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Lorsque la France (et d’autres) s’oppose à une définition européenne du viol. Par Gildas Neger, Docteur en Droit.
Parution : mardi 26 décembre 2023
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La France s’oppose à une définition européenne du viol proposée par la Commission européenne en 2022. Cette définition, qui ferait du consentement l’élément central de la qualification du viol, est rejetée par la France pour des raisons juridiques. La France, qui fait partie des 11 pays (Bulgarie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie et Slovaquie) qui ont des définitions du viol basées sur la force (et non le consentement) comme élément principal du crime considère que la définition du viol relève uniquement de la compétence des États. Et non de l’Union.

Dans l’Union européenne, une femme sur cinq [1] a été victime de violences physiques ou sexuelles de la part d’un partenaire ou d’un ami, et trois sur dix de la part d’un parent ou d’un membre de la famille. Au moins deux femmes sont tuées chaque jour par un partenaire intime ou un membre de la famille.

La violence basée sur le genre est une forme de discrimination qui affecte les femmes de manière disproportionnée. Elle peut se manifester de différentes manières, notamment par des violences physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques.

Les conséquences de la violence basée sur le genre sont graves, tant pour les victimes que pour la société dans son ensemble. Les victimes peuvent souffrir de blessures physiques, de traumatismes psychologiques, de perte d’emploi, d’isolement social et de pauvreté. La violence basée sur le genre a également un coût sociétal important, estimé à 290 millions d’euros par an dans l’UE.

D’où la volonté de la Commission européenne de définir et d’européaniser le viol. D’en faire un « eurocrime ».

Or, la France, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque s’opposent à la définition du viol proposée par la Commission européenne, estimant qu’elle est trop vague et difficile à appliquer. Ces États préfèrent une définition qui fasse référence à la violence, la menace ou la contrainte. Également que la définition proposée par la Commission européenne va trop loin et pourrait porter atteinte aux libertés individuelles.

Les services juridiques du Parlement et de la Commission réfutent cette interprétation, estimant que le viol peut être considéré comme un « eurocrime », c’est-à-dire une infraction grave et transfrontalière qui relève de la compétence de l’Union européenne.

En effet, elle propose une nouvelle définition du viol puisque la définition actuelle du viol dans de nombreux pays européens ne fait pas référence au consentement. Cela signifie que dans ces pays un acte sexuel non consenti ne peut être considéré comme un viol que s’il est commis avec violence, menace ou contrainte.

Donc pour la Commission il suffit que la victime n’ait pas donné son Opt-in sur tous les rapports envisagés pour que le viol soit constitué.

Qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait des actes de violence pour qualifier un acte sexuel de viol.

Cette définition va encore plus loin puisque l’article 5 prévoit que l’Opt-in peut être retiré à tout moment. Cela signifie qu’une personne peut consentir à un acte sexuel et changer d’avis et/ou retirer son consentement en cours d’opération.

Définition du viol pour la Commission européenne - Article 5 de la proposition de la Directive :

« 2. Les États membres veillent à ce qu’on entende par acte non consenti un acte accompli sans que la femme ait donné son consentement volontairement ou dans une situation où la femme n’est pas en mesure de se forger une volonté libre en raison de son état physique ou mental, par exemple parce qu’elle est inconsciente, ivre, endormie, malade, blessée physiquement ou handicapée, et où cette incapacité à se forger une volonté libre est exploitée.
3. Le consentement peut être retiré à tout moment au cours de l’acte. L’absence de consentement ne peut être réfutée exclusivement par le silence de la femme, son absence de résistance verbale ou physique ou son comportement sexuel passé
 ».

Le Parlement européen a approuvé la directive en juillet, mais les négociations entre les institutions européennes sont bloquées sur l’article 5.

De nouveaux pourparlers devraient reprendre en janvier 2024.

Certains parlementaires LFI et écologistes appellent la France à « revoir sa position ».

La position de la France a suscité l’indignation d’une quarantaine de députés et de sénateurs français, dont Sandrine Rousseau et Yannick Jadot.

« Alors qu’en France, 0,6% des plaintes pour viol aboutissent à une condamnation, l’introduction de la notion de consentement dans la définition du viol ferait une véritable différence pour les victimes de violences et contribuerait à pallier les lacunes du Code pénal », ont-ils écrit dans un courrier [2] adressé à Emmanuel Macron en novembre 2023, lui demandant de « revoir la position de la France ».

« La France ne peut pas continuer à aller contre le sens de l’histoire et à défendre l’abandon de l’article 5 au Conseil de l’Union européenne, aux côtés de la Pologne et la Hongrie », ajoutent les auteurs de cette lettre.

Le viol en France.

L’article 222-23 alinéa 1er du Code pénal considère qu’est un viol

« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ».

En droit, le consentement à l’acte sexuel est présumé. Autrement dit, tous les actes sexuels sont considérés comme consentis, sauf s’il existe des éléments de violence, de contrainte, de menace ou de surprise.

Pour Anne Bouillon (avocate militante de gauche engagée en faveur des droits de la femme), « la présomption de consentement à l’acte sexuel est dépassée. Elle repose sur l’idée que le corps des femmes est accessible en permanence, sauf si elles y opposent un obstacle. Cette vision patriarcale des choses doit être remise en cause par un travail législatif urgent ». Et d’ajouter que « notre modèle est archaïque et poussiéreux. Il procède d’une vision patriarcale des choses ».

Outre la question de la compétence juridique, la France s’inquiète également du risque que l’ensemble de la directive sur les violences faites aux femmes soit rejeté par la CJUE. En effet, certains pays, comme la Hongrie, pourraient s’appuyer sur la polémique autour de l’article 5 qui définit le viol comme un acte sexuel non consenti, pour contester la compétence de l’UE en matière de violences sexuelles.

Et pour le Conseil, le temps presse pour un accord commun. La présidence espagnole du Conseil de l’UE, qui négocie le texte, prend fin le 31 décembre 2023. La Belgique prendra ensuite le relais, suivie de la Hongrie.

De surplus, les prochaines élections européennes de juin 2024 pourraient également compliquer les choses puisque grande est la crainte est que des partis d’extrême droite gagnent des sièges au Parlement européen. Ce qui, pour les auteurs du texte, pourrait remettre en cause les acquis en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.

Vers une attestation de consentement type CERFA ?

Dans de nombreuses affaires en matière de viol, force est de constater que certaines victimes se réveillent des années après les faits et accusent leur ex-partenaire d’abus sexuel et/ou de viol. Souvent ces affaires ne peuvent même plus être jugées du fait du délai de prescription. Mais trop souvent le mal est fait et l’accusé sera médiatiquement jugé (et très - trop ? - souvent condamné), malgré la présomption d’innocence qui constitue la base, la pierre angulaire, le « principe source » [3] des règles de procédure pénale d’une société démocratique. Principe qui fait partie du bloc de constitutionnalité et apparaît à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui ne la proclame pas, mais l’invoque : « Tout homme étant présumé innocent... ».

Dans ce contexte, la société française s’apparente de plus en plus à la société américaine où les relations sexuelles sont de plus en plus considérées comme un instrument de pouvoir. En effet, la menace de poursuites judiciaires, même des années après les faits, peut être utilisée pour faire pression sur l’autre partie.

Pour se protéger de ce risque, les Américains ont développé des pratiques juridiques afin de formaliser les relations sexuelles. Par exemple, il est courant de demander à l’autre partie de signer un document attestant de son consentement.

En France, ces pratiques commencent à se développer, notamment dans le milieu professionnel. Par exemple, certaines entreprises exigent désormais que les salariés signent une charte de bonne conduite en matière de harcèlement sexuel.

Pour éviter d’éventuelles déconvenues qui pourraient même survenir après plusieurs années, il conviendrait donc de garder la trace écrite de l’ensemble des préliminaires à la rencontre et de faire signer au partenaire une attestation de consentement.

Exemple d’attestation de consentement avant une relation sexuelle.

Je soussigné « Nom et prénom », né(e) le « Date de naissance », à « Lieu de naissance » atteste avoir rencontré Monsieur, Madame (1) « Nom et prénom » né(e) le « Date de naissance », à « Lieu de naissance » en toute liberté.

Suite à cette rencontre, nous envisageons les rapports sexuels, librement consentis suivants :
- xxxxxxxxx
- xxxxxxxxx
- xxxxxxxxx
Description des rapports envisagés à compléter [4].
L’attirance réciproque pouvant s’intensifier au cours des ébats, les activités d’un type autre que celles spécifiées dans le paragraphe ci-dessus sont présumées avoir été librement acceptées par accord verbal mutuel. L’accord pourra toutefois faire l’objet d’un avenant au présent contrat.
Tout acte de violence pouvant être à l’origine de traumatismes physiques est exclu du présent accord et pourra donner lieu à un dépôt de plainte.
Fait à « Ville », le « Date du jour »
Pour servir et valoir ce que de droit.
« Signatures des intervenants » suivies de la mention « Lu et approuvé »
(1) : rayer les mentions inutiles.

Précisons que ce contrat pourra être multipartite. Le cas échéant il conviendra de détailler les rapports possibles entre tel(s) et/ou telle(s).

Et à défaut d’imprimante et en fonction de l’urgence de certaines situations, il sera possible d’utiliser une application mobile [5]. En effet, certaines applications permettent de signer virtuellement un contrat attestant de sa volonté d’avoir des relations sexuelles.

Gildas Neger Docteur en Droit Public

[3F. Desportes, L. Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, Economica, p. 121 et s.