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Aide juridictionnelle : mise à jour... mise au point ? Par Anne-Charlotte Kervoelen, Docteur en droit.
Parution : mardi 22 août 2023
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C’est quoi la Justice ? Une valeur, un idéal philosophique et moral ? Assurément.
La Justice, c’est aussi et surtout l’une des vertus cardinales, l’un des fondements de notre démocratie, et une institution centrale de notre République.
C’est la raison pour laquelle elle doit être accessible à tous de manière aisée, afin que chacun puisse défendre ses droits. Et, c’est précisément dans ce contexte, que s’est progressivement fondé notre système d’aide juridictionnelle en droit interne.

Le droit à l’aide juridictionnelle permet aux personnes disposant de revenus insuffisants de payer les frais du procès ou ceux de représentation d’un avocat. Ce dispositif soufflait ses bougies en 2021, pour un anniversaire en demi-teinte : des moyens insuffisants par rapport au nombre de bénéficiaires, pour une pratique professionnelle irrégulière, pour ne pas dire confuse. Il devenait alors grand temps pour les pouvoirs publics de se saisir des différentes problématiques, ce qu’ils ont fait avec des réformes abouties : la première réforme législative [1], puis la seconde réforme règlementaire [2], et enfin la mise à jour de la loi de 1991 [3].

Ces réformes ont-elles fait évoluer les choses ? Certainement.
Mais est-ce suffisant en pratique ? Certainement pas.

Si l’anniversaire des 30 ans de l’aide juridictionnelle a été l’occasion d’une nouvelle « réforme », afin (peut-être) de trouver des solutions aux différentes problématiques relatives à l’aide juridictionnelle, force est de constater que celles-ci perdurent. La réalité est que, les avocats intervenant exclusivement au titre de l’aide juridictionnelle « survivent » et sacrifient (presque) leur propre vie. Parce qu’ils le font naturellement avec une passion invétérée, et une abnégation sans pareille…

L’explosion du nombre de bénéficiaires a fatalement conduit à l’engorgement des bureaux d’aide juridictionnelle, ainsi qu’à l’allongement des délais de traitement des dossiers. Aussi, les plafonds excessivement bas des revenus, s’agissant de l’attribution d’une aide financière, ont inévitablement laissés les classes moyennes sur le « banc de touche ». La rétribution des avocats est également bien trop faible, ce qui justifie qu’un bon nombre d’entre eux s’en détourne. Enfin, le budget accordé par l’État à ce poste n’est évidemment pas assez élevé pour surmonter toutes les difficultés auquel il est confronté.

Pourtant, il faut dire que ce décret n’est pas un grand bouleversement, encore moins une solution « miracle » à l’ensemble de ces problèmes. Il peut donc être particulièrement excessif de parler de « réforme », pour un réagencement global des dispositions règlementaires concernant l’aide juridictionnelle, et l’aide à l’intervention de l’avocat, qui sont - pour l’essentiel - à droit constant. Pour dire, ce décret intègre, par l’article 243 de la loi n°2019 -1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, les modifications apportées à la loi juillet 1991, savoir :
• le revenu fiscal de référence (RFR) comme critère d’éligibilité principal avec la composition du foyer fiscal, pour plafond variable ;
• la possibilité d’introduire une demande d’aide juridictionnelle en ligne ;
• la réorganisation des bureaux d’aide juridictionnelle (BAJ) en permettant leur regroupement, ainsi que leur création auprès des bureaux administratifs.

Le dernier décret en date du 24 juin 2021 [4] n’est, quant à lui, guère plus réformateur, comportant les dispositions d’application de la réforme du régime de rétribution à l’aide juridictionnelle des avocats commis d’office, pour les procédures mentionnées à l’article 19-1 de la loi du 10 juillet 1991. Il vient également réformer le barème de rétribution des avocats, en particulier en matière pénale, afin de prendre en compte les réformes procédurales introduites par le nouveau Code de la justice pénale des mineurs. Enfin, il procède à une simplification des règles de gestion, pour les CARPA en matière d’aide juridictionnelle.

Pour clore ces propos, il est évident que ce dispositif mérite, davantage encore, d’évoluer dans le bon sens, car le chemin est encore long pour satisfaire une profession qui souffre. Mais rien n’est immuable. L’avenir réserve souvent de belles surprises. Il suffit de se battre, encore et toujours.

Pour en savoir plus, V. « L’Aide juridictionnelle : Que sais-je vraiment ? », Anne-Charlotte Kervoelen [5].
Actualisé et opérationnel, ce guide permet de décrypter les codes d’un univers particulièrement complexe pour des néophytes, d’où le choix opéré en faveur d’un format inédit, favorisant l’élan et l’interaction rédactionnels du mode « Questions/Réponses ».

Anne-Charlotte Kervoelen Docteur en droit privé, Elève-avocat, Chargée de cours, Écrivain

[1V.art. 234, Loi. n°2020-1721 du 29 déc. 2020

[2Décret. n°2020-1717, 28 déc. 2020 et son décret d’application n°2021-810 du 24 juin 2021

[3Ceci, le biais du Code de la justice pénale des mineurs, entré en application le 30 septembre 2021

[4Décret n° 2021-810 du 24 juin 2021 portant diverses dispositions en matière d’aide juridictionnelle et d’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles, JORF n° 0147 du 26 juin 2021 Texte n°11

[5Editions Les 3 Colonnes, 2023

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