sa jurisprudence [4] en précisant que

« l’adhésion à un CSP ne constituait pas une rupture conventionnelle, mais une modalité du licenciement pour motif économique ».

Les conseillers à la chambre sociale, rappellent, qu’il incombe à l’employeur, de notifier au salarié licencié les motifs de cette rupture, conformément à l’article L1232-6 du Code du travail.

Puis, la Cour de cassation ajoute qu’en cas d’adhésion d’une femme enceinte à un CSP, l’employeur doit satisfaire l’exigence légale de motivation issue de l’article L1225-4. En effet, il revient à l’employeur de démontrer que le licenciement découle d’une impossibilité de maintenir le contrat de travail ou de la faute grave de la salariée, sans tenir compte de l’état de grossesse de l’intéressée, à défaut, la chambre sociale rappelle que la sanction encourue, celle de la nullité de la rupture, conformément à l’article L1225-71 du Code du travail et à sa jurisprudence [5].

Que retenir ? Par conséquent, l’employeur informé de l’état de grossesse de la salariée dont il envisage son licenciement pour un motif économique et, à qui il a proposé d’adhérer à CSP, devra systématiquement justifier l’éventuelle rupture (par licenciement ou par adhésion à un CSP), d’une part au regard du motif économique [6], mais également, il devra justifier de l’impossible maintien de son contrat, pour des raisons étrangères à sa grossesse. À défaut, de justification d’une impossibilité du maintien du contrat de travail, le licenciement est nul, cette nullité expose l’employeur a des conséquences indemnitaires importantes.

En l’espèce, l’employeur a été condamné à verser des dommages et intérêts hors barème Macron, et à devoir reverser l’ensemble des sommes dues à titre des salaires pour toute la période de protection, avec le versement des indemnités compensatrices de préavis.

Maximilien Bouchard Juriste en droit social

[1C. trav., art. L1233-65.

[2C. trav., art. L1233-66.

[3C. trav., art. L1233-67.

[4Cass. soc., 16 mai 2013 n° 11-28.494 F-PB ; Cass. soc., 31 mai 2017 n° 16-11.096 F-D

[5Cass. soc. 24-10-2000 n° 98-41.937 FS-P ; Cass. soc. 24-4-2013 n° 12-13.035 F-D.

[6C. trav., art. L1233-3.