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Étude du droit transnational dans sa confrontation avec l’évasion fiscale. Par Ariel Illouz, Étudiant.
Parution : mercredi 15 novembre 2023
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Cet article explore la pertinence du droit transnational comme solution à l’évasion fiscale des multinationales au XXIe siècle.
Bien que les conventions fiscales internationales existent, leur obsolescence est évidente face à l’émergence d’économies numériques complexes. L’article souligne le défi posé par le critère d’établissement stable dans un contexte où des entreprises telles que les GAFAM opèrent majoritairement en ligne, échappant ainsi aux contraintes physiques.

Des initiatives de l’Union Européenne (ci-après "UE") et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (ci-après "OCDE"), visent à redéfinir l’abus de droit fiscal. Malgré ces avancées, des lacunes subsistent dans la lutte contre l’optimisation fiscale, parfois tolérée pour des raisons économiques. Enfin, l’article examine les efforts internationaux sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales pour transformer les paradis fiscaux en juridictions coopératives, soulignant l’importance cruciale d’une approche transnationale pour résoudre ce problème complexe.

Cet article propose une analyse approfondie et pédagogique du droit transnational dans sa confrontation avec l’évasion fiscale.

Au XXIe siècle, le droit transnational émerge comme une arme cruciale dans la lutte contre l’évasion fiscale, transcendant les frontières nationales. La territorialité restreinte du droit national moderne ne lui permet pas de réglementer de telles connexions mondiales. Au premier abord, il semble évident que pour des entreprises qui proposent leurs services partout dans le Monde, le droit national est nécessairement insuffisant. Ceci n’est pas forcément vrai en raison de facteurs d’ordres économiques, financiers et juridiques.
Cet article va examiner la question de savoir si le droit transnational représente véritablement une solution efficace pour imposer les multinationales.

Tout d’abord, l’évasion se définit comme la décision d’un contribuable recherchant, par le recours à un montage (artificiel), non voulu par la politique publique, à diminuer son impôt. Il est crucial de distinguer l’optimisation fiscale étant légale et l’évasion fiscale illégale. L’évasion fiscale vise à contourner l’intention de la loi, permettant au contribuable d’éviter le déclenchement de l’impôt dans le but de minimiser les montants à payer. En revanche, l’optimisation fiscale se caractérise par l’utilisation de moyens légaux permettant au contribuable de réduire sa charge fiscale en exploitant de manière judicieuse, voire en jouant avec, les dispositions fiscales en vigueur aux niveaux national et international.

Le constat rend pessimiste : chaque année, l’organisation U.S. PIRG Education Fund publie un rapport intitulé "Offshore Shell Games" qui se penche sur les 500 plus grandes sociétés américaines.
Selon le dernier rapport, sur ces 500 sociétés, 366 possèdent une ou plusieurs filiales dans des paradis fiscaux. En somme, ces entreprises du classement "Fortune 500" détiennent près de 10 000 filiales dans ces zones fiscales privilégiées. De plus, selon une étude du Fonds monétaire international (FMI) portant sur 81 pays, les pertes nettes de recettes fiscales d’impôt sur les sociétés s’élevaient à 2,6 % des recettes fiscales totales collectées au titre de cet impôt dans l’échantillon de pays pour l’année 2015.

Le défi actuel réside dans l’existence de conventions fiscales internationales existantes, bien que celles-ci se révèlent obsolètes. Par exemple, le critère fondamental de rattachement des bénéfices est celui d’établissement stable. Il peut s’agir d’une installation fixe telle qu’un bureau, une usine, un chantier de construction, ou même d’une installation liée à l’exploration de ressources naturelles. Le critère peut également être satisfait par une présence d’affaires habituelle, comme celle d’un agent dédié à la conclusion d’accords au nom de l’entreprise.

Cependant, les GAFAM, constituant les principales multinationales que les États veulent taxer, reposent en grande partie sur des économies numériques. En effet, les entreprises du secteur numérique ne sont pas contraintes d’établir une présence physique sur le territoire national pour développer leur activité, car les éléments incorporels tels que les données personnelles et les algorithmes ne sont généralement pas suffisants pour constituer un établissement stable dans l’État de la source. Ainsi, celles-ci sont exemptées de payer des impôts. Une option envisagée par l’Union européenne implique d’autoriser un État à imposer une entreprise dès lors qu’elle présente une "présence numérique significative" sur son territoire.

Les conventions fiscales internationales efficaces et efficientes pour l’instant sont celles de l’Union européenne avec le conseil Ecofin [1], de l’OCDE dans le cadre de son plan de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) ainsi que le G20 Finances [2].
Par exemple, l’OCDE s’est penchée sur cette question dans un rapport de 2019 visant à définir des règles permettant de collecter la TVA sur les ventes en ligne de biens et de services, quand les vendeurs numériques sont installés sur un territoire autre que celui où sont consommés ces biens et services.

Par ailleurs, une intensification de la complexité des stratégies d’optimisation adoptées par les multinationales est désormais considérée comme un abus de droit, et les pratiques d’optimisation qui s’appuient sur la lettre des textes au détriment de leur esprit sont sujettes à des sanctions.
La lutte contre l’évasion fiscale passe également par la réglementation des schémas financiers, exigeant que le contribuable démontre que le montage a des objectifs économiques significatifs, comme l’a jugé le Conseil d’État dans son arrêt du 17 juillet 2013-Sarl Garnier Choiseul Holding. En outre, la directive ATAD de l’UE 2016/1164 du 12 juillet 2016, transposée par l’article 108 de la loi de finances pour 2019, redéfinit l’abus de droit en relation avec un objectif « principalement », plutôt que « exclusivement » fiscal.

Toutefois, des développements encourageants se profilent dans la sphère de la lutte fiscale grâce au droit transnational. Soutenu par le G20, le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, regroupant actuellement 149 pays ou juridictions, dont les principaux centres financiers, a joué un rôle déterminant en incitant les paradis fiscaux à évoluer vers des juridictions coopératives.

Un autre progrès majeur a permis de taxer plus logiquement les multinationales tout en conservant l’idée que la taxation des entreprises multinationales soit régie par les principes de "territorialité" et de "pleine concurrence".
Ces normes internationales, découlant des récentes conventions fiscales et des principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert, stipulent que chaque entité d’un groupe doit payer l’impôt dans son pays d’implantation en calculant son bénéfice local comme si ses transactions avec les autres entités liées étaient réalisées avec des sociétés indépendantes. Cette logique de taxation des multinationales qui veulent contourner le système est complétée en droit interne avec par exemple l’article 209 B du code général des impôts (CGI) qui permet d’imposer en France les bénéfices d’une filiale constituée dans un État où elle est soumise à un régime fiscal privilégié.

Cependant, il faut admettre qu’il n’est pas toujours dans l’intérêt des États de ne pas être tolérant vis-à-vis de l’optimisation fiscale. En effet, cela peut paraître paradoxal au premier abord, mais les raisons sont d’ordre économique. Un État peut parfois ne pas participer à des conventions de lutte contre l’optimisation fiscale ou bien ne pas vouloir règlementer afin de conserver sur son territoire des activités économiques qui sinon iraient dans d’autres pays.

À propos de la lutte au sein de l’Union européenne, il existe encore des lacunes à propos des obligations des États. En effet, la question de savoir si les États membres de l’Union européenne ont l’obligation de lutter contre les fraudes ou abus visant leurs propres législations fiscales a été traitée de manière négative par la Cour de Justice. Ceci est illustré par l’arrêt M. Italia de la CJCE dans lequel la Cour a affirmé qu’il n’existe aucun principe général en droit fiscal de l’Union qui imposerait aux États membres de lutter contre les pratiques abusives en matière de fiscalité directe, sauf lorsque ces pratiques mettent en jeu le droit de l’Union. Bien que la tolérance envers les comportements abusifs et frauduleux puisse contribuer à la concurrence fiscale dommageable entre États, il reste incertain que l’efficacité des efforts nationaux de lutte puisse être évaluée sur la base du principe général interdisant les pratiques abusives.

Finalement, il existe encore une évasion fiscale importante malgré les conventions internationales. En effet, celles-ci sont difficiles à être négociées car, il est toujours dans l’intérêt des petits pays d’accueillir les multinationales.

De plus, ces conventions fiscales internationales sont du droit international et il est connu de chacun que le droit international est délicat à être appliqué de nos jours en raison de la souveraineté des États. Ainsi, si le droit transnational pour la lutte contre l’évasion fiscale était efficace, il le serait également dans d’autres domaines juridiques, ce qui est rarement le cas. Il y a donc des progrès à faire, la solution est connue de chacun, mais celle-ci implique de nombreuses concessions de chacun des États qui ont tous des intérêts économiques, que ce soit envers l’économie à un niveau macroéconomique ou bien envers les multinationales.

Ariel Illouz, Étudiant au Collège de droit, Paris II Panthéon Assas

[1Le conseil Ecofin est composé des ministres de l’Économie et des Finances des 28 États membres de l’Union européenne. Il est responsable de la politique de l’Union en matière de politique économique, fiscalité et réglementation des services financiers.

[2Composé de 21 membres, le G20 Finances rassemble les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales.