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[Essai] Innovation et développement durable : la place du droit en faveur de l’innovation durable.
Parution : mercredi 27 septembre 2023
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"Il y a un fort besoin d’innovations pour parvenir à réduire nos consommations et à l’efficacité énergétique, d’innovations dont la finalité est de répondre aux défis écologiques et le droit est un outil de valorisation de ces innovations."
Voici résumé en quelques mots le lien que fait Emilie Collomp, avocate, entre Innovation, développement durable et Droit.
Elle développe cette pensée dans un essai au sujet duquel le Village de la Justice s’est entretenu avec elle.

Village de la Justice : Quelles étaient les motivations à l’origine de cet essai ?

Emilie Collomp : « Je suis praticienne du droit, notamment en matière de droit économique et de la propriété intellectuelle. Après 20 ans de pratique, en 2019-2020, je me suis inscrite dans un DESU de droit de l’Innovation (recherche brevets) afin de mettre à jour et compléter mes connaissances.
Avec l’émergence de la crise sanitaire de la Covid 19 en 2020, il ne faisait plus de doute que les activités humaines (notamment économiques) causaient des déséquilibres environnementaux favorisant des zoonoses par l’érosion des espaces naturels, impactant la santé humaine et la marche de l’économie mondiale.

Je me suis interrogée sur le rôle de l’innovation et ai cherché ce qui pourrait correspondre à un développement économique harmonieux respectant la nature et la biodiversité. C’est ainsi que je me suis plongée dans la notion de développement durable, puis tout naturellement que j’ai choisi comme sujet de recherche, l’interaction entre innovation et développement durable.
Cela m’a permis de définir la problématique articulée autour de la question de la conciliation entre innovation et développement durable et celle de la stimulation (ou des freins causés) de l’un par l’autre.
J’ai abordé ce sujet transversal sous un angle pluridisciplinaire mêlant les contributions des sciences humaines (philosophie, anthropologie), des sciences économiques et le rôle du droit dans cette conciliation. »


V.J : Quel est son message principal si vous ne deviez n’en retenir qu’un ?

E.C : « Qu’avec la prise de conscience de l’interdépendance de l’homme à son environnement, il faut cesser d’opposer l’économie, le social et l’environnement. Vous vous souvenez du slogan d’avoir à choisir entre « la fin du mois et la fin du monde ». C’est une mauvaise façon de poser le problème : l’espèce humaine n’est qu’une espèce, partie intégrante de la biodiversité et l’écosystème mondial ; et nous serons victimes de notre aveuglement comme les autres espèces si nous ne l’actons pas.

Tous les experts en appellent à une transformation systémique. Tout récemment encore (sept 2023), un rapport collectif coordonné par l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) a conclu que les changements climatiques et les trop faibles efforts pour les atténuer entravent le chemin vers les objectifs de développement durable pour la planète.
Sans transition nous consommerons toujours plus de matières premières et d’énergie. Il y a besoin de sobriété et d’efficacité pour faire plus et mieux avec moins.

"Le droit est un instrument du changement car il a une capacité de créativité et d’innovation étonnante."

Mon message est donc d’une part que les objectifs de développement durable (ODD) constituent un axe de réconciliation des contraires. Ils visent un développement économique qui préserve l’écologie et améliore le bien-être humain en réduisant les inégalités.
Par conséquent, et c’est l’autre partie du message, les ODD sont un moteur de l’innovation : il y a un fort besoin d’innovations pour parvenir à réduire nos consommations et à l’efficacité énergétique, d’innovations dont la finalité est de répondre aux défis écologiques et le droit est un outil de valorisation de ces innovations.

Le droit est aussi un instrument du changement car il a une capacité de créativité et d’innovation étonnante. Il œuvre déjà à la conciliation et la hiérarchisation des intérêts qui semblent contraires. En témoignent les arrêts ambitieux rendus par les juges judiciaires et administratifs en matière de justice environnementale, le travail de certains professeurs de droit qui mobilisent des dispositions inexploitées ou des concepts nouveaux permettant de donner une finalité aux droits individuels (un sens ?) ou de les limiter au profit d’intérêts supérieurs, ou encore la reconnaissance légale de "services écosystémiques" rendus par les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins dans le code de l’environnement. »

V.J : A qui le destinez-vous en priorité ?

E.C : « A tous ceux qui désirent la transformation : citoyens, étudiants, juristes, ingénieurs, politiques, chefs d’entreprises. Je suis avocate et donc praticienne du droit. Les enseignants-chercheurs peuvent se saisir de ces questions pour faire évoluer la réflexion sur la finalité du droit, les politiques et entrepreneurs également pour mettre en avant la protection juridique des innovations. »

V.J : Diriez-vous que ce livre est militant ?

E.C : « Non, c’est un essai de juriste qui, certes, comprend une réflexion citoyenne et cherche à interpeler. Je dirais davantage que c’est ma pierre à l’édifice de l’entreprise de transition, ma « part de colibri ». Je ne fais partie d’aucune organisation mais suis heurtée personnellement par l’incohérence entre les objectifs posés internationalement qui permettront de sauvegarder les générations à venir et la pérennité des pratiques et fonctionnements fondés sur des conceptions dépassées. »

V.J : Quels progrès appelez-vous de vos vœux ?

E.C : « Afin de répondre aux défis du changement climatique, de la raréfaction des ressources et de répondre aux besoins humains de près de 8 milliards de personnes, on fait appel à la sobriété et à l’investissement durable ce qui est déjà en soit une révolution, mais on doit aller plus loin.
Depuis 40 ans, le concept et les objectifs de développement durable nous montrent la direction. Les 18 et 19 septembre 2023, avait lieu le sommet des objectifs de développement durable à l’ONU : pourquoi ne comprend-on pas que ces changements sont une opportunité économique ?

"Je pense que notre corpus juridique devrait refléter cette vision, intégrer le développement durable comme un méta-principe."

Les progrès passent par une modernisation de la notion de progrès qui doit être repensée : l’innovation et l’économie doivent travailler au service de la sauvegarde du vivant et du progrès humain. Il faut restituer, voire consacrer sa valeur essentielle et primordiale au vivant et aux services rendus par les écosystèmes. Cela signifie que l’économie ne devrait pas être mesurée qu’à l’aune des indicateurs de croissance qui ignorent les externalités négatives.
Par conséquent je pense que notre corpus juridique devrait refléter cette vision, intégrer le développement durable comme un méta-principe qui contraigne effectivement la réalisation de ses objectifs et engage la responsabilité des acteurs publics et économiques vers cette finalité.

Les entreprises qui donnent l’impulsion en matière d’innovation responsable devraient être érigées en exemple et encouragées. Elles devraient bénéficier d’avantages clairs (fiscaux ou d’autre nature juridique) afin d’être reconnues, valorisées par la collectivité et afin de susciter une émulation positive.

Pour l’instant, c’est le droit européen qui innove le plus depuis la pandémie de Covid 19 et adopte des textes qui tentent d’imposer le critère de durabilité, témoignant d’un changement de paradigme. Sa faiblesse réside dans le fait que ces textes sont toujours de compromis. Notre corpus juridique interne regorge de principes positifs et de normes mais de manière parcellaire, timide et éparse, manquant par conséquent d’efficacité. Il faut le renforcer, généraliser et rendre effectives ces dispositions et accélérer la régulation vers vraie transformation.

On parle de programmation : cela devrait concerner tous les pans de l’économie, se traduire par des règles responsables qui empêchent sans concession le pillage des ressources et de la biodiversité, traduire ces valeurs dans une fiscalité incitative (ou dissuasive) au même titre que les mécanismes protecteurs de la propriété intellectuelle pour orienter les pratiques, les investissements et les innovations dans la finalité vertueuse recherchée. »

Informations techniques :
Titre : Innovation et développement durable. La place du droit en faveur de l’innovation durable.
Auteure : Emilie Collomp
Éditeur : Publishroom Factory
ISBN : 2384540173
Prix : 17,50 euros en format papier / 8,99 euros en E-book
Nombre de pages : 224

Propos de Emilie Collomp, Avocat à la Cour, recueillis par la Rédaction du Village de la Justice