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Intelligence artificielle et propriété intellectuelle : le débat. Par Sabine Marcellin, Juriste.
Parution : vendredi 15 septembre 2023
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Les usages des systèmes d’intelligence artificielle (SIA) sont multiples, notamment pour produire des textes ou des images. Leur utilisation croissante soulève de nombreuses problématiques juridiques, parmi lesquelles la titularité des droits de propriété intellectuelle. Comme le SIA a besoin d’être nourri de documents préexistants, pour renforcer son apprentissage, la première question qui se pose est le statut de données et œuvres utilisées (input). La seconde question, en aval, est de savoir à qui appartiennent les droits sur les contenus générés par le SIA (output) ?

L’input ou le statut des éléments utilisés par le Système d’Intelligence Artificielle.

Les applications d’IA peuvent être entraînées avec de grands ensembles de données, bénéficiant de la protection du droit d’auteur et des droits voisins. L’autorisation des titulaires de ces droits est-elle requise pour une telle utilisation ?

Le développeur de l’IA devrait demander l’autorisation du titulaire des droits, sauf lorsque les exceptions au droit d’auteur s’appliquent. En effet, les systèmes proposant des générateurs d’images par IA, nourries d’œuvres protégées, pourraient théoriquement se voir considérés comme contrefacteurs par le Code de la propriété intellectuelle.

Cependant, la directive européenne 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins, et sa transposition française par l’ordonnance du 24 novembre 2021, ont introduit des exceptions, ouvrant l’exploration de textes et données pertinentes dans le contexte de l’IA.

Ces exceptions visent à un équilibre entre les titulaires de droits et les développeurs d’IA.

Les titulaires peuvent, selon cette directive, refuser que leurs contenus soient utilisés pour l’exploration de textes et données, mais les modalités de ce refus ne sont pas clarifiées actuellement, dans l’attente notamment d’un décret d’application en France.

De plus, la profusion de créations via les SIA génère également une lourdeur des démarches pour les acteurs.

Le CSPLA français (Comité Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique) a recommandé, dans un rapport de 2020, de ne pas faire évoluer la réglementation européenne applicable au droit d’auteur dans les secteurs culturels.

Plusieurs défis relatifs à l’input sont examinés dans un Rapport du Parlement européen de 2021 sur l’IA dans l’éducation, la culture et le secteur audio-visuel. Il y rappelé que le champ d’application du droit de reproduction est toujours en cours de clarification par les juridictions européennes, notamment lorsque des copies purement techniques sont réalisées, comme dans le cadre du processus d’apprentissage d’un algorithme d’IA. Le rapport conclut qu’un nouveau droit connexe pour les produits générés par l’IA n’est pas souhaitable.

En février 2023 aux Etats-Unis, Getty Images entame une procédure judiciaire contre Stability AI, créatrice d’une IA génératrice d’images, Stable Diffusion. La banque d’images accuse la start-up d’avoir copié plus de 12 millions de clichés et estime que la violation de ses contenus à grande échelle a été déterminante dans le succès de Stable Diffusion AI. A ce jour, la décision jurisprudentielle reste attendue.

Outre l’application du droit d’auteur, le droit des bases de données sui generis ouvre une autre voie. L’arrêt CV-Online du 3 juin 2021 de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE), est analysé comme une restriction nouvelle du droit sui generis.

Il implique une exigence accrue de preuve de l’atteinte à l’investissement du fabricant.

L’évolution de la directive relative aux bases de données est envisagée par le législateur européen.

L’output ou protection des résultats produits par le Système d’Intelligence Artificielle.

Qui est le titulaire des droits de propriété intellectuelle des résultats ?

En ce qui concerne l’output, les applications d’IA peuvent générer du contenu sans aucune contribution humaine significative, ce qui soulève la question de savoir si ces produits sont protégés par le droit d’auteur ou un droit voisin.

En droit français, une œuvre est protégeable si elle est originale. L’originalité est définie comme révélant l’empreinte de la personnalité de l’auteur, qui ne peut être qu’un être humain.

Il est donc essentiel, pour toute personne qui souhaite utiliser, à titre commercial ou non, les contenus créés via des outils d’IA, générative ou créative, de vérifier si l’auteur lui en donne les droits et à quelles conditions.

La jurisprudence de la CJUE, en juillet 2009, a affirmé que le droit d’auteur ne s’appliquait qu’à des œuvres originales et que l’originalité allait de pair avec « une création intellectuelle propre à son auteur ».

Le Parlement européen a adopté le rapport Delvaux en janvier 2017, qui propose d’accorder une protection spécifique sur les œuvres créées par des intelligences artificielles et de réfléchir aux

« critères de création intellectuelle propre applicables aux œuvres protégeables par droit d’auteur créées par des ordinateurs ou des robots ».

L’OMPI a pris position, dans le cadre d’une déclaration du 21 mai 2020. Il conviendrait de distinguer une « AI generated » d’une « AI assisted ». La première ne suppose pas d’intervention humaine et est susceptible de modifier son comportement en cours de traitement. La seconde suppose une intervention ou direction humaine.

Aux Etats-Unis, le 21 février 2023, aux Etats-Unis, l’Office du Copyright a décidé que des images de bande dessinée créées par l’IA Midjourney ne pouvaient pas être protégées par le droit d’auteur.

Aujourd’hui dans ce débat, les rapports officiels n’encouragent pas clairement de réglementation spécifique de la propriété intellectuelle par rapport aux SIA. Sans préjuger de l’évolution de la jurisprudence, la tendance actuelle d’estimation de la titularité des droits sur le résultat est la part d’autonomie de la machine vis à vis de l’intervention humaine.

Sabine Marcellin Juriste du numérique Chargée de cours de droit de l'IA à Kedge BS