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Fichier TAJ et refus de titre de séjour ou de naturalisation. Par Caroline Martin, Avocat.
Parution : mercredi 27 décembre 2023
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Le fichier TAJ (Traitement d’antécédents judiciaires) est un fichier de police qui est notamment consulté par la préfecture dans le cadre des demandes de titre de séjour ou de naturalisation.
L’inscription d’une personne à ce fichier est un motif de refus de naturalisation ou de titre de séjour fréquent par l’administration.
Or la CNIL a dénoncé à plusieurs reprises les trop nombreuses erreurs de données conservées à tort, ou les accès non autorisés sur ce fichier.
La jurisprudence récente rappelle qu’un refus de séjour ou de naturalisation ne peut intervenir sur la base d’une exploitation irrégulière de ce fichier.

Après un bref rappel de ce qu’est le fichier TAJ (1), les précautions à prendre avant de déposer une demande à la préfecture (2) et les motifs d’annulation des décisions de refus prises après consultation de ce fichier (3) seront exposés.

Qu’est-ce que le fichier de traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) ?

Les grands fichiers de police judiciaire que sont le Stic pour la police et Judex pour la gendarmerie ont été réunis sous un fichier unique dénommé TAJ (Traitement d’antécédents judiciaires) par un décret n° 2012-652 du 4 mai 2012. Les règles concernant le TAJ sont intégrées à la partie réglementaire du code de procédure pénale (C. pr. pén., art. R. 40-23 et s.).

Quelles données ?

Le traitement est constitué des données recueillies dans le cadre des procédures établies notamment par les services de la police et les unités de la gendarmerie nationales, ou par des agents des douanes habilités à exercer des missions de police judiciaire, ou encore des données à caractère personnel issues des traitements gérés par des organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire ou des services de police étrangers.

Le TAJ contient des informations sur les personnes suivantes :

Quelles finalités et qui peut le consulter ?

En premier lieu, le TAJ a une finalité judiciaire : il peut être consulté par les services de la gendarmerie nationale et de la police nationale, ainsi que les magistrats du parquet, à des fins d’enquêtes et de poursuites judiciaires, pour faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de certaines infractions et la recherche de leurs auteurs, mais également l’exploitation des informations recueillies à des fins de recherche statistique. [1]

Ce fichier poursuit également une finalité administrative liée à la mise en œuvre de mesures de protection ou de recueil de renseignements nécessaires à la prise de décisions administratives relatives à des emplois dont l’exercice est subordonné à un agrément (activités privées de sécurité, emplois au sein de zones de sûreté à accès réglementé), et ainsi notamment :

De même, le TAJ est consulté dans le cadre des enquêtes administratives qui sont diligentées par la préfecture lors de l’instruction de demandes d’acquisition de la nationalité française, de délivrance et de renouvellement de titres de séjour.

Or dès lors qu’une infraction pénale y figure, la préfecture sera susceptible de refuser la nationalité française ou la délivrance d’un titre de séjour, notamment pour motif de trouble à l’ordre public.

TAJ : que faire impérativement avant de déposer une demande de titre de séjour ou de naturalisation ?

Le TAJ est un fichier critiqué notamment en raison des retards de ses mises à jour et des nombreuses informations erronées qu’il contient.

Ainsi, avant de déposer toute demande à la préfecture, il est important de consulter le fichier pour vérifier si des données personnelles y figurent et le cas échant, pour vérifier leur exactitude.

En effet, une demande de suppression des données du fichier peut être adressée au Procureur de la République dans les cas ci-après :

Ainsi, une requête préalable aux fins de dispense de mention au bulletin n°2 peut s’avérer nécessaire pour pouvoir ensuite obtenir un effacement du TAJ.
La personne concernée pourra, dès que le jugement de dispense sera devenu définitif, demander l’effacement des données correspondantes au TAJ, même si d’autres mentions figurent à son bulletin n° 2.

Si la dispense n’est pas accordée, il est possible de demander au procureur de la République l’effacement 6 mois après que la condamnation est devenue définitive. Vous pouvez aussi demander après un certain délai la réhabilitation judiciaire ou la suppression de toutes les mentions du casier judiciaire.

Attention, il est rappelé que le bulletin n°2 peut également être consulté dans le cadre des enquêtes administratives, pour des motifs similaires, sur le fondement des articles 776 et R. 79 du code de procédure pénale.

Par ailleurs, une demande de rectification des données peut être adressée à tout moment au Procureur de la République, en particulier en cas de requalification judiciaire, qui est de droit pour la personne concernée (si elle le demande).

Enfin, la durée de conservation des données, qui varie selon les cas, doit encore être vérifiée (C. pr. pén., art. R. 40-27).

Le Procureur de la République se prononce dans un délai de deux mois sur les suites qu’il convient de donner aux demandes qui lui sont adressées. Il peut :

En l’absence de réponse du parquet dans ce délai, la personne concernée peut saisir directement le président de la chambre de l’instruction, conformément aux dispositions générales de l’article 802-1 du code de procédure pénale.

Les décisions du procureur de la République sont susceptibles de recours devant le président de la chambre de l’instruction.

Ces démarches préalables sont d’autant plus importantes au vu de la jurisprudence récente, qui semble refuser de tirer les conséquences des défauts de mise à jour ou des erreurs figurant sur les fichiers, malgré les préjudices subis de ce fait par les personnes concernées.

Par un avis en date du 17 avril 2023, le Conseil d’Etat a en effet considéré que l’absence de mise à jour du TAJ, qui avait permis à l’administration de consulter le fichier, alors qu’une mention interdisant la consultation du fichier aurait dû être apposée, ne rendait pas la décision de refus de séjour du préfet illégale (CE, avis, 17 avril 2023, n°468859).

Comment contester une décision de refus prise sur la base d’informations provenant du TAJ ?

L’accès au TAJ est strictement encadré, afin de préserver l’équilibre entre le respect de la finalité judiciaire du fichier et les conséquences d’une consultation de ce fichier par des entités administratives.

Ainsi, en cas de refus de nationalité, de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour motivé par les informations figurant sur le TAJ, le respect des garanties qui suivent, qui encadrent la consultation du fichier, doit être vérifié, car à défaut, la décision de refus doit être annulée :

Les décrets n°2015-648 du 10 juin 2015 et n°2017-1217 du 2 août 2017 ont consacré l’accès au TAJ par des autorités administratives limitativement énumérées et dans des conditions précises, qui doivent être vérifiées.

Ainsi, seuls les personnels investis de missions de police administrative individuellement désignés et spécialement habilités par le représentant de l’État peuvent effectuer des consultations, en particulier les services chargés de la gestion des étrangers et de la nationalité dans le cadre de leurs enquêtes administratives.

Les consultations effectuées font l’objet d’un enregistrement comprenant l’identifiant du consultant, la date et l’heure de la consultation ainsi que sa nature administrative ou judiciaire. Ces données sont conservées cinq ans (C. pr. pén., art. R. 40-30).

Le non-respect de ces garanties rend la décision qui en est issue irrégulière et celle-ci encourt l’annulation.

Comme vu plus haut, certaines infractions figurant au fichier font l’objet d’un effacement ou de l’apposition d’une mention qui en interdit la consultation à des fins d’enquête administrative.

Il convient donc de vérifier le respect de cette garantie procédurale, à défaut de quoi la décision de refus prise par l’administration est irrégulière.

Cependant, par un avis en date du 17 avril 2023, le Conseil d’Etat, après avoir rappelé le principe selon lequel dans le cadre d’une enquête administrative menée pour l’instruction d’une demande d’acquisition de la nationalité française, les données à caractère personnel concernant une personne mise en cause qui figure dans le TAJ ne peuvent être consultée lorsqu’elles font expressément l’objet d’une mention, notamment à la suite d’une décision de non-lieu ou de classement sans suite, a précisé que, tant que les données ne sont pas formellement assorties de la mention du non-lieu ou du classement sans suite, la consultation est régulière, même si la mention aurait dû être apposée à la date de la consultation (CE, avis, 17 avril 2023, n°468859).

Il convient donc en outre de vérifier la preuve de l’absence de mention sur le fichier, afin de s’assurer de la légalité de la procédure.

Enfin, la jurisprudence récente est venue renforcer les garanties des justiciables, en rappelant que l’administration ne peut refuser un titre de séjour sur la base d’informations provenant du TAJ sans justifier du respect de la procédure préalable prévue par l’article R40-29 I du code de procédure pénale qui prévoit qu’une décision administrative défavorable ne peut intervenir sur la base d’informations contenues dans le fichier TAJ qu’après saisine préalable, pour complément d’information, des services de police ou de gendarmerie et du Procureur de la République sur les suites judiciaires, à défaut de quoi la décision de refus de titre de séjour est prise à l’issue d’une procédure irrégulière et doit être annulée (CAA Bordeaux, 3e ch., 31 mai 2023, n° 23BX00139).

L’assistance d’un avocat peut donc être utile à chacune des phases de la procédure, pour veiller au bon respect de la règlementation qui encadre le fichier TAJ.

Caroline Martin Avocat au Barreau de Paris [->cmartin@ccm-avocat.com]

[1Le TAJ est également destiné à la communication de données à des États ou à des organismes intergouvernementaux et communautaires. L’accès de certains destinataires au TAJ a été élargi par un décret du 10 juin 2015 (notamment les agents de préfecture investis de missions de police administrative) (D. n° 2015-648, 10 juin 2015 : JO, 12 juin), puis par un décret du 23 décembre 2016 (aux organismes de coopération internationale et aux services de police étrangers pour l’exercice de leurs missions en matière de police administrative) (D. n° 2016-1859, 23 déc. 2016 : JO, 27 déc.).

[2A l’exception des mentions de nature non pénale au bulletin n°2 du casier judiciaire, qu’il s’agisse de décisions disciplinaires, commerciales ou administratives

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