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[Point de vue] La GPA dans le projet de révision de la Directive européenne sur la traite des êtres humains. Par Aude Mirkovic, Maître de conférences.
Parution : jeudi 14 décembre 2023
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Le projet de révision de la Directive européenne de 2011 sur la traite des êtres humains (2011/36/UE) ajoute la « gestation pour autrui aux fins d’exploitation génésique » dans la liste « minimum » des actes relevant de la traite.

La Commission mixte LIBE/FEMM [1] du Parlement européen a voté le 5 octobre 2023 une Proposition de Directive européenne (2022/0426(COD) [2]) modifiant la Directive de 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes (2011/36/UE [3].

La Directive de 2011 [4] a pour objet d’établir « des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans le domaine de la traite des êtres humains » (art. 1er).

Dans ce but, elle donne une liste « minimum » des actes intentionnels que les États doivent punir car relevant de la traite des êtres humains (art. 2).

Libre à eux d’incriminer d’autres actes à ce titre, mais ils doivent prévoir au minimum : le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, y compris l’échange ou le transfert du contrôle exercé sur ces personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre, à des fins d’exploitation.

Le texte de 2011 précise ensuite que : « l’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, y compris la mendicité, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude, l’exploitation d’activités criminelles, ou le prélèvement d’organes » (art. 2, 3°).

Le projet de directive en cours de discussion ajoute à cette liste que l’exploitation comprend également « la gestation pour autrui aux fins d’exploitation génésique », ainsi que le mariage forcé, l’adoption illégale, l’exploitation des enfants placés en institutions résidentielles ou établissements de type fermé, ou le recrutement d’enfants en vue de se livrer à des activités criminelles ou d’y participer.

La GPA comme traite dans un texte contraignant.

La gestation pour autrui est ainsi en passe d’être référencée comme faisant partie de la liste « minimum » des situations relevant de la traite humaine par un texte européen contraignant, en l’occurrence une directive. Ceci n’est guère une surprise car le Parlement européen, à plusieurs reprises, a déjà identifié la gestation pour autrui comme une forme de traite et d’exploitation des femmes comme des enfants : il considère ainsi, dans une résolution du 5 avril 2011 relative à la lutte contre la violence à l’encontre des femmes, que « les nouvelles méthodes de reproduction, comme la maternité de substitution, entraînent une hausse de la traite des femmes et des enfants ainsi que des adoptions illégales par-delà les frontières nationales », à tel point que « femmes et enfants sont soumis aux mêmes formes d’exploitation et peuvent être vus comme des marchandises sur le marché international de la reproduction » [5].

Plus récemment, la résolution du 21 janvier 2021 sur la stratégie de l’Union européenne en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes [6] et celle du 5 mai 2022 sur l’impact de la guerre contre l’Ukraine sur les femmes (2022/2633(RSP) rappellent que « l’exploitation sexuelle à des fins de gestation pour autrui et de reproduction est inacceptable et constitue une violation de la dignité humaine et des droits de l’homme » [7].

L’identification de la GPA comme une forme de traite des êtres humains étant ainsi déjà acquise, la voici sur le point d’être affirmée dans une directive, ce qui confèrerait à cette qualification de traite une portée nouvelle.

Une formulation ambiguë.

Certes, la formule actuellement retenue par le projet de directive relève de ce langage alambiqué dont l’Union européenne a le secret, à tel point qu’il est bien délicat de comprendre ce que vise exactement « la gestation pour autrui aux fins d’exploitation génésique » surrogacy for reproductive exploitation dans la version anglaise du texte.

Le texte a-t-il pour but de distinguer entre une GPA qui serait aux fins d’exploitation génésique et une GPA qui ne le serait pas ? Outre le fait qu’une telle distinction serait assez obscure, les discussions ayant conduit à ce texte semblent exclure une telle interprétation dès lors qu’a été explicitement rejetée toute distinction entre les différents types de maternité de substitution, notamment entre une supposée GPA « commerciale » opposée à une supposée GPA « altruiste ». De même, un amendement visant à n’inclure que la « maternité de substitution forcée » dans les cas de traite des êtres humains, a lui aussi été rejeté.

Au-delà de ces précisions, on voit mal comment la GPA pourrait ne pas relever de l’exploitation, étant précisé par la directive elle-même qu’ « une situation de vulnérabilité signifie que la personne concernée n’a pas d’autre choix véritable ou acceptable que de se soumettre à cet abus » (art. 2, 3°), ce qui est le cas de l’immense majorité des femmes qui se prêtent à la GPA.

Surtout, le texte précise que « le consentement d’une victime de la traite des êtres humains à l’exploitation, envisagée ou effective, est indifférent » lorsque l’un des moyens visés a été utilisé. Le consentement réel ou supposé de la femme est ainsi hors sujet en ce qui concerne la qualification de traite. Cette approche est celle déjà mise en œuvre par le Code pénal français qui sanctionne, au titre des atteintes à la dignité humaine, les conditions de travail et d’hébergement contraire à la dignité humaine, alors même que les victimes de ces traitements sont peut-être « consentantes », c’est-à-dire satisfaites de leur sort [8].

La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005 stipule dans la même ligne que « le consentement d’une victime de la "traite d’êtres humains" à l’exploitation envisagée […] est indifférent ».

Enfin, la directive précise que lorsque les actes visés concernent un enfant, ils relèvent de la traite des êtres humains et, à ce titre, sont punissables, même si aucun des moyens visés n’a été utilisé (art. 2, 5°), autrement dit même s’il n’y a pas eu de violence : or, la GPA concerne toujours et directement un enfant, raison d’être du contrat.

L’exercice sur une personne d’un des attributs du droit de propriété.

Le lien entre la GPA et la traite est aisément perceptible si l’on revient à la Convention de Genève relative à l’esclavage du 25 septembre 1926 qui définit en son article 1er l’esclavage comme « l’état ou condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux » [9], définition reprise à l’article 224-1 A du Code pénal français : « la réduction en esclavage est le fait d’exercer à l’encontre d’une personne l’un des attributs du droit de propriété ».

Comme l’explique Muriel Fabre-Magnan, il n’est plus nécessaire, dans l’esclavage moderne, de disposer de l’individu, il suffit de l’utiliser : « les nouvelles formes d’exploitation des êtres humains ne nécessitent pas […] de s’approprier la personne dans son entier. Il suffit de s’en approprier l’usage (usage du corps de la mère porteuse, par ex.) ou les fruits organes, gamètes, et même les enfants dans la gestation pour autrui » [10].

Dans la GPA, l’exercice de l’usus sur la femme par l’utilisation de son corps mériterait de plus amples développements.

Mais c’est surtout sur l’enfant que l’exercice des prérogatives de propriétaire est le plus visible, dès lors que la gestation pour autrui fait de l’enfant l’objet d’un acte de disposition sur sa personne : l’enfant est en effet l’objet du contrat qui n’est exécuté qu’avec sa remise. Contrairement à ce que suggère les termes de « gestation pour autrui », la grossesse n’est pas l’objet du contrat mais le moyen préalable de réaliser ce qui est le véritable objet du contrat, à savoir la remise de l’enfant. Qu’elle intervienne à titre gratuit ou rémunéré, la remise de l’enfant réalise une disposition de l’enfant et celui qui donne, ou qui vend, un enfant exerce sur lui l’un des attributs du droit de propriété, en l’occurrence l’abusus, prérogative par excellence du propriétaire et de lui seul.

Il n’est certes pas évident de percevoir le lien entre la remise de l’enfant et la traite car, dans l’imaginaire collectif, la traite suppose l’utilisation de la personne pour le travail, l’esclavage sexuel ou autre. Pourtant, le droit pénal français distingue clairement le crime de réduction en esclavage [11] de celui d’exploitation d’une personne réduite en esclavage, sous forme d’agression sexuelle, séquestration ou soumission à du travail forcé [12]. Il y a deux infractions distinctes, et la réduction en esclavage existe dès lors que s’exerce sur la personne l’un des attributs du droit de propriété. Ainsi, le fait que l’enfant soit bien traité et se voie prodiguer soins et affection après sa remise aux commanditaires ne fait pas disparaître l’acte de disposition dont il a été l’objet et n’exclut donc pas la qualification de traite, dès lors que le contrat de GPA consiste à exercer sur lui l’un des attributs du droit de propriété.

Suite de la procédure de révision.

Il reste sans doute des interrogations sur la portée exacte du projet de révision de la directive, qui pourra être précisé lors de son passage devant le Conseil de l’Union européenne (formation « Justice et affaires intérieures »), où il devra être voté à l’unanimité.

Ces incertitudes, tout comme d’éventuelles retouches, sont pourtant secondaires au regard de l’apport principal du texte, à savoir l’intégration officielle de la GPA parmi les nouvelles formes de traite dans un texte international contraignant, ce qui est une première.

Aude Mirkovic Maître de conférences en droit privé HDR

[1Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures et Commission des droits des femmes et de l’égalité des genres.

[3Directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011, concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil

[5Résolution du Parlement européen du 5 avril 2011 sur les priorités et la définition d’un nouveau cadre politique de l’Union en matière de lutte contre la violence à l’encontre des femmes (2010/2209(INI)), § 20, https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-7-2011-0127_FR.html

[6Résolution du Parlement européen du 21 janvier 2021 sur la stratégie de l’Union européenne en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes (2019/2169 (INI)) P9_TA(2021)0025, § 32, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52021IP0025

[7Résolution du Parlement européen du 5 mai 2022 sur l’impact de la guerre contre l’Ukraine sur les femmes (2022/2633 (RSP) P9_TA(2022)0206 : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2022-0206_FR.pdf

[8Article 225-14 du Code pénal.

[10Muriel Fabre-Magnan, Les nouvelles formes d’esclavage et de traite, ou le syndrome de la ligne Maginot, Dalloz, 2014, p. 491.

[11Art. 224-1 A du Code pénal.

[12Art. 224-1 B du Code pénal.

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