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Limitation du nombre de licences VTC et droit de l’Union européenne. Par Raphaël Hérimian Avakian, Juriste.
Parution : lundi 27 novembre 2023
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La liberté d’établissement est le droit fondamental des citoyens européens à construire leur avenir professionnel où bon leur semble, favorisant ainsi la diversité économique et l’innovation. Cependant, cette liberté, pierre angulaire de l’Union européenne, peut être confrontée à des réglementations nationales susceptibles de restreindre l’essor de certaines professions, en exemple, les services de véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC).

La décision récente de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), dans l’affaire C‑50/21 du 8 juin 2023, offre une analyse approfondie de la réglementation espagnole limitant le nombre de licences VTC à Barcelone, soulevant ainsi des questions cruciales sur la conciliation entre les objectifs de régulation locale et la libre installation des VTC. À la lumière de cette décision, il convient d’explorer les nuances de la jurisprudence de la CJUE, les implications spécifiques pour l’Espagne, tout en établissant des parallèles pertinents avec le cadre normatif français régissant les VTC.

Ce commentaire se propose d’analyser ces enjeux et d’apporter un éclairage sur la délicate équation entre la protection des intérêts locaux et la libre entreprise au sein de l’Union européenne.

I. Analyse de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).

La décision récente de la CJUE, dans l’affaire C‑50/21 du 8 juin 2023, jette une lumière particulière sur l’article 107, paragraphe 1, du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE). Cet article est un pilier essentiel dans l’évaluation des réglementations nationales qui pourraient potentiellement engager des ressources d’État et fausser la concurrence.

A. L’Article 107, paragraphe 1, TFUE.

L’article 107, paragraphe 1, du TFUE pose des conditions strictes pour déterminer si une mesure nationale constitue une aide d’État incompatible avec le marché intérieur. Deux éléments essentiels doivent être réunis : l’intervention de l’État et la distorsion de la concurrence. La CJUE insiste sur la nécessité de garantir que les ressources d’État ne faussent pas indûment la concurrence au sein de l’Union Européenne.

Dans le contexte du cas espagnol, la CJUE a évalué si les mesures réglementaires imposant une autorisation spécifique pour les services de VTC, ainsi que la limitation du nombre de licences de services VTC, relevaient de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. La cour a énoncé clairement que si ces mesures ne sont pas de nature à engager des ressources d’État, elles ne tombent pas sous le coup de cet article. La CJUE examine attentivement si les limitations imposées ne créent pas un avantage économique déloyal résultant d’une intervention de l’État.

La juridiction a cherché à déterminer si la réglementation espagnole concernant les VTC était véritablement étayée par des considérations d’intérêt général, excluant ainsi la qualification d’aide d’État. Elle insiste sur la nécessité que les mesures adoptées par les autorités nationales soient proportionnées à l’objectif poursuivi et ne créent pas une distorsion excessive de la concurrence.

La décision de la CJUE rappelle ainsi aux États membres que toute réglementation, même en matière de transports urbains, doit respecter les principes fondamentaux de l’UE et ne peut être utilisée comme un moyen détourné d’octroyer des avantages économiques déloyaux. L’article 107, paragraphe 1, du TFUE constitue un garde-fou essentiel dans la préservation de la libre concurrence au sein de l’Union Européenne, et la CJUE joue un rôle crucial en veillant à son respect dans le cadre des législations nationales.

B. L’Article 49 TFUE.

La jurisprudence de la CJUE, telle qu’illustrée dans l’affaire C‑50/21 du 8 juin 2023, offre une analyse approfondie de l’article 49 du TFUE, soulignant son rôle dans la protection de la liberté d’établissement au sein de l’Union Européenne.

L’article 49 du TFUE garantit la liberté d’établissement, un principe fondamental de l’Union Européenne. Cette disposition interdit toute discrimination, directe ou indirecte, à l’égard des ressortissants d’un État membre souhaitant exercer une activité économique dans un autre État membre. La CJUE examine attentivement si les limitations imposées par une réglementation nationale respectent ce principe fondamental.

Dans le contexte spécifique du cas espagnol, la CJUE a évalué la légalité des exigences imposées aux VTC, notamment l’obligation d’une autorisation spécifique et la limitation du nombre de licences. La cour souligne que, pour respecter l’article 49 du TFUE, de telles mesures doivent reposer sur des critères objectifs, non discriminatoires, connus à l’avance, et répondre à des besoins particuliers de l’agglomération concernée.

La CJUE rejette toute réglementation qui serait disproportionnée par rapport aux objectifs poursuivis et qui pourrait créer une entrave indue à la liberté d’établissement. Dans le cas espagnol, la cour a conclu que la limitation du nombre de licences de services de VTC à un trentième des licences de services de taxi n’était pas justifiée de manière adéquate au regard des objectifs de gestion du transport, du trafic et de l’espace public, ainsi que de la protection de l’environnement.

Par cette décision, la CJUE rappelle aux États membres que toute réglementation nationale qui restreint la liberté d’établissement doit être étroitement liée à des objectifs légitimes et ne peut aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire. Elle incite à un équilibre entre les considérations locales légitimes et le respect des principes fondamentaux de l’Union Européenne.

En résumé, la jurisprudence de la CJUE dans cette affaire souligne l’importance cruciale des articles 107 et 49 du TFUE dans la préservation de la libre concurrence et de la liberté d’établissement au sein de l’Union Européenne, offrant ainsi des lignes directrices claires pour l’évaluation des réglementations nationales relatives aux services de VTC.

II. Application de la jurisprudence au contexte espagnol.

A. Exigence d’une autorisation spécifique pour les VTC à Barcelone.

La décision de la CJUE aborde la question de l’exigence d’une autorisation spécifique pour les VTC à Barcelone, en soulignant la nécessité de conditions de validité strictes conformément à la jurisprudence de l’Union européenne. Selon l’arrêt, une telle exigence doit reposer sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance. Ces critères doivent exclure tout arbitraire et ne pas faire double emploi avec les contrôles déjà effectués dans le cadre de la procédure d’autorisation nationale.

L’analyse de la jurisprudence révèle que la CJUE met l’accent sur la garantie de l’absence de discrimination et d’arbitraire dans l’octroi de l’autorisation spécifique. La transparence des critères et leur prévisibilité sont considérées comme des éléments essentiels pour assurer la conformité avec les principes de l’Union européenne.

La conformité de l’exigence d’une autorisation spécifique pour les VTC à Barcelone avec la jurisprudence de la CJUE doit être évaluée au regard des conditions énoncées.

La juridiction espagnole compétente devra vérifier si les critères appliqués pour délivrer, refuser ou éventuellement retirer les licences de services VTC répondent aux normes énoncées par la CJUE. La question centrale demeure de savoir si cette exigence spécifique est fondée sur des besoins particuliers de l’agglomération de Barcelone et si elle respecte les principes de non-discrimination et de transparence définis par la CJUE.

B. Limitation du nombre de licences de services VTC.

La jurisprudence de la CJUE examine également la limitation du nombre de licences de services VTC à un trentième des licences de services de taxi délivrées pour l’agglomération de Barcelone. L’arrêt souligne l’importance de démontrer que cette mesure est conforme aux objectifs de bonne gestion du transport, du trafic et de l’espace public, ainsi qu’à la protection de l’environnement.

L’évaluation de la proportionnalité de la limitation des licences VTC doit se pencher sur la question de savoir si cette mesure est propre à garantir de manière cohérente et systématique la réalisation des objectifs susmentionnés, sans aller au-delà de ce qui est nécessaire. La CJUE souligne que la juridiction nationale doit examiner si des mesures moins contraignantes pourraient également atteindre ces objectifs, tout en respectant la liberté d’établissement.

La suite de cette analyse doit être effectuée par la juridiction de renvoi, en tenant compte des éléments spécifiques du contexte espagnol et des données disponibles sur l’impact réel des services VTC dans l’agglomération de Barcelone.

III. Comparaison avec la législation française.

La mise en perspective de la législation espagnole avec le cadre juridique français régissant les VTC révèle des nuances substantielles et des similitudes, soulignant l’importance d’une analyse détaillée pour évaluer la conformité aux normes de l’Union européenne.

En France, la législation relative aux VTC repose également sur l’exigence d’une autorisation spécifique. Toutefois, les critères et conditions pour l’octroi de cette autorisation peuvent différer de ceux énoncés dans la réglementation espagnole. Là, où la France établit des critères spécifiques, non discriminatoires et préalablement connus, conformément à la jurisprudence de la CJUE, il sera crucial de comparer ces exigences avec celles imposées en Espagne. Une analyse approfondie de ces critères permettra de déterminer la cohérence avec les normes européennes.

La limitation du nombre de licences de services VTC à un trentième des licences de services de taxi, comme observée en Espagne, peut différer de la pratique française.

La France a instauré des mécanismes de régulation spécifiques, notamment à travers des quotas, mais ces derniers ne sont pas nécessairement calqués sur le modèle espagnol. L’évaluation de la proportionnalité de ces limites doit prendre en compte les objectifs spécifiques poursuivis par chaque État membre, tout en respectant les principes fondamentaux de l’Union européenne.

Si des similitudes substantielles entre la législation espagnole et la réglementation française sont identifiées, cela pourrait inciter les autorités françaises à revoir leur cadre juridique. Des ajustements pourraient être nécessaires pour garantir la conformité avec la décision de la CJUE et éviter d’éventuelles procédures judiciaires.

Une telle révision pourrait également conduire à une clarification des critères d’attribution des autorisations et des limitations du nombre de licences VTC en
France.

Cette analyse approfondie met en lumière les nuances et les convergences entre les législations espagnole et française, offrant ainsi un éclairage précieux sur les implications de la décision de la CJUE pour le cadre réglementaire français des VTC.

IV. Perspectives et conséquences.

La décision de la CJUE dans l’affaire C‑50/21 du 8 juin 2023 ouvre des perspectives significatives et pourrait avoir des conséquences notables sur les législations espagnole et française relatives aux VTC. Cette section examine les possibles évolutions législatives et les répercussions sur le marché européen des VTC.

Suite à la décision de la CJUE, il est envisageable que l’Espagne revoie sa réglementation concernant les VTC, notamment en ajustant les critères d’attribution des autorisations spécifiques et en réévaluant la limitation du nombre de licences. Les autorités espagnoles pourraient être amenées à aligner leur législation sur les principes énoncés par la CJUE pour garantir la conformité aux normes de l’Union européenne.

En France, la décision de la CJUE pourrait inciter les autorités à procéder à une réévaluation de la législation régissant les VTC. Les similitudes identifiées entre la réglementation espagnole et celle en vigueur en France pourraient susciter des interrogations sur la conformité de cette dernière aux normes européennes. Il est possible que des ajustements soient envisagés pour garantir une cohérence avec la décision de la CJUE, évitant ainsi d’éventuelles procédures judiciaires et assurant une protection renforcée de la liberté d’établissement des services de VTC en France.

Au niveau européen, la décision de la CJUE pourrait avoir un impact plus large en encourageant d’autres États membres à réexaminer leurs réglementations nationales concernant les VTC. La jurisprudence établie par la CJUE offre des lignes directrices claires sur les critères de conformité avec les principes fondamentaux de l’Union européenne. Les autorités nationales pourraient être incitées à ajuster leurs cadres législatifs pour garantir une plus grande cohérence avec les normes européennes, favorisant ainsi une concurrence équitable et la libre circulation des services.

En conclusion, la décision de la CJUE dans l’affaire C‑50/21 du 8 juin 2023 ouvre la voie à des évolutions significatives dans la réglementation des VTC en Espagne et potentiellement en France. Les autorités nationales seront appelées à réexaminer leurs cadres législatifs à la lumière des principes énoncés par la CJUE. Cette décision renforce le rôle crucial de la CJUE dans la protection des droits fondamentaux des citoyens européens, tout en équilibrant les intérêts locaux légitimes. Les répercussions de cette affaire pourraient également s’étendre au-delà des frontières nationales, incitant d’autres États membres de l’Union européenne à ajuster leurs réglementations pour assurer une cohérence avec les principes énoncés par la CJUE.

Raphaël Hérimian Avakian, Juriste Droit des affaires et des nouvelles technologies.