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La protection des mineurs isolés : que prévoit le décret du 22 décembre 2023 ? Par Patrick Lingibé, Avocat.
Parution : mardi 26 décembre 2023
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Cet article commente le décret n° 2023-1240 du 22 décembre 2023 modifiant les modalités de mise à l’abri et d’évaluation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille et les modalités de versement de la contribution forfaitaire de l’Etat aux dépenses engagées par les départements pour l’évaluation de ces personnes qui a été publié au Journal Officiel du dimanche 24 décembre 2023.

Un décret n° 2023-1240 du 22 décembre 2023 modifiant les modalités de mise à l’abri et d’évaluation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille et les modalités de versement de la contribution forfaitaire de l’Etat aux dépenses engagées par les départements pour l’évaluation de ces personnes a été publié au Journal Officiel du dimanche 24 décembre 2023.

Il apporte des modifications des modalités de la mise à l’abri et de l’évaluation de la minorité et de l’isolement des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille ainsi que de celles relatives à la contribution forfaitaire de l’Etat aux dépenses engagées par les départements pour la mise à l’abri et l’évaluation desdites personnes.

Il a été pris en application de l’article L221-2-4 du Code de l’action sociale et des familles, dans sa version résultant de l’article 40 de la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, lequel dispose :

« I.-Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d’urgence.
II.-En vue d’évaluer la situation de la personne mentionnée au I et après lui avoir permis de bénéficier d’un temps de répit, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires au regard notamment des déclarations de cette personne sur son identité, son âge, sa famille d’origine, sa nationalité et son état d’isolement.
L’évaluation est réalisée par les services du département. Dans le cas où le président du conseil départemental délègue la mission d’évaluation à un organisme public ou à une association, les services du département assurent un contrôle régulier des conditions d’évaluation par la structure délégataire.
Sauf lorsque la minorité de la personne est manifeste, le président du conseil départemental, en lien avec le représentant de l’Etat dans le département, organise la présentation de la personne auprès des services de l’Etat afin qu’elle communique toute information utile à son identification et au renseignement, par les agents spécialement habilités à cet effet, du traitement automatisé de données à caractère personnel prévu à l’article L142-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le représentant de l’Etat dans le département communique au président du conseil départemental les informations permettant d’aider à la détermination de l’identité et de la situation de la personne.
Le président du conseil départemental peut en outre :
1° Solliciter le concours du représentant de l’Etat dans le département pour vérifier l’authenticité des documents détenus par la personne ;
2° Demander à l’autorité judiciaire la mise en œuvre des examens prévus au deuxième alinéa de l’article 388 du Code civil selon la procédure définie au même article 388.
Il statue sur la minorité et la situation d’isolement de la personne, en s’appuyant sur les entretiens réalisés avec celle-ci, sur les informations transmises par le représentant de l’Etat dans le département ainsi que sur tout autre élément susceptible de l’éclairer.
La majorité d’une personne se présentant comme mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille ne peut être déduite de son seul refus opposé au recueil de ses empreintes, ni de la seule constatation qu’elle est déjà enregistrée dans le traitement automatisé mentionné au présent II ou dans le traitement automatisé mentionné à l’article L142-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
III.-Le président du conseil départemental transmet chaque mois au représentant de l’Etat dans le département la date et le sens des décisions individuelles prises à l’issue de l’évaluation prévue au II du présent article.
IV.-L’Etat verse aux départements une contribution forfaitaire pour l’évaluation de la situation et la mise à l’abri des personnes mentionnées au I.
La contribution n’est pas versée, en totalité ou en partie, lorsque le président du conseil départemental n’organise pas la présentation de la personne prévue au troisième alinéa du II ou ne transmet pas, chaque mois, la date et le sens des décisions mentionnées au III.
V.-Les modalités d’application du présent article, notamment des dispositions relatives à la durée de l’accueil provisoire d’urgence mentionné au I et au versement de la contribution mentionnée au IV, sont fixées par décret en Conseil d’Etat
 ».

Les modifications apportées par ce décret du 22 décembre 2023 portent essentiellement sur quatre points.

1° Durée de l’accueil provisoire d’urgence.

L’article 1er du décret du 22 décembre 2023 modifie entièrement la rédaction de l’article R221-11 du Code de l’action sociale et des familles.

Il fixe la durée de l’accueil provisoire d’urgence mis en place au profit de la personne se présentant comme mineure et isolée.

La durée de cet accueil provisoire d’urgence est de cinq jours à compter du premier jour de la prise en charge de la personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille.

L’accueil peut être prolongé deux fois pour la même durée.

Le président du conseil départemental doit informer sans délai le procureur de la République de cet accueil et de ses éventuelles prolongations.

2° L’identification des besoins en santé et présentation du mineur.

Le décret du 22 décembre 2023 prévoit durant cette période d’accueil provisoire l’identification des besoins en santé de la personne ainsi qu’un temps de répit adapté à sa situation avant la réalisation des entretiens.

Aux termes de la réécriture complète de l’article R221-11 du Code de l’action sociale et des familles, le décret du 22 décembre 223 dispose qu’au cours du temps de répit, le président du conseil départemental doit identifier les besoins en santé de la personne accueillie en vue, le cas échéant, d’une orientation vers une prise en charge adaptée.

Les éléments obtenus à cette occasion ne peuvent pas être utilisés pour évaluer la minorité et la situation d’isolement de la personne accueillie.

La durée du temps de répit est déterminée par le président du conseil départemental en fonction de la situation de la personne accueillie au moment où elle se présente, en particulier de son état de santé physique et psychique ainsi que du temps nécessaire pour que la personne soit informée, dans une langue qu’elle comprend, des modalités et des enjeux attachés à l’évaluation.

C’est donc une approche au cas par cas du mineur isolé qui est imposée à l’administration.

A l’effet de permettre une identification des besoins en santé du mineur accueilli, le président du conseil départemental doit conclure avec le préfet de département et, à Paris, avec le préfet de police, une convention qui fixe ainsi les modalités selon lesquelles l’action de leurs services est coordonnée, notamment en ce qui concerne la présentation de la personne aux fins de renseigner le traitement de données prévu à l’article R221-15-1.

Cet article R221-15-1 du Code de l’action sociale et des familles autorise le ministre de l’intérieur (direction générale des étrangers en France) à mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « appui à l’évaluation de la minorité » (AEM), ayant pour finalités de mieux garantir la protection de l’enfance et de lutter contre l’entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France et, à cet effet :

1° D’identifier, à partir de leurs empreintes digitales, les personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et ainsi de lutter contre la fraude documentaire et la fraude à l’identité ;
2° De permettre une meilleure coordination des services de l’Etat et des services compétents en matière d’accueil et d’évaluation de la situation des personnes mentionnées au 1° ;
3° D’améliorer la fiabilité de l’évaluation et d’en raccourcir les délais ;
4° D’accélérer la prise en charge des personnes évaluées mineures ;
De prévenir le détournement du dispositif de protection de l’enfance par des personnes majeures ou des personnes se présentant successivement dans plusieurs départements.

La convention précitée est établie sur la base d’une convention-type dont le contenu est fixé par arrêté du ministre de l’Intérieur et du ministre chargé de l’enfance.

Le président du conseil départemental doit organiser ainsi l’accompagnement à la préfecture des personnes accueillies.

Lorsqu’une personne refuse de communiquer toute donnée utile à son identification ou de communiquer les données à caractère personnel mentionnées à l’article R221-15-2 précité, le préfet doit en informer le président du conseil départemental chargé de l’évaluation.

Ces données concernent pour rappel d’une part, les images numérisées du visage et des empreintes digitales de deux doigts des personnes qui se déclarent mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d’autre part, onze données à caractère personnel et informations relatives aux personnes qui se déclarent mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, à savoir :

1° Etat civil : nom, prénom (s), date et lieu de naissance, sexe, situation familiale ;
2° Nationalité ;
3° Commune de rattachement ou adresse de l’organisme d’accueil auprès duquel la personne est domiciliée ;
4° Coordonnées téléphoniques et électroniques ;
5° Langue (s) parlée (s) ;
6° Données relatives à la filiation de la personne (noms, prénoms des parents) ;
7° Références des documents d’identité et de voyage détenus et du visa d’entrée délivré ;
8° Date et conditions d’entrée en France ;
9° Conseil départemental chargé de l’évaluation ;
10° Données transmises par le conseil départemental chargé de l’évaluation :
a) Numéro de procédure du service de l’aide sociale à l’enfance ;
b) Date à laquelle l’évaluation de la situation de la personne a pris fin et indications des résultats de l’évaluation au regard de la minorité et de l’isolement ;
c) Le cas échéant, existence d’une saisine de l’autorité judiciaire par une personne évaluée majeure et date de la mesure d’assistance éducative lorsqu’une telle mesure est prononcée ;
11° Données enregistrées par l’agent de préfecture responsable du traitement :
a) Numéro de procédure attribué par le traitement AEM ;
b) Date de la notification au préfet de département et, à Paris, au préfet de police de la date à laquelle l’évaluation de la situation de la personne a pris fin.

3° Evaluation de la minorité de la personne accueillie.

Le décret du 22 décembre 2023 définit les modalités de réalisation de l’évaluation de la minorité et de la situation d’isolement qui est réalisée pendant la période d’accueil provisoire d’urgence et après que la personne accueillie a bénéficié d’un temps de répit.

La durée du temps de répit est déterminée par le président du conseil départemental en fonction de la situation de la personne accueillie au moment où elle se présente, en particulier de son état de santé physique et psychique ainsi que du temps nécessaire pour que la personne soit informée, dans une langue qu’elle comprend, des modalités et des enjeux attachés à l’évaluation.

L’évaluation de la minorité et de l’isolement est organisée selon les modalités précisées dans un référentiel national fixé par arrêté des ministres de la justice et de l’intérieur ainsi que des ministres chargés de l’enfance, des collectivités territoriales et de l’outre-mer.

Les entretiens sont conduits par des professionnels justifiant d’une formation ou d’une expérience définie par arrêté des ministres mentionnés à l’alinéa précédent dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire.

Ces entretiens doivent se dérouler dans une langue comprise par la personne accueillie.

Au terme du délai d’accueil provisoire d’urgence de cinq jours ou avant l’expiration de ce délai, si l’évaluation a été conduite avant son terme, le président du conseil départemental doit rendre sa décision et statuer ainsi sur la minorité et la situation d’isolement de la personne, en s’appuyant sur les entretiens réalisés avec celle-ci, sur les informations transmises par le représentant de l’Etat dans le département ainsi que sur tout autre élément susceptible de l’éclairer.

Il doit, le cas échéant, saisir le procureur de la République en cas d’urgence et lorsque le représentant légal du mineur est dans l’impossibilité de donner son accord, aux fins que l’enfant soit recueilli provisoirement notamment par un centre d’accueil ou d’observation dans le cadre des dispositions prévues par l’article 375-5 du Code civil.

Dans un tel cas, l’accueil provisoire d’urgence précitée se prolonge jusqu’à la décision de l’autorité judiciaire.

Si le président du conseil départemental estime que la situation de la personne accueillie ne justifie pas la saisine de l’autorité judiciaire, il doit notifier à cette personne une décision de refus de prise en charge motivée et mentionnant dans leur notification les délais et modalités de mise en œuvre des voies de recours.

Lorsqu’une personne qui a été évaluée majeure saisit l’autorité judiciaire en application de l’article 375 du Code civil (cas où la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises), le président du conseil départemental, dès qu’il en a connaissance, doit en informer le préfet de département et, à Paris, le préfet de police, et doit lui notifier la date de la mesure d’assistance éducative éventuellement prononcée par l’autorité judiciaire.

4° Modalités de la modulation de la contribution forfaitaire de l’Etat.

Le décret du 22 décembre 2023 prévoit les modalités de la modulation de la contribution forfaitaire de l’Etat aux dépenses engagées par les départements pour la mise à l’abri et l’évaluation des personnes se présentant comme mineures et privées durablement de la protection de leur famille.

En effet, font l’objet de contributions forfaitaires de la part de l’Etat :

1° Les missions des départements relatives à la mise à l’abri des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille.
2° Les missions des départements relatives à l’évaluation de la situation de ces personnes au regard notamment de leurs déclarations sur leur identité, leur âge, leur famille d’origine, leur nationalité et leur état d’isolement, ainsi que la réalisation d’une première évaluation de leurs besoins en santé.

Un arrêté conjoint des ministres chargés de la famille et du budget doit préciser à cet effet les modalités de calcul de ces contributions et définit le modèle d’attestation à produire par le président du conseil départemental pour en bénéficier.

Le décret du 22 décembre 2023 prévoit que cette contribution est réduite, en tout ou partie, dans une mesure fixée par arrêté des ministres chargés de l’enfance et du budget, lorsque le président du conseil départemental :

1° N’a pas conclu avec le préfet de département ou, à Paris, avec le préfet de police, la convention mentionnée fixant les modalités selon lesquelles l’action de leurs services est coordonnée et ne justifie pas avoir pris de mesures d’organisation de présentation des personnes accueillies ;
2° A conclu avec le préfet de département ou, à Paris, avec le préfet de police, la convention mais ne justifie pas avoir pris les mesures prévues par cette convention ;
3° N’a pas transmis les informations prévues chaque mois au représentant de l’Etat dans le département et afférentes à la date et au sens des décisions individuelles prises à l’issue de l’évaluation de la personne mineure.

Les dispositions du décret du 22 décembre 2023 entrent en vigueur à compter du lundi 25 décembre 2023, à l’exception cependant de celles se rapportant aux modalités de modulation de la contribution forfaitaire de l’Etat qui ne sont applicables qu’aux évaluations clôturées à compter du 1er janvier 2024.

Patrick Lingibé Membre du Conseil National des barreaux Ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France Avocat associé Cabinet Jurisguyane Spécialiste en droit public Diplômé en droit routier Médiateur Professionnel Membre de l’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM) www.jurisguyane.com