Village de la Justice www.village-justice.com

Gestion du stress chez les avocats : on en parle ?
Parution : lundi 18 septembre 2023
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/gestion-stress-chez-les-avocats-est-quoi-votre-truc-vous,47033.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

« Plus d’1 avocat sur 4 déclare arriver “assez souvent” ou “très souvent” au cabinet la boule au ventre (...) 52 % des avocats estiment avoir déjà été proches du burn-out à cause de la profession. »
Voilà seulement une partie des chiffres révélés par le magazine Pamplemousse dans une enquête menée sur la qualité de vie et le bien-être des avocats. [1]
Une des causes de cela : ce fichu stress qui rythme nos journées et raccourcit nos nuits... Utile s’il ne nous détruit pas, on peut sans doute apprendre à le gérer.
Le Village de la Justice a voulu aller plus loin et donne ici la parole à trois avocats qui ont appris à le faire.

« Il convient de lâcher cette illusion que gérer son stress consiste à ne pas en ressentir. »

Anne Labare, Avocat à la Cour et Coach professionnel et personnel certifié.

Anne Labare

« Comme n’importe quelle émotion, la problématique n’est pas de ressentir du stress. Même désagréables, les émotions sont porteuses d’un message que notre cerveau envoie à notre corps car considéré comme nécessaire à notre survie. Ce message nous est destiné.

Il convient donc, en premier lieu, de lâcher cette illusion que gérer son stress consiste à ne pas en ressentir. Les clés d’une bonne gestion du stress se trouvent à plusieurs étapes de ce processus émotionnel.

1. En phase d’alarme.

Face à une situation ressentie comme une agression, un danger, le cerveau envoie un message d’alarme via le système nerveux.

A ce stade, quand vous êtes submergé par les sensations corporelles, il n’y a rien à faire si ce n’est… attendre et observer.

Pourquoi attendre ? Parce que sous le coup d’une émotion, c’est notre "crocodile" qui prend le contrôle. En effet, nos deux cerveaux les plus anciens, le cerveau reptilien (qui assure la survie, le fonctionnement du corps, les réflexes) et le cerveau limbique (siège des émotions et des souvenirs) bloquent l’accès à notre néocortex (cerveau logique, siège du contrôle de la pensée et des comportements). Une « réaction à chaud » est donc rarement adaptée à notre monde moderne, surtout professionnel.

2. En phase d’adaptation.

En phase d’adaptation, sous l’effet des hormones nos capacités physiques et mentales sont décuplées. Nous sommes dans l’action, tout tourné vers la résolution de la situation.

Profitez-en pour réaliser les actions que vous avez à faire, dans les délais impartis. Pensez juste à prendre le temps de réfléchir en amont plutôt que de partir dans tous les sens.

3. En phase de retour à l’équilibre émotionnel.

Une fois la situation stressante passée, arrivez-vous à vous détendre facilement ? Sinon quelles sont les activités qui facilitent ce retour à un état de calme ? Sport, spa, méditation, balades, amis, rire, etc. Tous les moyens sont bons pour finir d’évacuer les tensions.

4. Faire le point après coup.

Enfin, dès que vous avez le temps, la clé est de se poser plusieurs questions.

- 1ère question : Qu’est-ce qui, dans la situation, m’a fait réagir ?

Ce travail d’analyse rétrospective vous permettra d’identifier les facteurs de stress qui vous font réagir et peut-être d’identifier des points communs (exemple : gestion du temps, relationnel, environnement, par exemple).

Je vous partage ici mon expérience personnelle. Depuis quelques années, je gère mon stress en amont en réduisant ma source principale de stress : la charge de travail. De ce fait, la gestion du temps n’est plus une source d’inquiétude continuelle. Bien sûr il y a encore des urgences à gérer mais elles sont plus ponctuelles. Je suis le plus souvent la tête hors de l’eau et non pas à essayer de sortir la tête de l’eau. En ne faisant pas tout à la dernière minute je suis plus détendue, je fais un travail que je considère de meilleure qualité et je peux justement décaler mon planning si des évènements insurmontables surviennent ponctuellement (problème informatique par exemple).
Mais il y a des contreparties bien sûr. Cela a supposé de lâcher des « il faut », « je dois », autant de croyances et conditionnements qu’imposent la société, les confrères, la famille etc. J’ai aussi dû lâcher des inquiétudes sources d’anxiété sur le nombre de dossiers, les honoraires notamment. Certes je gagne moins, mais j’ai trouvé un équilibre avec ma vie personnelle (hobbies) et familiale qui me génère une sérénité.

- 2e question : Ma réaction émotionnelle était-elle adaptée en intensité à l’évènement déclencheur ? Dans la négative arrivez-vous à identifier ce qui a interféré ?

- 3e question : Quel est le degré d’efficacité des solutions que j’ai mises en œuvre d’une part pour gérer mon stress et d’autre part la situation (sur une échelle de 0 à 10) ?

Tenter de maîtriser ce qui ne peut pas l’être est une grande source de stress. En théorie les clients vous communiquent tous les éléments en temps utiles pour leur dossier, les avocats respectent les délais, les magistrats ne rendent que des décisions justes, etc. Mais en réalité soyons honnête tout ne se passe pas comme cela. S’accrocher à la théorie, au perfectionnisme sont des sources de stress inutiles et bien douloureuses... »

« L’avocat a aujourd’hui les moyens de briser l’isolement dans lequel il s’enferme trop souvent. »

Martin Lacour, Avocat au Barreau de Paris, Formateur et Praticien de processus collaboratif, Médiateur.

Martin Lacour

« Dans un pays comme la France, le recours à l’avocat n’est pas un acte banal de la vie de tous les jours. Dès lors, nos clients, qu’ils viennent pour du conseil ou du contentieux, quel que soit le domaine concerné, arrivent dans un état d’anxiété ou de stress souvent important, même lorsqu’il s’agit de clients professionnels (on n’a pas encore vu une SAS ou un SA arriver au Cabinet, ce sont toujours bien des humains que l’on rencontre !). Et ce stress peut devenir contagieux, notamment lorsque l’avocat n’a reçu de formation lui permettant d’avoir les connaissances psychologiques et les savoir-être et savoir-faire relationnels requis (C’est d’ailleurs tout le sujet de la commission "Savoir-être et savoir-faire des avocats" du barreau de Paris que Nadine Rey et moi-même co-dirigeons).

Il ne s’agit pas de "gérer" le stress du client, mais bien de l’accompagner, en favorisant une approche globale, pour qu’il puisse accueillir ses émotions et sentiments, ce qui permettra ensuite de travailler les "sous-jacents" [2]. Cela passe par une nécessaire phase d’accueil et d’écoute du client, phase dont on a souvent la tentation de faire l’économie, victime d’une fausse croyance selon laquelle le client voudrait "du conseil et encore du conseil".

De son côté, l’avocat ne peut naturellement bien faire son métier que s’il est "au clair" avec lui-même - ce qui suppose un travail sur lui-même, et est capable de faire ce pas de côté qui permet la juste distanciation pour être en mesure d’accompagner son client (la fameuse "indépendance" dont notre déontologie fait état). Lorsque, au contraire, l’avocat n’est pas formé et confond sympathie et empathie, le stress du client risque de devenir rapidement communicatif, et vice versa.

Naturellement, ces principes ne s’appliquent pas qu’au client et à son avocat, mais bien à tous nos interlocuteurs, au premier rang desquels nos confrères.

Surtout, l’avocat a aujourd’hui les moyens de briser l’isolement dans lequel il s’enferme trop souvent : se former à la psychologie et aux compétences relationnelles requises est un premier pas, mais souvent ne suffit pas à sortir de sa zone de confort et changer ses habitudes. Il est alors utile, sinon indispensable, d’envisager de rejoindre un groupe de la pratique [3], et, en complément, la supervision [4]. »

« Nous utilisons souvent dans le langage courant le mot stress, qui recouvre en réalité plusieurs formes différentes de peurs. »

Noréa Thomas, Coach pour avocats et ancienne avocate.

Noréa Thomas

Nous utilisons souvent le langage courant le mot « stress », qui recouvre en réalité plusieurs formes différentes de peurs :
- La situation de stress à proprement parler, dans laquelle on a peur que nos ressources soient insuffisantes pour répondre à une situation problématique : pas assez de temps, pas assez de compétences, manque de contrôle sur une situation, etc. Cette sensation de manquer de ressources peut être vécue par l’avocat, ou par le client qui ne se sent pas totalement en confiance avec son avocat ;
- Le trac, qui est la peur du regard des autres avant une représentation publique telle une médiation ou une plaidoirie ;
- La peur de l’inconnu.

La peur étant une émotion désagréable, le réflexe humain est de la fuir, de ne pas s’y attarder, de « faire comme si tout allait bien ».

Or pour "adresser" [5] une peur, le premier moyen est de la confronter à la réalité, donc de s’y attarder :
- Pour soi, en identifiant l’objet exact de la peur, en identifiant le pire qui pourrait se passer et en listant les ressources dont vous disposez, y compris si le pire se passait vraiment.

- Avec le client, en ouvrant avec lui un dialogue : comment vous sentez-vous ? de quoi avez-vous peur ? de quoi avez-vous besoin pour vous rassurer ?
Il vous appartient dans ce dialogue d’accepter les peurs de vos clients et de les comprendre. Ces peurs sont légitimes, surtout si le dossier présente de l’enjeu ou que le fonctionnement de la justice est inconnu pour votre client. Accueillez sa peur, indiquez-lui que vous le comprenez, et apportez lui les éléments en votre possession pour confronter sa peur à la réalité. Restez toutefois fermes sur ce que vous acceptez ou pas de votre client lorsqu’il est en situation de stress. Sa peur est tout à fait légitime, mais certaines réactions liées à la peur peuvent vous être inacceptables (colère, appels incessants, etc.).

Lorsque la peur a été adressée, rationalisée, elle est déjà généralement moins forte. Alors ensuite, vous pouvez utiliser des techniques de gestion du stress pour faire baisser les manifestations de la peur. Utilisées de cette manière, elles auront un effet long terme.

En voici quelques exemples :
- Méditation pour accepter l’émotion et s’en détacher ;
- Cohérence cardiaque pour calmer les effets physiques de la peur ;
- Activité sportive pour relâcher la pression ;
- Simplement prendre une pause en sortant quelques minutes : se décentrer corporellement permet immédiatement au cerveau de prendre du recul et de se calmer ;
- Travail avec un professionnel (sophrologue, psychologue, thérapeute, kinésiologue, etc.) si besoin.

J’attire l’attention des lecteurs : ces techniques sans adresser la peur donnent l’illusion de se calmer mais ne font qu’enfouir les émotions sans les adresser et peuvent mener au surmenage ou autre. »

Propos recueillis par Nathalie Hantz, Rédaction du Village de la Justice.

[1Source : Pamplemousse Éditions.

[2Ce que les anglo-saxons appellent les "interests", et qu’on ne pourra traduire que par une périphrase "intérêts besoins préoccupations valeurs moteurs silencieux", ou "IBPVMs" pour les initiés.

[3Groupe de confrères qui se réunissent par exemple mensuellement et échangent entre eux, de manière confidentielle dans un cadre bienveillant sur leurs pratiques.

[4Supervision en groupe, individuelle, ou, dans le cas d’une médiation ou d’un processus collaboratif, appliquée à un binôme de confrères collaboratif

[5Note de l’auteur : « Adresser une peur » signifie l’affronter, la regarder en face, s’y confronter, l’admettre (ex : j’ai beau être expérimentée, aujourd’hui j’ai peur de rater cette audience). Par opposition à la fuir, faire comme si elle n’existait pas ou comme si elle n’était pas importante (ex : c’est ridicule de stresser pour cette audience, j’ai pourtant plaidé 100 fois devant ce Tribunal).

Comentaires: