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Comment faire cesser le bruit excessif des pompes à chaleur d’un voisin ? Par Christophe Sanson, Avocat.
Parution : mercredi 25 octobre 2023
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Si l’installation des pompes à chaleur chez les particuliers connaît un succès foudroyant, la France constituant le premier marché européen, ce type d’équipement peut parfois s’avérer trop bruyant ! C’est ainsi que les litiges de voisinage se multiplient en la matière du fait, notamment, de la proximité entre deux propriétés. Comment le juge du fond met-il un terme à ces nuisances ? Puis, comment évalue-t-il l’intensité des nuisances sonores et le préjudice subi par les voisins de l’équipement litigieux ?
Retour sur le jugement du Tribunal judiciaire de Pontoise du 8 septembre 2023, RG n° 21/01247.

Par un jugement du 8 septembre 2023, le Tribunal judiciaire de Pontoise, statuant au fond, a décidé que les propriétaires d’une maison équipée de pompes à chaleur étaient tenus pour responsables, même sans faute, des nuisances sonores générées par leurs équipements bruyants.

Au vu du rapport d’expertise et sur le fondement juridique du principe selon lequel « nul ne doit causer à autrui de trouble anormal de voisinage », le tribunal a condamné les propriétaires des pompes à chaleur bruyantes à faire réaliser les travaux permettant la cessation des nuisances et à indemniser leurs voisins. Dans sa décision, le juge a même élargi sa condamnation à un troisième équipement, qui n’avait pas fait l’objet de l’expertise judiciaire.

Ce jugement met en avant l’importance de l’expertise judiciaire acoustique dans le jugement au fond, le juge ayant confirmé l’intégralité des préconisations de l’expert comme moyen de mettre fin au désordre.

A la date de publication de cet article, il n’avait pas été relevé appel du jugement.

I. Présentation de l’affaire jugée par le Tribunal judiciaire de Pontoise du 8 septembre 2023.

A) Les faits.

Monsieur et Madame X. avaient fait installer, en mai 2018, des pompes à chaleur à l’extérieur de leur maison d’habitation à proximité immédiate de la maison de Monsieur et Madame Y.

Un litige était né entre les parties à la suite de bruits excessifs générés par les pompes à chaleur des époux X.

Monsieur et Madame Y. faisaient état de nuisances d’une forte intensité, se produisant de jour comme de nuit, et se traduisant par des bruits de moteurs, de compresseurs et de souffles d’air.

L’ensemble de ces troubles avaient ainsi été constatés par un procès-verbal de constat d’huissier de justice ainsi que par des attestations de témoins.

B) La procédure.

Afin de faire établir la réalité des nuisances dont ils se disaient victimes, Monsieur et Madame Y. avaient sollicité du Président du Tribunal judiciaire de Pontoise statuant en référé, sur la base des éléments de preuve ci-dessus mentionnés, la désignation d’un expert judiciaire aux fins d’établir la réalité et l’intensité des nuisances acoustiques résultant de ces équipements.

Le Président du tribunal avait, par ordonnance en date du 25 avril 2019, fait droit à cette demande.

À la suite de sa mission, l’expert judiciaire avait, le 29 janvier 2021, déposé son rapport définitif d’expertise.

Il ressortait de ce rapport que l’expert avait mesuré, lors du fonctionnement du ventilateur associé à la pompe à chaleur, depuis la chambre de la maison de Monsieur et Madame L., en période nocturne :

Le rapport indiquait également que « ces dépassements d’émergence avaient également été constatés à l’extérieur à deux mètres de la façade du séjour ».

L’expert énonçait ainsi, dans son rapport définitif, que : « il pouvait être considéré qu’il y avait trouble de voisinage (autrement dit gêne ou nuisance) dans la mesure où la commission de juin 1963 stipule que ces dernières ne doivent pas dépasser 3 dB(A), et 3 dB dans n’importe quelle bande de fréquence audible et qu’au cas d’espèce, les émergences étaient supérieures à ces limites ».

Sur le fondement de ce rapport, et des éléments de preuves susvisés, les plaignants avaient alors assigné, devant le Tribunal judiciaire de Pontoise, statuant au fond, les propriétaires des pompes à chaleur litigieuses, demandant à la juridiction de les condamner à :

1. faire réaliser une mesure acoustique avant travaux ainsi qu’une étude réparatoire complète et détaillées aux fins de déterminer les travaux nécessaires pour mettre fin aux nuisances sonores subies, dans un délai d’un mois avec astreinte par jour de retard.
2. faire réaliser une mesure acoustique de réception, après la réalisation des travaux sous un délai spécifié, afin de s’assurer que les objectifs prévus par l’expert aient bien été atteints ; l’étude acoustique de réception des travaux réalisés permettant de prouver que les objectifs prévus par le rapport d’expertise judiciaire avaient bien été atteints.
3. leur payer 3 000 euros au titre de leur préjudice de santé ;
4. de même que 4 000 euros au titre de leur préjudice moral ;
5. 29 839,50 euros au titre de leur préjudice de jouissance ;
6. ainsi et enfin, qu’au remboursement des frais liés à l’expertise et aux honoraires d’Avocat et d’huissier.

C) La décision du juge.

Sur le fondement de la théorie du trouble anormal de voisinage, le juge, statuant au fond a, par décision du 8 septembre 2023, indemnisé les demandeurs des principaux préjudices subis.

Il a ainsi condamné les propriétaires des pompes à chaleur litigieuses à :

Le juge a même élargi la condamnation à un équipement qui ne faisait pas partie de l’expertise judiciaire, ordonnant une mesure acoustique avant travaux et si nécessaire une étude aux fins de connaître l’incidence du troisième équipement installé par Monsieur et Madame X.

Il a par ailleurs condamné les propriétaires des équipements à verser à leurs voisins :
- 5 966 euros au titre du préjudice de jouissance ;
- 2 000 euros (1 000 euros par époux) au titre du préjudice moral ;
- 11 575,14 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi que le remboursement des dépens, y compris les frais d’expertise judiciaire et d’huissier.

Il n’a toutefois pas accueilli la demande de remboursement du préjudice de santé des époux Y.

II. Observations et analyse du jugement du Tribunal judiciaire de Pontoise du 8 septembre 2023.

A) L’importance de l’expertise dans la qualification du trouble anormal de voisinage.

La théorie du trouble de voisinage s’exprime sous la forme du principe selon lequel : « nul ne doit causer à autrui de trouble anormal de voisinage » [1].

Cependant, il est important de noter que la victime n’a pas à prouver la faute de l’auteur du bruit, mais seulement le fait que ce bruit est anormal car dépassant, notamment par son intensité, un certain seuil de nuisances apprécié objectivement par l’expert judiciaire indépendamment des normes applicables.

C’est ce que rappelle ici la juridiction en concluant que :

« en application d’un principe constant de la jurisprudence de la Cour de cassation, le propriétaire d’un fonds qui cause à son voisin un dommage ou un trouble qui excède les inconvénients normaux du voisinage en est responsable de plein droit et doit le réparer.
La théorie de trouble anormal de voisinage est une responsabilité sans faute, pour laquelle il est nécessaire d’établir le lien de causalité entre le dommage et le propriétaire voisin
 ».

La qualification du trouble anormal de voisinage est conditionnée à la preuve de ces quatre éléments :

En l’espèce, s’agissant de maisons voisines, l’existence du lien de voisinage ne posait aucun problème.

Le débat portait sur l’existence des troubles invoqués par les demandeurs, et la preuve de leur intensité.

Ensuite, si la preuve de l’anormalité du trouble avait été rapportée, par Monsieur et Madame Y., par des procès-verbaux de constat d’huissier ou des attestations de témoins, la juridiction est venue rappeler que, dans le cadre d’une procédure judiciaire impliquant une source de bruit, le rapport d’expertise revêtait une force probante supérieure.

Dans le litige en cause, la mission de l’expert lui avait permis de conclure, dans son rapport, qu’à la présence d’un

« trouble de voisinage (autrement dit gêne ou nuisance) dans la mesure où la commission de juin 1963 stipulait que ces dernières ne devraient pas dépasser 3 dB(A), et 3 dB dans n’importe quelle bande de fréquence audible et qu’au cas d’espèce, les émergences étaient supérieures à ces limites ».

C’est sur la base des conclusions de l’expert que la juridiction de Pontoise a condamné les propriétaires des pompes à chaleur litigieuses, sur le fondement du trouble anormal de voisinage, à effectuer les travaux nécessaires pour remédier aux nuisances subies par Monsieur et Madame Y.

A cet effet, le rapport d’expertise avait indiqué que les travaux devraient consister en l’installation d’une « unité extérieure dans un caisson insonorisé qui pourra être constitué d’un parement extérieur métallique, d’une âme en laine minérale et d’un parement intérieur, métallique ou autre ».

Il avait poursuivi en énonçant que : « la face du capotage avant du caisson, devant le ventilateur, devrait être constituée d’un panneau de lames en laines minérales alternant avec des voies d’air afin de laisser un libre passage d’air ».

En outre, il avait énoncé que « la détermination des épaisseurs des panneaux en laine minérale et les largeurs des voies d’air ou le modèle retenu devraient être sélectionnés par un acousticien en concertation avec un spécialiste en ventilation qui vérifierait que les largeurs de voies d’air étudiées sont compatibles avec le fonctionnement des ventilateurs » et que « les atténuations devraient être en corrélation avec les émergences relevées dans la chambre entre 4 h et 5 h ».

Le rapport définitif d’expertise indiquait que « si cette nouvelle installation était confirmée, l’acousticien en charge de l’insonorisation devrait réaliser une mesure acoustique avant travaux afin de connaître l’incidence sonore de ce nouvel équipement » et, qu’« en cas de hausse des émergences, une étude complémentaire serait nécessaire ».

La juridiction a repris l’ensemble des éléments énoncés par l’expert et a indiqué que :

« il convenait d’enjoindre aux propriétaires des pompes à chaleur de réaliser, conformément aux conclusions de l’expert les travaux d’insonorisation préconisés ainsi qu’une mesure acoustique avant travaux, une étude complète et une mesure acoustique de réception en période hivernale ».

En reprenant précisément les conclusions de l’expert judiciaire, le juge du fond a consacré ainsi l’importance de la mission d’expertise dans son jugement.

B) L’élargissement de la condamnation à une troisième pompe à chaleur qui n’avait pas fait l’objet de l’expertise judiciaire.

En l’espèce, le juge du fond est allé au-delà des simples conclusions techniques de l’expert qui mettaient en avant le dépassement des valeurs limites fixées par l’avis de la Commission de santé publique lorsque les pompes à chaleur litigieuses étaient en fonctionnement.

C’est en condamnant les propriétaires des équipements litigieux à « faire réaliser une mesure acoustique avant travaux et si nécessaire une étude aux fins de connaître l’incidence du troisième équipement installé », que le juge du fond démontre sa volonté d’aller au-delà des chefs de missions d’expertise initialement édictés par le juge du référé.

Par cette décision, le juge a tenu compte de la présence du nouvel équipement, alors même que l’expert n’avait procédé à aucun mesurage acoustique permettant d’identifier une gêne acoustique associée à cette troisième pompe à chaleur.

L’originalité du jugement du 8 septembre 2023 s’observe dans cette décision en particulier.

En tenant compte de la situation dans son ensemble, le juge du fond consacre le principe du trouble anormal de voisinage en prenant en compte toutes les sources de nuisances sonores prouvées pouvant causer un préjudice aux voisins requérants.

Il en ressort notamment l’importance de prendre en compte son environnement et l’ensemble des potentielles nuisances lors d’un projet d’installation d’équipements bruyants sur sa propriété située à proximité d’autres maisons.

C’est d’ailleurs ce que l’expert a rappelé dans son rapport lorsqu’il a énoncé que : « les troubles sonores ne proviennent pas d’un défaut de fonctionnement, mais d’un défaut de précaution en amont du projet, à savoir s’assurer que l’unité extérieure ne causera pas de nuisances sonores dans l’environnement et l’absence de dispositif atténuant les émissions sonores dans l’environnement ».

La bonne foi des parties est également prise en compte par le juge puisque, les propriétaires des équipements bruyants ne s’étaient pas rendus à la première réunion d’expertise et avaient invoqué le fait de n’avoir pu s’exprimer librement.

Or, l’expert, qui avait rappelé que « les parties avaient été convoquées par lettre recommandée avec accusé de réception et les avocats par courriel avec accusé de lecture et courrier postal » et que les défendeurs n’étaient pas allés le récupérer, considérant que cet argument n’était pas justifié.

Le juge a confirmé ce point de vue en condamnant les défendeurs aux travaux susvisés, consacrant ainsi l’importance de la bonne foi dans le déroulement des expertises judiciaires.

Par ce jugement, le juge du fond condamne ainsi les propriétaires des pompes à chaleur litigieuses à verser, à leurs voisins victimes des nuisances sonores susvisées :

Conclusion.

Cette décision s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence dominante des tribunaux civils qui, à la demande des riverains, font cesser et indemniser les nuisances sonores constitutives de troubles anormaux de voisinage.

Malgré la liberté de la preuve et la présence de constats d’huissier et d’attestations de témoins, ce jugement confirme l’importance de l’expertise judiciaire dans le cadre d’une telle procédure concernant des équipements techniques. Le juge du fond a repris ainsi l’ensemble des conclusions de l’expert pour condamner les propriétaires des pompes à chaleur litigieuses.

Pour autant, le Tribunal judiciaire de Pontoise a démontré sa volonté d’aller plus loin dans la condamnation des responsables des nuisances, en ce qu’il a pris en compte un troisième équipement qui n’avait pas fait l’objet de mesurages et donc de conclusions probantes par l’expert.

Il est nécessaire de prendre en compte son environnement et notamment, la proximité des riverains et les différentes sources de bruit, avant d’entreprendre un tel projet d’installation d’équipements bruyants sur sa propriété.

Pour ce faire, il existe de nombreux bureaux d’études techniques spécialisés en acoustique dont la compétence est aussi de faire des études préalables pour éviter d’impacter son voisinage et se retrouver ainsi condamné sur le fondement du trouble anormal de voisinage.

Christophe Sanson, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine

[12ème Civ., 19 novembre 1986, Bull. 1986, II, n° 172, pourvoi n° 84-16.379 ; jurisprudence constante, voir également 3ème Civ., 13 avril 2005, Bull. 2005, III, n° 89, pourvoi n° 03-20.575.}}.

La charge de la preuve du caractère anormal des nuisances sonores incombe aux victimes [[Cass. 2ème civ. 9 juill. 1997, M. Regnard, n° 96-10.109.

[2Cass., 1ère ch. civ., 12 nov. 1985 : JCP 1986, IV, 40.