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Résolutions climatiques "Say on climate" : je t’aime, moi non plus. Par Yanis Djouder et Nourdine Brahimi, Etudiants.
Parution : vendredi 3 novembre 2023
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L’amendement n°628 instaurant le "Say on Climate" n’aura “tenu” qu’un été.
Voté à l’Assemblée nationale le 21 juillet 2023 malgré l’avis contraire du gouvernement, il s’est en effet vu retirer du projet de loi Industrie Verte par la commission mixte paritaire le 9 octobre dernier.
Le projet : permettre aux actionnaires de se prononcer périodiquement sur des résolutions climatiques proposées par le conseil d’administration.
La volonté est claire : les actionnaires veulent jouer un rôle dans les décisions et stratégies environnementales des entreprises qu’ils financent.
Alors que presque 80 ans sont passés depuis l’arrêt Motte, ce principe jurisprudentiel alimente toujours des crises au sein des entreprises autour d’un même débat : « qui du conseil ou de l’assemblée a le pouvoir de décision et de gestion dans la société anonyme ? »

Le débat du vote des actionnaires sur la stratégie environnementale n’est plus mais s’ouvre désormais celui de la proposition de résolutions climatiques par les actionnaires.

Vinci en 2020, TotalEnergies en 2022 et d’autres ont refusé d’inscrire les résolutions des actionnaires à l’ordre du jour de leur assemblée générale [1].

Aujourd’hui, il serait pertinent de savoir si l’assemblée générale des actionnaires peut s’immiscer - en proposant des résolutions climatiques - dans le pouvoir de gestion du conseil d’administration.

La règle de spécialisation posée par l’arrêt Motte réservait les prérogatives de décisions au conseil d’administration.

Se mêlent ainsi l’activisme actionnarial et la gouvernance des entreprises, au travers des questions de durabilité et d’impact environnemental.

Dès 2019, la Loi Pacte avec les activités RSE [2] a, pourrait-on penser, permis l’immixtion des questions environnementales et des enjeux climatiques au sein des sociétés cotées.

Cette responsabilisation des actionnaires est aussi la résultante de la directive du 17 mai 2017, ayant nettement contribué à la transparence et à la participation des actionnaires dans la gouvernance des entreprises au travers du droit de vote, de l’accès à l’information et de la transparence des transactions.

Les résolutions climatiques ont aujourd’hui trouvé un autre nom, une sorte de bannière : le “Say on Climate”.

Le “Say on Climate” [3] pourrait ainsi être défini comme une résolution concernant la stratégie climatique, soumise au vote de ses actionnaires par une entreprise lors de son assemblée générale.
Pour l’heure, un vote négatif des actionnaires n’aurait aucune conséquence sur les décisions et stratégies désapprouvées.

Pourtant, en 2021, pas moins d’une quinzaine d’entreprises en Europe ont déposé des résolutions “Say on Climate”, renforçant ainsi les discussions entre toutes les parties prenantes.

Au contraire, le débat français - timidement ouvert à l’Assemblée Nationale - s’est vite refermé début octobre. Les députés s’étant accordés pour retirer l’amendement qui aurait généralisé le mécanisme.

Seul “secours” restant, l’Autorité des Marchés Financiers et sa Présidente pour donner gain de cause aux actionnaires dont on aurait refusé d’étudier les résolutions climatiques. Cela serait pour le moins historique mais irait dans le sens de l’histoire.

Si les nombreuses directives et règlements européen influent sur l’engagement vert des sociétés au travers de Taxonomie ou de CSRD, le droit des sociétés et le régulateur financier auront à se prononcer sur la mutation de la répartition des pouvoirs de décision dans les entreprises.

I. Les résolutions climatiques des actionnaires : ménager le conseil et combler l’assemblée.

L’époque veut que l’immixtion tant souhaitée par les collectifs d’actionnaires s’oriente vers les débats ESG [4].

Il faut reconnaître que l’activisme des associations, notamment sur le devoir de vigilance, penche en faveur des actionnaires.

A l’heure des assignations en justice contre les géants financiers (BNP) et pétroliers (Totalenergies), les multinationales ont besoin de toutes les bonnes volontés pour faire évoluer leurs pratiques environnementales.

Aucun secteur n’est d’ailleurs « épargné ». Tous doivent s’aligner face à l’urgence climatique et la poussée d’indépendance des actionnaires.

Cette question a levé le voile sur les revendications des actionnaires, longtemps passées sous silence.

Pour cause, le “Say on climate” est ardemment considéré comme une perte de pouvoir pour le conseil d’administration. L’association nationale des sociétés par actions s’est d’ailleurs félicitée du retrait de l’amendement, saluant la « sagesse » du législateur [5]

Le Code de commerce [6] pose nettement la répartition des pouvoirs au sein des sociétés cotées par ces termes :

« Le conseil d’administration détermine les orientations de l’activité de la société et veille à leur mise en œuvre, conformément à son intérêt social, en considérant les enjeux sociaux, environnementaux, culturels et sportifs de son activité ».

Deux organes des sociétés par actions sont particulièrement concernés : le conseil d’administration d’un côté et l’assemblée générale des actionnaires de l’autre.

L’équilibre issu de la séparation et spécialisation des organes de la société vient même affaiblir les actionnaires.

La Cour de cassation en sa chambre civile avait dès 1946 [7] posé un principe clair régissant la société anonyme : « Il n’appartient donc pas à l’assemblée générale d’empiéter sur les prérogatives du conseil en matière d’administration ».

Certains auteurs et entreprises refusent de considérer que l’assemblée générale des actionnaires ne pourrait jamais prendre part à la gestion de la société et à la prise de décisions. En effet, si le Code de commerce définit les pouvoirs des organes, aucun texte n’empêche le conseil d’administration de demander l’avis consultatif de l’assemblée générale au sujet des impacts environnementaux des futures stratégies.

De plus, dans des modalités encore strictes [8], est reconnu aux actionnaires un pouvoir de proposition de résolutions, à condition qu’ils représentent une certaine fraction du capital. Néanmoins, la résolution proposée par les actionnaires ayant pouvoir (au moins 5% du capital) devra satisfaire leur compétence réservée et ne pas empiéter sur celle du conseil.

La difficulté en présence réside dans le fait qu’aucun cadre légal et qu’aucune règle n’obligera le conseil d’administration à consulter ou suivre l’avis des actionnaires.

Les règles issues du droit des sociétés – préservant les prérogatives des conseils d’administration – ont permis le rejet des résolutions climatiques déposées par l’assemblée générale des actionnaires.

Le Haut Comité Juridique de la Place financière de Paris concluait en cela que : « le fait d’imposer au conseil d’administration l’inclusion de certains éléments, par exemple des objectifs déterminés dans la stratégie qu’il lui appartient seul d’arrêter pourrait vraisemblablement caractériser un empiètement sur ses pouvoirs propres permettant aux émetteurs de refuser l’inscription de telles résolutions » [9].

Le groupe de travail dirigé par Alain Lacabarats et ayant permis le rapport du Haut Comité Juridique de la Place financière de Paris avait conclu à une situation particulière. Pour ce groupe de travail, le vote d’actionnaires serait possible en assemblée générale ordinaire mais seulement dans le cadre d’un vote consultatif comme précédemment abordé [10].

Les conseils d’administrations ne voient toutefois pas d’un bon œil les initiatives des actionnaires en matière climatique.

En effet, les sociétés cotées ont cette particularité d’être admises aux négociations sur un marché réglementé.

Cette cotation permet la venue d’actionnaires qui sont une des sources directes du financement les entreprises. La cotation induit une certaine notation de l’entreprise et crée pour celle-ci sa « capitalisation boursière ».

Toutes les décisions des sociétés sont ainsi scrutées, diffusées et influencent considérablement la valeur de leurs actions et donc leur valorisation. Il apparaît ainsi presque naturel que ceux finançant et détenant une part de l’entreprise puissent jouer un rôle dans sa gestion.

Ainsi, ceux qui se voient rémunérés par les cours de bourse des entreprises dont ils sont actionnaires espèrent que les stratégies environnementales sont cohérentes et ambitieuses [11].

[Les actionnaires portent aussi la qualité d’investisseurs des émetteurs et sont donc sous la supervision de l’AMF (point qu’il faudra aborder plus loin dans la réflexion)]. Autre point : la directive de reporting extra-financier CSRD avait été mise en avant par les opposants au “Say on Pay”. Ceux-ci expliquant qu’elle permettait déjà d’informer clairement les investisseurs. Cependant, elle s’adresse davantage à des investisseurs potentiels, externes aux sociétés.

Sur l’année 2022, ce sont ainsi 11 entreprises multinationales françaises qui ont décidées de soumettre au vote de leurs actionnaires des projets environnementaux.

Il semble que les entreprises préfèrent proposer aux actionnaires de voter ponctuellement plutôt que de subir de manière intempestive les demandes de résolutions et de modifications des ordres du jour des assemblées générales.

Il est à penser que dans ces temps d’activisme actionnarial, les projets trop coûteux s’inscrivant dans la tendance du 100% vert freinent les directions générales.

Les règlements européens se succédant contraignent eux indirectement, bien que toujours plus, les sociétés cotées à s’aligner.

Le statut de l’« actionnaire à long terme » a ainsi véritablement vocation à changer.

Ayant besoin de financements en capital – injectés par les actionnaires – les sociétés devront donc davantage s’ouvrir et proposer des résolutions à leur assemblée générale.

Le professeur Thierry Granier a notamment écrit sur l’influence des résolutions climatiques [12] sur l’évolution de la société commerciale traditionnelle concernant l’intervention des actionnaires.
« Si le droit des sociétés français semble figé et permette aux conseils d’administration de préserver son pouvoir de décision et de gestion de l’entreprise, d’autres acteurs peuvent être mêlés à ce débat et faire évoluer les recommandations ».

II. Résolutions climatiques : repenser le "Say on climate".

L’amendement instaurant le “Say on Climate” aurait permis l’ajout de l’article L.22-10-10-1 du Code de commerce, suivant l’article sur l’information de la rémunération des mandataires sociaux.

Le projet a fait l’objet de réflexions et de sources communes. Il a été "travaillé avec le Forum pour l’investissement responsable et reprend les recommandations faites par la Commission climat et finance durable de l’Autorité des marchés financiers" [13].

Loin, l’envie d’accroître une fois de plus « l’obligation verte » aux sociétés cotées, ce mécanisme doit permettre de repenser l’articulation des pouvoirs des organes sociétaires et l’impact des activités de production sur l’environnement.

Novateur mais pas si ambitieux, l’amendement mort-né proposait seulement la consultation de l’assemblée générale des actionnaires.

Cet amendement donnait ainsi droit aux assemblées d’actionnaires de se voir proposer [14] :
- tous les trois ans, par le conseil d’administration, une résolution sur la stratégie de climat et durabilité
- chaque année, par le conseil d’administration, une résolution sur l’application de cette stratégie

Il est nécessaire de préciser que ces votes des actionnaires n’auraient été que consultatifs. Le conseil d’administration les aurait sollicités à titre informatif sans y être lié. Ainsi, il n’y aurait eu aucune force contraignante.

Comment les conseils auraient pu interpréter cette recommandation ?

Cela s’apparentait à une forme hybride : un vote consultatif semi-contraignant.

L’exposé sommaire de l’amendement n°628 expliquait le choix de rendre le vote consultatif non-contraignant [15] :

« En cohérence avec l’approche pionnière de la France qui permet d’attirer les investissements et de les flécher vers les entreprises les plus vertueuses, il est proposé d’introduire un mécanisme novateur et non contraignant juridiquement afin de faciliter un dialogue construit entre investisseurs responsables et les entreprises. Ce concept s’articule en cohérence avec les textes européens comme la CSRD et favorise la compétitivité des entreprises françaises. Cet outil de dialogue ne heurte aucune règle juridique et en particulier pas le principe de hiérarchie des organes sociaux comme l’a rappelé le Haut Comité Juridique de Place ».

Comment le dialogue aurait-il pu naître si la décision des actionnaires n’avait pas été suivie par le conseil ?

Le forum des investisseurs responsables [16] pointe les carences d’un vote consultatif et non contraignant. Ce qui avait été annoncé comme une contrainte n’en a jamais été une pour les entreprises ayant appliqué le “Say on Climate”.

Effectivement, la majorité des actionnaires ont soutenu les politiques environnementales de ces sociétés.
Néanmoins, leurs propositions n’ont été que faiblement suivies et finalement ignorées.

Mais, on peut aisément opposer à l’envie de ne pas freiner les investissements, le meilleur soutien des français.

Certaines entreprises « jouent » le jeu : Atos comme Danone, régulièrement, acceptent de faire voter les actionnaires sur ses plans pluriannuels de croissance.

Sur le plan de la communication, le dialogue des parties permet une meilleure image des entreprises auprès du grand public.

La démonstration d’une vraie coopération joue dans la compréhension des politiques des entreprises auprès des consommateurs.

Certains français ont mal vécu l’épisode Ghosn où la confrontation des actionnaires et du conseil d’administration, avait permis au PDG de Renault-Nissan-Mitsubishi, d’augmenter son salaire annuel.
Dans cet épisode, le conseil d’administration avait eu le dernier mot en accordant la hausse du salaire de son dirigeant - les actionnaires ayant voté contre.
Le “Say on Pay” était venu encadrer les rémunérations des dirigeants sociaux.

Reste désormais à s’armer de patience pour proposer un nouveau “Say on Climate”.
Sa version 2024 devra donc être plus ambitieuse.

Les résolutions climatiques déposées par les actionnaires devraient (selon nous) être obligatoirement débattues puis votées.

Pourquoi les actionnaires ne pourraient pas décider de l’ordre du jour des assemblées générales les réunissant ?

Aussi, le vote des actionnaires (dans le cadre de résolutions proposées par les conseils) devrait être contraignant à partir d’un haut score. Avec l’absolue nécessité d’un dialogue entre les organises décisionnels.

L’assemblée générale des actionnaires est souvent dépeinte comme l’instance la plus démocratique et la plus représentative d’une société. Il en va aussi de la survie de cet organe interne.

L’avènement de la RSE a créé des risques règlementaires, juridiques et réputationnels que les actionnaires peuvent aussi prévenir et contrôler.

La RSE est une réelle opportunité pour les entreprises ; celles-ci peuvent se différencier positivement en étant en conformité

Il ne s’agit pas de priver les conseils administratifs de tout pouvoir, ni même de les assimiler aux assemblées des actionnaires.

Ces avancées ne devraient concerner –pour le moment et car le climat l’oblige– que les sujets environnementaux et les stratégies climatiques.

Le droit des sociétés doit évoluer pour permettre une participation significative des investisseurs-actionnaires.

III. Le rôle de l’Autorité des Marchés Financiers face aux résolutions climatiques : une étude basée sur le cas TotalEnergies.

L’avènement d’une crise climatique et l’impérieuse nécessité d’une mutation énergétique vers une économie sobre en carbone sont unanimement proclamés comme des priorités mondiales. Dans ce contexte, les marchés financiers, acteurs essentiels dans la distribution des ressources financières, occupent un poste stratégique dans cette mutation. L’Autorité des Marchés Financiers en France, en sa qualité de régulateur, se positionne à la jonction de ces impératifs, oscillant entre la régulation, la protection de l’investisseur et l’encouragement d’une finance vertueuse. Le cas de TotalEnergies met en lumière la manière dont le régulateur peut influer sur la gouvernance des sociétés au regard des enjeux climatiques.

Les résolutions climatiques, émanant des actionnaires, visent souvent à inciter à une gestion environnementale responsable. Elles requièrent des entreprises qu’elles rendent compte de leurs émissions de gaz à effet de serre, de l’impact écologique de leurs activités, ou de leurs stratégies d’harmonisation avec les objectifs climatiques internationaux.

L’AMF a pour mandat la protection des investisseurs, le bon fonctionnement des marchés financiers et le respect de la réglementation en vigueur [17]. Face au refus du Conseil d’administration de TotalEnergies d’inscrire une résolution climatique à l’ordre du jour, s’est posée la question de l’étendue du pouvoir de l’autorité administrative à intervenir en faveur des droits des actionnaires, pour influer sur la durabilité des politiques d’entreprise.

L’intervention de l’AMF dans le dossier de TotalEnergies a suscité une réflexion sur l’équilibre à trouver entre la gouvernance d’entreprise et les pressions actionnariales. Si les conseils d’administration détiennent la prérogative de définir la stratégie d’entreprise, il incombe à l’AMF de veiller à ce que les intérêts des actionnaires soient adéquatement représentés, spécialement quand ces intérêts touchent à des questions aussi primordiales que le climat et la durabilité environnementale.
Pour une efficience accrue dans la protection des investisseurs, il apparaît nécessaire de consolider le contrôle exercé par l’AMF. Toutefois, son incapacité à contraindre TotalEnergies à soumettre une résolution climatique à l’ordre du jour de son assemblée générale révèle une lacune dans ses pouvoirs actuels, en particulier en ce qui a trait au droit des sociétés. Le gendarme boursier opère dans les marges de ses compétences qui visent à protéger l’épargne investie, à assurer l’information des investisseurs et à garantir l’intégrité des marchés financiers.

Les actionnaires qui avaient saisis le Président de l’AMF, se fondaient sur le III de l’article L. 621-14 du code monétaire et financier. L’article permet l’intervention de l’AMF en cas de manquements aux règles de transparence et de professionnalisme sur les marchés.

L’idée : que Robert Ophèle enjoigne Total d’inscrire la résolution climatique des actionnaires à l’ordre du jour de l’assemblée générale du 25 mai 2022.

Ce contentieux non-judicaire traduit l’extension des débats climatiques au sein de sociétés cotées ainsi que le parallèle entre le droit des sociétés et le droit financier.

La capacité de l’AMF à intervenir contre les manquements susceptibles de porter atteinte à la protection des investisseurs [18] pourrait être optimisée, à condition que les actionnaires puissent aisément avancer leurs propositions, y compris celles relatives au climat.

Par comparaison, aux États-Unis, le régulateur des marchés a ajusté sa position pour permettre aux actionnaires de ne pas exclure les propositions liées à des enjeux sociaux importants comme le changement climatique [19]. Outre-atlantique, les actionnaires n’ont besoin que de 2 000 USD en actions pour proposer une résolution, et la SEC (Securities and Exchange Commission) agit en tant qu’arbitre dans les conflits entre minoritaires et entreprises. La SEC tend à favoriser les actionnaires minoritaires. En novembre 2021, elle a modifié sa politique, permettant aux résolutions d’actionnaires ayant des impacts sociétaux significatifs de ne pas être exclues sous prétexte qu’elles concernent des opérations commerciales courantes. En conséquence, les résolutions externes sur les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance ont significativement augmenté aux États-Unis [20].

En France, un changement peut être à l’horizon. L’AMF a déclaré ne pas pouvoir contraindre le pétrolier français à inclure une proposition climatique à l’ordre du jour, mais a appelé à une intervention législative pour encadrer de telles situations. Pour que l’AMF suive cette voie, des changements législatifs et réglementaires pourraient être nécessaires en France.
Avec l’évolution de la législation, notamment la loi PACTE, qui impose aux entreprises de prendre en considération les enjeux environnementaux dans leur gestion, l’AMF a un rôle de surveillance à jouer pour s’assurer que ces obligations légales sont respectées. La résolution proposée par les actionnaires de TotalEnergies, qui visait à renforcer les engagements climatiques de l’entreprise, s’inscrit dans cette évolution législative et soulève la question de savoir si l’AMF devrait activement favoriser l’inscription de telles résolutions [21].

La controverse entourant le refus de l’AMF d’obliger TotalEnergies à inscrire une résolution climatique à l’ordre du jour de son assemblée générale éclaire l’ambiguïté des compétences réglementaires. Bien qu’elle ait réfutée la capacité d’engager la société, sa position pourrait dissuader les investisseurs engagés dans la durabilité et l’écologie, qui envisagent la place de Paris comme une référence pour la finance verte.

Le signe d’un changement de paradigme est apparu lorsque la Commission Climat et Finance Durable de l’Autorité des marchés financiers est entrée en opposition [22] avec le Président et son collège.

Lorsque la commission, dans sa position du 08 mars 2023 [23] , a exprimé le souhait d’accroître les pouvoirs du Président en cas de refus d’inscription d’une résolution à l’ordre du jour, le collège de l’AMF s’y est opposé catégoriquement dans un de ses communiqués.

Ce communiqué – publié le même jour que le rapport de la commission Climat et Finance durable – est assez explicite : « Elle n’a pas davantage d’autorité pour apprécier le bien-fondé d’un éventuel refus par le conseil d’administration d’inscrire de tels projets de résolutions à l’ordre du jour d’une assemblée générale. Ces contentieux relèvent du tribunal de commerce. L’AMF n’a pas vocation à se voir attribuer de compétences en la matière ».

L’AMF se déclare donc incompétente face au Tribunal de Commerce, en cas de recours des actionnaires.

Les nouvelles priorités 2023-2027 du régulateur, comme la finance durable, ouvrent l’opportunité des nouveaux sujets et problématiques.

Pour conclure
Pendant que le Royaume-Uni légifère afin de rendre le “Say on Climate” obligatoire pour les plus importantes structures [24], et que les Etats-Unis souhaitent que les résolutions climatiques des actionnaires ne soient jamais rejetées [25], la France reste en attente.
Pourtant pionnière dans les règlementations environnementales, elle bénéficie d’une trêve politique sur ces sujets et d’une attention particulière du régulateur financier.
En conclusion, alors que le monde financier s’aligne de plus en plus sur les impératifs climatiques, le rôle de l’AMF devient crucial. L’agilité avec laquelle le régulateur français pourra s’adapter et répondre aux attentes sociétales sera déterminante pour la réputation et l’efficacité de la Place financière de Paris.

Il reste à savoir qui des députés, des entreprises ou de l’AMF agiront en premier.

A suivre …

Yanis Djouder, Diplômé du Master 2 Droit Pénal Financier - CY Cergy Paris Université, Stagiaire à la Cour d'appel de Paris en contentieux économique et financier. Et Nourdine Brahimi, Diplômé du Master 2 Droit Pénal Financier - CY Cergy Paris Université, Étudiant du Mastère Spécialisé ® Droit des Affaires Internationales et Management (DAIM) / LL.M. - ESSEC Business School.

[1Rapport sur les résolutions climatiques “Say on climate” du Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris.

[2Article 1833 alinéa 2 du Code de Commerce.

[6Article L. 225-35 alinéa 1 du Code de commerce.

[7Cass. civ., 4 juin 1946, Motte : S. 1947, I, p. 153, note Brabry ; JCP G 1947, II, 3518, note Bastian. - V. aussi, A. Couret, L’état du droit des sociétés, 50 ans après la loi du 24 juillet 1966 : BJS juill. 2016, n° 115e9, p. 433. - RTDF 2006, n° 1, p. 72, P. Le Cannu, B. Dondero. - ANSA, communication n° 2518.

[8Article L225-105 du Code de Commerce.

[11Le “Say on Climate” : une solution urgente et pragmatique / Terra Nova

[15Amendement 628 instaurant le “Say on climate” au sein du projet de loi Industrie Verte.

[17C. mon. fin., art. L. 621-1

[18C. mon. fin., L. 621-14, II, al 1

[19Les Échos - La SEC demande aux pétrolières d’être plus transparentes sur leurs plans climatiques - Laurence Boisseau - 23 Mars 2021.

[20Les Échos - Pourquoi les résolutions de minoritaires affluent aux Etats-Unis mais pas en France - Laurence Boisseau - 20 mai 2022

[21Résolutions climatiques : l’AMF, incompétente ? Issu de Bulletin Joly Sociétés - n°07-08 - page 78, 01/07/2022.