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Protection de l’environnement : la "clause-filet" de l’étude d’impact. Par Sébastien Bécue, Avocat.
Parution : mercredi 15 novembre 2023
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Quand un projet doit être soumis à étude d’impact alors qu’il ne relève pas de la nomenclature...
L’objet de cet article est de proposer une présentation du dispositif et de la jurisprudence.

La tendance politique est à la soumission de toujours moins de catégories de projets à étude d’impact.

Or c’est par ce processus essentiel que sont intégrées, dès la conception du projet, des mesures d’évitement, de réduction et, éventuellement de compensation des impacts qu’il induit sur l’environnement.

Sans étude d’impact, il est compliqué pour l’autorité compétente pour autoriser ou non le projet, et pour les requérants qui s’y opposent, de disposer des données relatives aux enjeux du site d’implantation.

De même, le processus d’évaluation environnementale implique également que le projet soit soumis au regard critique de l’autorité environnementale, institution spécialisée, en principe autonome des services préfectoraux et municipaux.

La nomenclature « étude d’impact », qui figure à l’annexe de l’article R122-2 du Code de l’environnement, fixe la liste des projets qui sont soumis à étude d’impact, soit systématiquement, soit après examen au cas par cas de l’autorité environnementale, parce qu’ils disposent de caractéristiques données.

Pour éviter que certains projets se trouvent exclus du champ de l’étude d’impact alors qu’ils présentent des risques qui justifieraient qu’ils y soient soumis, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé qu’un Etat membre ne peut fixer des critères pour l’examen au cas par cas qui conduiraient à dispenser d’évaluation des projets susceptibles d’avoir une incidence notable sur l’environnement (CJUE, 16 sept. 1999, n°C-435/97).

La France, alors que cette obligation lui avait été rappelée à plusieurs reprises, par le rapport Vernier en 2015 d’abord, puis par la Commission européenne (fiche d’information de la Commission du 7 mars 2019), s’était toujours refusée de le faire.

C’est contraint – comme souvent en matière d’évaluation environnementale – par le Conseil d’Etat que le gouvernement a fini par transposer le mécanisme de la clause filet dans le Code de l’environnement (CE, 15 avr. 2021, n°425424).

Le nouvel article R122-2-1 du Code de l’environnement prévoit que l’autorité compétente pour autoriser le projet soumet à un examen au cas par cas tout projet :

« situé en deçà des seuils fixés à l’annexe de l’article R122-2 et dont elle est la première saisie, que ce soit dans le cadre d’une procédure d’autorisation ou d’une déclaration, lorsque ce projet lui apparaît susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine au regard des critères énumérés à l’annexe de l’article R122-3-1 ».

L’obligation est applicable aux premières demandes d’autorisation ou déclaration d’un projet déposées à compter du 27 mars 2022.

Il incombe ainsi en premier lieu à l’autorité compétente saisie de tout projet relevant d’une catégorie de projets figurant dans la nomenclature, à réception de la première demande relative au projet, de s’interroger sur la nécessité de soumettre le projet à examen au cas par cas.

L’appréciation de l’autorité compétente porte sur les « incidences notables sur l’environnement et la santé humaine au regard des critères énumérés à l’annexe de l’article R122-3-1 », soit les mêmes critères que celui de l’examen au cas par cas « classique ».

Le III de l’article R122-2-1 ajoute que le maître d’ouvrage peut saisir de sa propre initiative l’autorité chargée de l’examen au cas par cas, afin de sécuriser son projet.

L’intérêt environnemental du dispositif est évident. Sa limite l’est également : d’abord, c’est l’autorité compétente qui décide et non l’autorité environnementale, soit une autorité non autonome. Par ailleurs, on peut douter de la culture environnementale de certains services instructeurs municipaux, alors qu’ils sont régulièrement les premiers à recevoir le dossier.

Le dispositif, encore trop méconnu, mérite d’être mis en lumière et connu des services, porteurs de projets et associations.

En effet, la sanction est rude : en cas de succès de l’argumentation devant le juge, le projet est soumis a posteriori à étude d’impact, ce qui implique un nouveau dépôt du dossier.

Quelle jurisprudence sur la « clause filet », un an et demi après son entrée en vigueur ?

Sur les bases de données consultée, on trouve pour l’heure un seul jugement d’application intéressant (TA Pau, 30 juin 2023, n°2103064).

Le projet qui était en cause consistait en la construction de 94 logements. La procédure concernée est un permis de construire. Dès lors que la surface de plancher est de 8 473 m², le projet n’est pas soumis à examen au cas par cas au titre de la rubrique n°39 de la nomenclature, le seuil étant fixé à 10 000 m².

Le Tribunal relève d’abord que la demande de permis a été déposée antérieurement à l’entrée en vigueur du dispositif. Mais cela n’empêche pas de réaliser un contrôle très approfondi de la nécessité de soumettre le projet à étude d’impact.

Le Tribunal commence par analyser la sensibilité environnementale du terrain d’assiette.

Il prend en compte :
- Sa situation : en continuité d’une entrée de l’agglomération qui relie celle-ci à la commune voisine ;

- Son classement au PLU : en zone 1AU (et l’avis de la MRAe sur le PLU, qui « n’a pas relevé d’incidence particulière sur l’environnement de ce document d’urbanisme dans cette zone à urbaniser ») ;

- La description du secteur dans le rapport de présentation du PLU : « constitué de terres présentant un fort potentiel agricole en nature de prairies, et qu’il est dominée par la colline de la Bergerie et la montagne des Dames, en partie boisées, qui sont vierges de toute construction, qui sont des espaces naturels sensible » ;

- L’avis des personnes publiques consultées lors de la procédure d’adoption du PLU : la chambre d’agriculture a « indiqué que cette zone recouvre des terres présentant un grand intérêt agricole » ;

- Mais la chambre note également que le projet prend lui « place en dehors de la zone Natura 2000 voisine, n’empiète ni sur l’espace boisé classé voisin, ni sur la haie sauvage qui le borde et qui est grevée d’une servitude d’espace vert, et s’implante sur des prairies mésophiles pâturées dont l’enjeu écologique est évalué à un faible niveau » ;

- Et que le rapport de présentation du PLU mentionne « que le plateau [sur lequel est situé le terrain] regroupe quelques exploitations agricoles qui sont devenues peu nombreuses et dont certaines sont implantées sur les limites des franges urbaines récemment développées » ;

- Le Tribunal ajoute encore que : « il n’est en outre pas établi que le terrain en cause présente des enjeux concernant la biodiversité, ni qu’il soit adapté à la culture de produits agricoles d’appellation d’origine protégée, ni qu’il participerait notablement par les prairies qu’il forme à la captation du gaz carbonique participant au réchauffement climatique, ni que son imperméabilisation augmenterait le risque d’inondation ».

En ce qui concerne les caractéristiques du projet en elles-mêmes, le Tribunal indique qu’il n’est pas établi « que les travaux de construction relatif à ce projet impacteraient de façon durable l’environnement ».

Les juges considèrent ainsi que les requérants n’ont pas réussi à établir qu’il existerait des circonstances particulières qui justifieraient que ce projet, qui se trouve en deçà des seuils de la nomenclature, soient soumis à étude d’impact.

Nous ne nous prononcerons pas sur les mérites de cette décision, dès lors que nous ne connaissons pas précisément la sensibilité environnementale du terrain.

On peut néanmoins noter que l’absence de données sur le site dans le dossier de la demande de permis de construire est ici palliée par l’existence de données publiées sur l’intérêt écologique du secteur.

Ce n’est malheureusement que rarement le cas, toutes les parcelles du territoire n’ayant pas fait l’objet d’une analyse de leur intérêt écologique. En tout état de cause, l’étude environnementale d’un PLU n’est jamais aussi détaillée que l’étude d’impact d’un projet. Et d’expérience, les dossiers de demande de permis de construire ou de déclaration d’Installations classées protection de l’environnement (ICPE) ne comportent que rarement les données permettant de déterminer si le terrain d’assiette présente une sensibilité écologique.

Or c’est précisément l’objet de l’examen au cas par cas que de permettre à une autorité plus compétente scientifiquement que le juge de se prononcer, à l’aide de données techniques sur le terrain d’implantation, sur la nécessité de soumettre un projet à étude d’impact.

Sébastien Bécue Avocat au Barreau de Lyon @ TerraNostra Avocats https://www.terranostra-avocats.com/