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Les enjeux de la kafala en droit français. Par Mourad Medjnah, Avocat.
Parution : mardi 28 novembre 2023
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La kafala est un outil juridique très particulier en faveur de la protection des enfants mineurs en situation de danger, qui se distingue clairement de la mesure d’adoption en tant que dispositif emblématique de la protection de l’enfance. Si la kafala et l’adoption poursuivent la même finalité, leurs contenus et leurs substances diffèrent.

Bien que reconnue en France, la kafala n’est pas un dispositif français créé de toute pièce par la législation française. Il s’agit, au contraire, d’un outil juridique étranger seulement reconnu par le droit français en raison des engagements internationaux de la France en faveur de la protection des enfants.

De ce point de vue, la position diplomatique de la France est claire et sans ambigüité : prendre en considération tout procédé, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne, dès lors qu’il poursuit la même finalité de sauver et de protéger des enfants en situation de danger.

Ainsi, à travers cette reconnaissance internationale, la réception et la compréhension de la kafala en droit français deviennent nécessaires sans qu’il y ait besoin de modifier celui-ci.

Seulement, les juristes français et tous les acteurs de la société civile participant de près où de loin à la protection infantile, ont à connaître ce dispositif particulier qui suscite, à l’heure actuelle, bien plus de questions que de réponses : la kafala est-elle une mesure d’adoption ? Si tel n’est pas le cas, peut-on adopter un enfant recueilli par kafala ?

Quelles sont les répercussions de ce recueil dans la composition de la famille ?

Comment obtenir un acte de kafala pour des parents français souhaitant recueillir un enfant étranger ? Comment organiser légalement la venue en France d’un enfant étranger recueilli par kafala ? etc…

I.- Avant-propos : compatibilité de la kafala avec la laïcité ?

Toutes ces questions montrent à quel point il est important d’apporter des réponses appropriées aux préoccupations jugées légitimes, ne serait-ce que parce que le sujet qui nous intéresse a des ramifications dans le champ social. Néanmoins, ce sujet est périlleux, pas seulement à cause de sa complexité, mais surtout, et avant tout, parce qu’il entremêle le Temporel et le Spirituel.

Or, les juristes, comme les acteurs sociaux, ne sont pas des théologiens. Et, par-dessus tout, tous sont très attachés aux valeurs laïques de notre société démocratique qui prône une séparation stricte entre l’Eglise et l’Etat. Il leur est donc, finalement, très difficile d’aborder la question de la protection infantile par kafala sans courir le risque de s’imprégner ou simplement prendre connaissance de critères religieux dans l’exercice de leur métier profondément laïc.

Il n’empêche que l’intérêt supérieur d’un enfant prime sur toute autre considération idéologique ou politique. Le pragmatisme commande et recommande de dépasser cette dichotomie, ce malaise, et de faire l’effort intellectuel de s’intéresser à ce dispositif si particulier en faveur de la protection de l’enfant, car il est du devoir de tous de protéger des enfants en situation de danger.

II.- Étymologie de la notion de kafala.

D’un point de vue étymologique, la notion de kafala trouve sa source dans le droit musulman (dit « Charia »), qui regroupe les règles juridiques forgées à partir de l’interprétation humaine des préceptes du Livre Sacré (« Coran »), à l’image des autres religions : le droit canonique par rapport à la Bible et le droit tamuldique par rapport à la Torah. Il faut donc bien distinguer le droit juridico-religieux issu de l’interprétation humaine et la Parole Divine telle qu’elle est révélée, identifiée et transcrite dans le Livre Sacré. Le droit religieux régit les rapports sociaux des individus au sein de la société, tandis que la Parole Divine relève de l’intime. C’est, par conséquent, faire preuve d’ignorance que d’associer la Charia et le Coran, ou d’affirmer que l’un est l’autre, d’autant plus que toute pratique religieuse ne valide pas la foi.

Ceci étant précisé, le Coran comporte, à l’image des Livres Sacrés des autres grandes religions, des percepts imprécis, généraux, indéterminés ou ambigus qu’il convient d’interpréter par la force de l’intelligence humaine pour pouvoir les appliquer à des situations factuelles précises, au même titre d’ailleurs que le droit Laïc, avec ce rapport entre la jurisprudence et la loi générale et imprécise.

Ainsi pour comprendre la kafala, il faut commencer par prendre le texte sacré au sérieux. Que dit le Coran ? A la lecture des versets 4 et 5 de la sourate 33 du Coran, l’enfant doit être protégé, mais il ne peut pas être adopté. Ainsi, l’Islam reconnaît la protection de l’enfance, mais n’autorise pas son adoption. Or, toute interdiction engendre un vide. C’est justement pour combler ce vide que le droit musulman est parvenu à créer, par le biais d’interprétations extensives des versets religieux, un dispositif de substitution ou de compensation conforme aux pratiques religieuses, dont la mise en application garantit une protection effective de l’enfant en situation de danger.

III.- Définition de la kafala.

Il devient plus facile de comprendre ce qu’est la kafala en droit musulman. Elle est définie comme étant un acte, de type notarial ou judiciaire, par lequel un adulte de confession musulmane (dite « kafil ») s’engage à recueillir sous sa responsabilité un enfant mineur (dit « makfoul ») en situation de danger, c’est-à-dire abandonné, isolé, orphelin, né hors mariage, maltraité ou confronté à des difficultés sociales de sorte que ses conditions d’existence seraient irrémédiablement compromises.

Il faut bien faire attention aux termes employés : « recueillir » ne signifie pas « adopter ». Il s’agit simplement d’un recueil légal comme outil de substitution à l’adoption, basé sur un engagement moral validé et homologué par une autorité de droit commun (notaire ou juge), seule habilitée à lui donner une valeur légale. D’où l’expression « recueil légal ». Ce recueil légal permet ainsi de confier la garde d’un mineur makfoul à un adulte kafil, à charge pour ce dernier de l’élever, l’éduquer et le protéger en bon père de famille ou bonus pater familias, autrement dit comme le ferait un père pour son enfant.

IV.- Critères d’identification de la kafala.

A travers cette définition consensuelle, sinon précise, on peut relever trois critères d’identification du recueil légal dit kafala.

En premier lieu, la Kafala n’est pas une mesure d’adoption à proprement parler, puisqu’elle ne créée pas de lien de filiation entre l’enfant et son tuteur légal bénéficiaire de la Kafala. C’est pourquoi celle-ci peut être qualifiée d’adoption sans filiation ou encore de tutelle parentale sans filiation. La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a d’ailleurs mis en évidence ce critère dans un arrêt de principe : « Une enfant confiée dans le cadre d’une Kafala n’est pas un descendant direct des personnes de sa famille qui l’ont recueillie » [1].

Dans ses effets, l’absence de filiation à travers la kafala engendre plusieurs conséquences négatives autant pour l’enfant que ses nouveaux parents. L’enfant recueilli par kafala ne peut pas revendiquer l’usage du nom patronymique de son tuteur légal, ni même hériter de ses biens en matière de succession. Le tuteur français bénéficiaire de la Kafala, quant à lui, ne peut pas faire de demande de regroupement familial pour faire venir en France l’enfant étranger : « Le recueillant ne peut utilement se prévaloir du transfert de l’autorité parentale dont il a bénéficié par recueil légal au soutien de sa demande de regroupement familial formée au bénéfice de l’enfant recueilli, le regroupement familial étant un dispositif qui exige l’existence d’un lien de filiation » [2].

En deuxième lieu, il s’agit plutôt d’une simple mesure de prise en charge matérielle et affective et de protection d’un enfant mineur jusqu’à sa majorité légale. Ce deuxième critère est celui qui est retenu par les autorités étrangères des pays de droit musulman, habilitées à légaliser l’acte de kafala. Le recueil légal de l’enfant mineur est ainsi accordé sous réserve que les trois conditions cumulatives d’entretien, d’éducation et de protection soient effectivement remplies.

Enfin, en troisième lieu, la kafala est perçue par le juge français, de façon extensive et par souci de simplicité, comme une délégation de l’autorité parentale.

C’est sous ce prisme que le Conseil d’Etat perçoit ce procédé particulier de protection de l’enfance, à la lecture de l’un de ses arrêts sur le sujet : « L’intérêt d’un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d’une décision de justice qui produit ses effets juridiques en France, est titulaire à son égard de l’autorité parentale » [3].

V.- Obtention de l’acte de kafala.

En droit musulman, l’acte de kafala peut être établi par un notaire ou un juge, seules autorités habilitées à légaliser le recueil de l’enfant. En pratique, c’est le plus souvent, et même quasi-exclusivement, le juge qui rédige l’acte de kafala, en l’occurrence le juge aux affaires familiales du tribunal du lieu de domicile de l’enfant.

Ce dernier ne se contente pas de légaliser l’engagement moral du recueillant. Son contrôle est bien plus strict et rigoureux au nom même de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Il va d’abord convoquer toutes les parties prenantes pour être entendues : les parents biologiques ou le responsable de l’enfant concerné, l’enfant lui-même, la personne ou le couple acceptant de recueillir l’enfant. Il peut, s’il le souhaite, jusqu’à convoquer toute personne de l’entourage de l’enfant (voisin, professeur, agent administratif de la commune où vit l’enfant, et…), afin de vérifier la véracité des éléments qui lui ont été communiqués avant de se prononcer, et ainsi éviter tout risque de fraude. Les parents biologiques doivent donner impérativement leur consentement. Il va aussi vérifier les capacités d’accueil et les ressources financières du recueillant. C’est dire à quel point la question de la protection de l’enfant est prise très au sérieuse à ce stade de la procédure.

VI.- Quelques législations étrangères en matière de kafala.

Il n’est pas inutile de rappeler quelques législations étrangères en la matière.

C’est en droit tunisien qu’a été instituée pour la première fois la notion de kafala par le Code de la famille mis en place en 1958, toujours en vigueur, qui qualifie la kafala de tutelle officieuse. En effet, son article 3 dispose que

« la tutelle officieuse est l’acte par lequel une personne majeure jouissant de la pleine capacité civile, ou un organisme d’assistance, prend à sa charge un enfant mineur dont il assure la garde et subvient à ses besoins ».

A côté de cela, l’adoption est également permise en Tunisie. C’est d’ailleurs le seul pays du monde musulman à reconnaître officiellement l’adoption. L’article 8 du Code de la famille de 1958 dispose que « L’adoption est permise ».

L’article 9 ajoute que

« L’adoptant doit être une personne majeure de l’un ou l’autre sexe, mariée, jouissant de la pleine capacité civile. Il doit être de bonne moralité, saint de corps et d’esprit et en mesure de subvenir aux besoins de l’adopté ».

En jouant sur les deux plans, le droit tunisien laisse le choix aux familles de recourir soit à l’adoption soit à la tutelle. On voit bien ici que la source révélée et la rationalité humaine peuvent être combinées, se conjuguer, parce que le législateur tunisien considère que le Livre Sacré (ou Coran) n’est pas un socle rigide. C’est clairement un bouleversement, sinon une vraie avancée, qui va à contre courant de la pensée littéraliste du droit musulman.

En droit marocain, la kafala est réglementée par la loi n°15-01 du 15/06/2002 relative à la prise en charge des enfants abandonnés. L’article 2 définit la kafala comme étant une prise en charge d’un enfant abandonné :

c’est « l’engagement de prendre en charge sa protection, son éducation et son entretien au même titre que le ferait un père pour son enfant. La kafala ne donne pas de droit à la filiation ni à la succession ».

En Algérie, la kafala, est définie de façon plus globale par le Code algérien de la famille, promulgué en 1984, qui rejette toute perception minimaliste. Son article 116 définit la Kafala comme étant « l’engagement de prendre bénévolement en charge l’entretien, l’éducation et la protection d’un enfant mineur, comme le ferait un père pour son fils. Il est établi par acte légal ». L’article 121 de ce même code dispose quant à lui que

« Le recueil légal confère à son bénéficiaire la tutelle légale et lui ouvre droit aux mêmes prestations familiales et scolaires que pour l’enfant légitime ».

VII.- Reconnaissance de la kafala en droit français.

La protection infantile par kafala est reconnue et appliquée en France à travers ses engagements internationaux.

Il y a d’abord les traités multilatéraux eu égard notamment à l’article 3§1 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIE) du 26 janvier 1990 (« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale »), l’article 20 de la CIE (« 1. Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’Etat. 2. Les Etats parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation nationale. 3. Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la kafala de droit islamique, de l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié. Dans le choix entre ces solutions, il est dûment tenu compte de la nécessité d’une certaine continuité dans l’éducation de l’enfant, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique »), l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) sur la protection du droit au respect de la vie privée et familiale (« 1.- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2.- Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui »), ou encore l’article 14 de la CEDH sur l’interdiction de toute forme de discrimination dans les droits garantis par la Convention (« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation »).

Il y a également les traités bilatéraux. A titre d’illustration, pour le cas de l’Algérie, l’article 4 de l’accord franco algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles stipule que

« Les membres de la famille qui s’établissent en France sont mis en possession d’un certificat de résidence de même durée de validité que celui de la personne qu’ils rejoignent ».

Aux termes du titre II du protocole annexé à l’accord : « Les membres de la famille s’entendent du conjoint d’un ressortissant algérien, de ses enfants mineurs ainsi que des enfants de moins de dix-huit ans dont il a juridiquement la charge en vertu d’une décision de l’autorité judiciaire algérienne dans l’intérêt supérieur de l’enfant ».

L’avantage d’avoir comme point de référence des traités à la fois multilatéraux et bilatéraux, c’est qu’il est possible d’invoquer dans un contentieux les stipulations du traité multilatéral lorsque la France n’a pas conclu de traité bilatéral avec le pays de droit musulman concerné, ce qui est d’autant plus pratique que la France n’a pas conclu de conventions internationales avec les 57 pays majoritairement musulmans (membres de l’Organisation de la Coopération Islamique - OCI) qui pratiquent la kafala.

Le souci, c’est que l’intérêt de l’enfant à vivre auprès de ses nouveaux parents bénéficiaires de la kafala ne se présume pas selon la jurisprudence française, qui considère au contraire que cet intérêt supérieur doit être établi au cas par cas, c’est-à-dire au vu de l’ensemble des pièces du dossier.

Par exemple, dans le cadre d’un contentieux à l’encontre d’une décision de refus de visa, le juge vérifier les pièces du dossier pour décider si l’enfant peut venir en France ou pas, telles que les justificatifs de ressources financières du kafil (contrat de travail, bulletins de salaire, avis d’imposition, relevés du compte bancaire,…), et les capacités d’accueil et l’état du logement (titre de propriété ou contrat de location, attestation d’accueil, livret de famille pour savoir le nombre d’occupants, …).

Par conséquent, il ne suffit pas d’invoquer les traités internationaux pour obtenir gain de cause dans un contentieux relatif à la kafala.

VIII.- Procédure d’exequatur : est-elle indispensable en matière de kafala ?

Il n’est pas nécessaire d’engager une procédure d’exequatur devant les tribunaux français pour faire venir légalement en France l’enfant étranger recueilli par kafala.

Il suffit simplement de déposer aux autorités consulaires françaises une demande de visa de long séjour sollicité au nom de l’enfant en qualité de visiteur. C’est le seul visa adapté à la situation de recueil de l’enfant, sachant qu’il n’existe pas de visa spécifique à la kafala.

D’un point de vue jurisprudentiel, la Cour de cassation a précisé que le juge français saisi d’une demande d’exequatur d’un jugement algérien ne peut pas procéder à une révision au fond de ce jugement en substituant sa propre appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve à celle du juge algérien [4].

En revanche, une fois l’enfant sur le sol français, il est vivement recommandé de faire reconnaître les pleins effets juridiques du jugement de kafala sur le territoire français à travers la procédure d’exequatur pour toutes les démarches à venir auprès des administrations françaises en faveur de l’enfant mineur (crèche, inscription scolaire, document de circulation pour étranger mineur, demande de nationalité française, etc…).

IX.- Refus de visa et kafala.

Les cas de demande de visa pour cause de kafala sont nombreux : enfant né d’un viol collectif, enfant né d’une relation adultérine dont la mère est mineure, enfant né suite à une grossesse non désiré, enfant abandonné par ses parents biologiques, enfant né au sein d’une famille en détresse financière, enfant se retrouvant orphelin suite au décès de ses parents dans un accident, enfant victime de maltraitance ou de négligence grave, enfant orphelin né en zone de guerre, etc…

Malheureusement, les autorités consulaires françaises refusent très souvent de délivrer un visa à l’enfant recueilli par kafala par des parents français, principalement pour des raisons politiques, surtout lorsque ces enfants viennent de pays pauvres sous prétexte la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ; ou alors, concernant les trois pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie), le Président de la République avez exigé en 2021 que les autorités consulaires françaises dans ces pays devaient diviser le nombre de visa par 30% à 50%, sous prétexte que ces pays ne délivrent pas à la France de laisser-passé diplomatique permettant d’expulser les clandestins dans leur pays d’origine. En clair, la faute de quelques individus se traduit par une punition collective.

L’argument juridique le plus souvent utilisé pour justifier la décision de refus de visa est tiré du motif de ce que « les informations communiquées pour justifier l’objet et les conditions du séjour envisagés sont incomplètes et/ou ne sont pas fiables ».

Faute de visa, l’enfant se retrouve à nouveau abandonné puisqu’il ne peut pas venir légalement en France pour vivre aux côtés de ses nouveaux parents et trouver ainsi refuge au sein d’une famille. Fort heureusement que la France est un Etat de droit démocratique moderne, dans lequel tout le monde doit respecter la loi et personne est au-dessus des lois, pas même le Président de la République. Il ne faut donc pas hésiter à contester les décisions de refus de visa au nom même de la loi protectrice des droits de l’enfant.

La loi impose un recours préalable obligatoire devant la Commission de recours contre les refus de visa d’entrée en France (CRRV) dans un délai de 30 jours à compter de la date de notification de la décision consulaire de refus. La Commission a un délai de deux mois pour répondre. La loi prévoit qu’elle peut soit rejeté explicitement le recours, soit ne pas répondre dans le délai imparti, équivalent ainsi à une décision implicite de rejet.

Le tuteur ou la tutrice légale bénéficiaire de la Kafal a aura alors deux mois pour contester la décision implicite ou explicite de la décision de la CRRV par le biais d’un recours contentieux devant le Tribunal administratif de Nantes, seul compétent territorialement en matière de visa. S’il est saisi, le juge administratif jugera sur pièces les capacités d’accueil et les conditions de ressources du tuteur légal.

Ainsi, plusieurs éléments peuvent faire obstacles à la délivrance d’un visa au profit de l’enfant : l’insuffisance ou l’instabilité des ressources du recueillant (kafil), l’exigüité de son logement, l’âge avancé de son conjoint, les attaches familiales de l’enfant recueilli (makfoul) dans le pays d’origine, le très jeune âge de l’enfant confié à ses grands-parents résidant en France, etc…

X.- Nationalité française et kafala.

L’enfant recueilli par kafala sur le sol français peut acquérir la nationalité française en vertu des dispositions de l’article 21-12 du Code civil : « L’enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française ou confié au service de l’aide sociale à l’enfance » peut, jusqu’à sa majorité, demander l’acquisition de la nationalité française par déclaration. Le texte prévoit ainsi un délai minimum de trois années à compter de la date de la présence de l’enfant auprès de sa famille en France pour déposer une demande de naturalisation.

En revanche, la Cour de cassation a confirmé le rejet d’une demande d’acquisition de la nationalité française formulée au nom d’un mineur algérien recueilli en France chez sa tante en application de l’article 21-12 du Code civil, au motif que

« le recueil de l’enfant en France n’était qu’épisodique en raison d’une résidence alternative en France et en Algérie » [5].

XI.- Demande d’adoption et kafala.

Les tuteurs bénéficiaires de la kafala peuvent déposer une demande d’adoption de l’enfant qu’ils ont recueillis, à la condition qu’ils aient obtenu préalablement l’autorisation expresse du parent ou des parents biologiques. Il n’est pas possible d’utiliser dans la procédure d’adoption le consentement des parents donné dans le cadre de la procédure de kafala à l’étranger. Il faut impérativement une nouvelle autorisation du parent biologique justifiant son acceptation de voir son enfant adopté par sa nouvelle famille kafil.

Si les deux parents sont vivants, il faudra donc deux autorisations écrites (celui du père et de la mère). Si un seul parent est connu (père ou mère), son autorisation écrite suffira. Si les deux parents sont introuvables, la logique voudrait que l’on puisse se contenter de l’autorisation du conseil familial (grands-parents, oncles, cousins).

D’un point de vue de la jurisprudence, depuis un arrêt de principe rendu en 2013, c’est l’impasse. La Cour de cassation a estimé que le consentement du conseil de famille n’est pas recevable si les parents biologiques sont vivants, sauf à démontrer que ceux-ci sont morts [6].

Dans cette affaire, un couple français a recueilli par kafala judiciaire un enfant mineur abandonné par sa mère (suite à un viol). Le couple a sollicité une déclaration de la nationalité française pour l’enfant, puis une adoption après avoir recueilli le consentement du conseil de famille, vu que la mère était introuvable.

S’appuyant sur l’article 348-2 du Code civil, la Cour de cassation a estimé que le conseil de famille n’avait pas la compétence pour consentir à l’adoption de l’enfant bénéficiant de la kafala. Seule la mère biologique pouvait donner son consentement. Le rejet de la demande d’adoption était donc justifié sur le plan juridique.

D’un point de vue moral, on pourrait condamner cette décision de justice au nom même de la nécessaire protection des enfants mineurs. Soit, mais la Cour de cassation fait bien la distinction entre droit de l’enfant et droit de filiation. En résumé, la réunion d’un conseil de famille ad hoc ne permet pas transformer une kafala en adoption.

Mourad Medjnah Avocat à la Cour d'appel de Paris Docteur en droit Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1) Cabinet d'avocat Medjnah Mail: [->m.medjnah@gmail.com]

[1CJUE, 29/03/2019, aff. C-129/18.

[2CAA Lyon, 25/03/2009, n° 08LY00618.

[3CE, 01/12/2010, n° 328063.

[4Cass. civ. 1re, 12 juill. 2017, n° 16-24.013.

[5Cass. 1er civ., 14/04/2010, n° 08-21312.

[6Cass. 1er civ., 04/12/2013, n° 12-26161.