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[Plaidoirie] « L’animal en tant que victime d’atteinte sexuelle ». Par N’nan Tessougué, Juriste.
Parution : vendredi 22 décembre 2023
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L’Homme traite l’animal comme un objet alimentaire, un objet ludique, mais également parfois comme un objet sexuel, à travers la zoophilie qui consiste à pratiquer des actes à caractère sexuel sur un animal. Cette plaidoirie aborde ainsi l’horreur de cette pratique attentatoire à l’intégrité de l’animal, rappelle les évolutions législatives et formule des propositions afin que les actes de pénétration sexuelle commis sur l’animal soient érigés au rang de crime.

Avant propos : Intitulée « L’animal en tant que victime d’atteinte sexuelle », la présente plaidoirie a été réalisée dans le cadre de la deuxième édition du Concours de plaidoirie animaliste, organisé par l’association Campus animaliste, et dont la finale s’est déroulée le 30 novembre 2023 sur la scène du Théâtre de la Clarté à Boulogne-Billancourt.
Cette plaidoirie a été récompensée par le 1er Prix du jury composé de Louis Schweitzer, président de La Fondation Droit Animal, Ethique & Sciences (LFDA) ; Loïc Dombreval, vétérinaire et député sous la XVe législature ; Stéphanie Hochet, journaliste et écrivaine ; Caroline Lanty, ancienne présidente de la SPA et avocate au Barreau de Paris ; et Ilyana Aït-Ahmed, Lauréate du 1er Prix du jury lors de la première édition du Concours, en 2022.
Lauréate 2023, N’nan Tessougué a été préparée à ce Concours de plaidoirie par la Clinique juridique One Health-Une seule santé dirigée par Aloïse Quesne, Maître de conférences en droit privé à l’Université d’Evry Paris-Saclay et Membre Junior de l’Institut Universitaire de France.

« L’Homme traite l’animal comme un objet : un objet alimentaire, à travers des mets variés ; un objet ludique à travers la chasse, les combats de coq, de chiens ou encore la corrida ; mais l’Homme traite parfois l’animal comme un objet sexuel, à travers la zoophilie qui consiste à pratiquer des actes à caractère sexuel sur un animal.

Mesdames, Messieurs les membres du jury, cher auditoire, c’est sur cette thématique que je voudrais m’arrêter un instant : l’animal en tant que victime d’atteinte sexuelle.
J’imagine les sentiments que cela vous inspire sûrement : de la surprise d’abord, du dégoût ensuite, de l’horreur enfin.

Certains d’entre vous se demandent peut-être comment puis-je oser aborder un tel sujet.

Parce que c’est un sujet tabou ? Un sujet honteux ? Non ! Je ne m’excuserai point d’oser aborder la question des atteintes sexuelles commises sur les animaux. En effet, ce sujet d’une telle gravité mérite d’être abordé dans notre société dite des droits de l’Homme, car là où il y a des droits de l’Homme, il devrait y avoir des droits de l’animal.
Vous pensez peut-être que ces actes sont rarissimes. Eh bien malheureusement non. Ces actes sont bien plus courants qu’on ne le croit. L’association Animal Cross estime à 250 000 le nombre d’hommes adultes en France ayant eu au moins une fois dans leur vie des relations sexuelles avec un animal ! Des chiffres qui témoignent de l’ampleur de cette pratique, pourtant minimisée.

Ces actes sont commis partout, par des individus de tous âges et de toutes conditions sociales.
À titre d’illustration, je vous citerais deux affaires récentes :

Sordide n’est-ce pas ?

Figurez-vous que les zoophiles tentent de justifier les atteintes sexuelles qu’ils font subir à l’animal à travers plusieurs arguments.
Je me contenterai de vous en exposer trois :
- L’argument de l’amour :
Ah l’amour, celui qui fait battre le cœur et chavirer les sens… Eh bien c’est l’amour qui est invoqué par les zoophiles, l’amour qu’ils éprouvent pour leur animal permettrait de justifier ces atteintes sexuelles.
Mais l’argument de l’amour ne vaut rien, car c’est au nom de l’amour que l’on se marie et c’est au nom de l’amour que l’on tue. Crime passionnel !
C’est pourtant bien l’amour qu’a invoqué le conseiller municipal. Il a également déclaré à la barre avoir des relations sexuelles avec eux uniquement « s’ils le désirent ».

- Emerge ainsi l’argument du consentement de l’animal :
La nature de la chèvre, du chien ou du cheval conduirait-elle donc naturellement ces animaux à rechercher des relations sexuelles avec les êtres humains ? S’agissant des relations sexuelles entretenues entre une personne majeure et un mineur, les juges ne retiennent point de consentement dès lors que l’enfant, par sa vulnérabilité, est considéré comme immature et inapte à consentir. Alors je vous laisse imaginer ce qu’il en est pour un animal ! C’est bien l’Homme qui impose des actes à caractère sexuel à un animal, pas l’inverse ! Ainsi, pour les zoophiles, le bêlement, l’aboiement, le hennissement ou bien encore le silence de l’animal suffisent à caractériser son consentement à l’acte sexuel.

- Enfin, les zoophiles, lorsqu’ils sont propriétaires de l’animal qu’ils maltraitent avancent régulièrement leur droit de propriété.

Permettez-moi de déconstruire ce sinistre argument puisque le droit de propriété n’est pas un droit absolu.
L’article 515-14 du Code civil dispose que :

« Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ».

Les animaux n’ont peut-être pas encore la personnalité juridique, mais ce sont des êtres vivants doués de sensibilité et dignes de protection.

Par conséquent, l’ensemble de ces arguments sont donc tout simplement irrecevables.

Vous l’ignorez peut-être mais la « bestialité », c’est-à-dire tout contact sexuel entre une personne et un animal était un crime jusqu’à la Révolution française, qui l’a aboli.

L’éveil du législateur français fut alors tardif puisqu’il aura fallu attendre la loi du 9 mars 2004 pour que les sévices de nature sexuelle commis sur les animaux soient enfin considérés comme étant des délits passibles de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Il est à signaler cependant que seuls sont protégés les animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité, excluant du champ répressif les animaux sauvages à l’état de liberté.

La loi du 30 novembre 2021 est venue renforcer les peines. Désormais, les zoophiles sont passibles de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Ces peines sont portées à 4 ans d’emprisonnement et à 60 000 euros d’amende lorsque les faits sont commis en réunion, en présence d’un mineur, par le propriétaire ou par le gardien de l’animal.

Cependant que se passe-t-il dans les faits ?

Dans les faits, les juges prononcent uniquement des peines d’emprisonnement avec sursis et des dommages et intérêts très modiques.

Une affaire, se déroulant en Savoie, mérite cependant d’être saluée en ce qu’elle a permis de condamner un individu à la peine maximale soit à 4 ans d’emprisonnement ferme pour le viol d’une chienne.

Les journalistes ayant relaté cette triste affaire ont rapporté que l’individu avait volé et violé une chienne âgée de 12 ans.

Toutefois, la qualification de viol n’est retenue juridiquement qu’entre les personnes.

Dans notre code pénal, le viol est reconnu comme un crime et le violeur encourt 15 ans de réclusion criminelle, 20 ans si la victime est un mineur, 30 ans si le viol a entraîné la mort de la victime. Mais pas si la victime était un animal !

Toujours dans notre code pénal, le viol est défini comme étant :

« tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit […] commis par violence, contrainte, menace ou surprise ».

Les actes de pénétration sexuelle sont également commis sur les animaux par violence ou par contrainte, puisque par définition, ils ne peuvent y consentir.

C’est pourquoi je propose d’élever l’acte de pénétration sexuelle d’un animal au rang de crime en l’assimilant au viol, y compris pour les animaux sauvages.

C’est d’ailleurs le cas en Afrique du Sud, où une décision historique a été rendue en 2022, condamnant un individu à 8 ans de prison ferme pour le viol d’un chiot.

Le juge sud-africain a justifié la lourdeur de la peine dans les termes suivants : aucune distinction ne doit être faite entre le viol d’un animal et le viol d’un être humain. Les tribunaux ont le devoir de protéger les animaux victimes et de prononcer des sanctions appropriées.

Mesdames, Messieurs les membres du jury, cher auditoire, il convient désormais de nous inspirer de cette jurisprudence afin de faire évoluer notre droit car, ainsi que le disait le Professeur Alfred Kastler, prix Nobel de physique et cofondateur de La Fondation Droit Animal, éthique et science : “Une société ne peut se dire ni civilisée, ni socialement évoluée, si elle ne respecte pas les animaux et si elle ne prend pas leurs souffrances en considération”. »

Bibliographie :

N’nan Tessougué, Diplômée du Master 2 Droit de la santé et des biotechnologies (promotion 2022-2023), Ambassadrice One Health https://cjonehealth.hypotheses.org