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L’utilisation du VPN par le consommateur : enjeux et compétence du juge français. Par Christ Foua, Etudiant.
Parution : mercredi 20 décembre 2023
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Un Réseau Privé Virtuel, plus connu sous l’acronyme VPN, est un outil logiciel qui établit une connexion sécurisée sur Internet. En utilisant un VPN, votre fournisseur d’accès à Internet vous connecte à un serveur distant qui appartient au service VPN que vous avez choisi.

Habituellement, votre adresse IP, qui sert d’identifiant sur Internet, permet de vous localiser.

Cependant, avec un VPN, vous utilisez une adresse IP différente, ce qui vous permet de naviguer sur le web de manière anonyme.

Cet article s’adresse plutôt aux personnes qui utilisent principalement, le VPN à des fins économiques.

L’exemple le plus courant de l’utilisation du VPN à des fins économiques est visible lorsqu’un consommateur se connecte via le VPN à un site de vente en ligne en utilisant une adresse IP d’un tout autre pays, afin de payer moins pour les biens ou services qu’il aurait eu à un prix plus élevé en utilisant sa véritable adresse IP.

Lorsque tout se passe bien, cette pratique est redoutable. Cependant, lorsque surviennent des problèmes (défaut de livraison conforme, vice caché, garantie, délai de rétractation…), la question du juge compétent refait subitement surface.

Au cours des dernières années, l’utilisation des VPN a connu une croissance exponentielle, notamment dans les pays où la censure est forte. En effet, un VPN permet de masquer son adresse IP et de choisir sa géolocalisation. Selon le site web “Atlas VPN”, qui a recueilli des données sur le téléchargement de VPN sur Google Play Store et Apple App Store, les Émirats arabes unis étaient, en 2022, les plus grands utilisateurs de VPN en proportion de leur population, avec 43% des Émiriens utilisant cet outil. D’autres pays comme le Qatar, Singapour et l’Arabie Saoudite figurent également en haut du classement.

En France, nous sommes classés 17ᵉ avec près de 9 millions d’utilisateurs, soit environ 13% de la population (contre 5% en 2020), derrière le Royaume-Uni (10ᵉ) et l’Allemagne (15ᵉ). Les motivations des utilisateurs de VPN sont diverses. Pour certains, un VPN est un moyen d’agir anonymement, ce qui peut malheureusement conduire à des activités illégales. Pour d’autres, un VPN est un outil pour économiser de l’argent lors de l’achat en ligne, car il peut permettre d’accéder à des offres spécifiques à certaines régions.

Cependant, il est important de noter que l’utilisation d’un VPN n’offre pas une protection totale contre les conséquences juridiques. Si des activités illégales sont commises, les autorités peuvent demander aux fournisseurs de VPN de fournir les données des utilisateurs.

Par conséquent, même si un VPN offre un certain niveau d’anonymat, il ne garantit pas l’impunité pour les actes pénalement répréhensibles. Il est donc crucial d’utiliser un VPN de manière responsable et légale.

I) Le vide juridique concernant le juge compétent.

La question de la compétence juridictionnelle varie en fonction du lieu de domicile des parties. Dans un contrat faisant état d’un ou plusieurs éléments se rapprochant du territoire européen (domicile des parties, lieu de livraison, lieu du dommage…), dont une ou plusieurs parties au dit contrat sont domiciliées dans des États membres de l’UE différents, la question du juge compétent est réglée par les règlements Bruxelles I ou I bis.

Plus précisément, à l’article 15, § 1, du règlement Bruxelles I (ou l’article 17, § 1, du règlement Bruxelles I bis) qui établit les conditions pour qu’un accord soit considéré comme un contrat de consommation. Si ces conditions sont remplies, le consommateur est protégé et peut être jugé dans son pays de résidence s’il est défendeur dans une action en justice. De plus, il a la possibilité de poursuivre son cocontractant professionnel dans son propre pays de résidence s’il est le demandeur.

Pour que le consommateur puisse bénéficier de cette protection juridictionnelle spéciale dans son pays de résidence (comme le stipule l’article 16, § 1, du règlement Bruxelles I), trois conditions doivent être remplies : le consommateur doit avoir agi en dehors de son activité professionnelle ; un contrat doit avoir été conclu entre le consommateur et le professionnel ; et ce contrat doit appartenir à l’une des catégories mentionnées à l’article 15, paragraphe 1, sous a) et b.

Ces dispositions, bien que très importantes, l’article 15, § 1, sous la lettre c), est le volet qui se rapproche le plus de l’usage du VPN. Il prévoit l’élargissement, sous condition, des règles de compétence spéciale protectrices du consommateur aux contrats de consommation innomés, c’est-à-dire qui ne relèvent pas de ceux qui sont spécialement visés en a) et b).

Cet article vise concrètement les cas où les sites de vente en ligne proposent des biens ou services dirigés vers les consommateurs d’un État membre. Exemple : un site internet qui met en vente des biens ou services avec un contenu rédigé en français.

Dans cette hypothèse, les juges français seront compétents quand bien même, le contrat conclu entre le consommateur français et le site internet ne serait pas compris dans la liste des contrats visés aux points a et b.

Pour les juges, l’activité professionnelle est réputée « dirigée vers » le pays du consommateur lorsque le professionnel, animé de la volonté manifeste de démarcher les consommateurs dudit pays, a procédé à un ciblage délibéré de ces derniers, ce que la simple accessibilité à son site internet ne permet pas d’établir [1].

En clair, le juge vérifie que le contrat en cause présente des indices suffisamment probants permettant d’affirmer qu’il était dirigé vers le domicile du consommateur demandeur ou défendeur au litige.

Cependant, avec le VPN, la situation est inversée. Le professionnel crée son site pour un public spécifique et le consommateur, qui n’est a priori pas ciblé par ce public, contracte via le VPN. Cette situation n’étant pas couverte par les dispositions des règlements Bruxelles I et I bis, elle pourrait conduire à l’inapplicabilité du régime protecteur accordé au consommateur à l’égard des consommateurs utilisant le VPN.

II) Les hypothèses envisageables.

La mise à l’écart du régime de protection juridictionnelle spéciale accordé au consommateur ne renvoie pas, pour autant, à une situation de non-droit. Les juges disposent en effet de plusieurs leviers afin de déterminer leur compétence.

Le premier serait de partir de l’article 15, § 1, du règlement Bruxelles I (ou l’article 17, § 1, du règlement Bruxelles I bis) en son point C, afin de rechercher tout autre indice suffisamment probant permettant d’affirmer que les services proposés étaient dirigés vers le domicile du consommateur. Cette tâche s’avère difficile, puisque, dans la majorité des cas, l’intérêt économique entourant l’usage de VPN se trouve dans le fait de profiter de prix sur des biens et services n’étant pas destinés à l’utilisateur du VPN.

Le second levier serait de tenir compte de la clause de choix de juridiction contenue dans les documents contractuels liant l’utilisateur du VPN au site de vente (CGV, CGU, contrat de vente, contrat de prestation de service…) ou, lorsqu’il n’y a pas de clause de choix de juridiction, de rechercher la compétence juridictionnelle à travers les chefs de compétences proposés par les règlements Bruxelles I et I bis, sans tenir compte de la qualité de consommateur de l’utilisateur du VPN.

Dans cette hypothèse, celui qui utilise le VPN devra apporter la preuve de sa résidence dans un État membre (justificatifs de domicile).

Enfin, une hypothèse plus radicale serait de fixer unilatéralement la compétence du juge au lieu du domicile de l’entreprise de VPN.

Ces hypothèses restent en suspens jusqu’à ce que les Cours se prononcent sur ce sujet et cela ne risque pas de tarder avec l’ampleur que ce phénomène prend.

Christ Foua, étudiant en Master 1 de droit des affaires, parcours juriste d’entreprise à l’Université Paris-Saclay (site d’Evry)

[1Arrêt Pammer et Hotel Alpenhof (CJUE 7 déc. 2010, aff. jtes C-585/08, Peter Pammer et C-144/09, KG Hotel Alpenhof, Rev. crit. DIP 2011. 414, note O. Cachard ; RJ com. 2011. 250, obs. M.-E. Ancel ; Europe 2011. Comm. 96, L. Idot ; D. 2010. 5, obs. C. Manara ; D. 2011. 1381, obs. F. Jault-Seseke, 2373 obs. P.T.G. et 2441, obs. S. Bollée ; JCP 2011. 129, note L. d’Avout).