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Le régime juridique de la dot en droit ivoirien. Par Koffi Victor Brou, Juriste.
Parution : mardi 8 août 2023
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La dot, une institution tant exigée dans le processus de mariage traditionnel en Afrique, est devenue une pratique légale en Côte d’Ivoire. Désormais, plus de prison à cause de la dot.

La dot, une pratique coutumière omniprésente dans la procédure du mariage traditionnel dans plusieurs pays Africains est couramment pratiquée en Côte d’Ivoire.

Cette pratique avait été interdite par la loi n° 64-381 du 7 Octobre 1964 du Code civil Ivoirien sur le mariage avant d’être autorisée par la loi n 2019-570 du 26 juillet 2019 relative au mariage. La question se rapportant à la dot fait l’objet de discussions.

Plusieurs positions sont émises aussi bien par les théoriciens du droit que par les praticiens. La nouvelle loi sur le mariage fait de la dot une pratique légale.

Ce revirement nous amène à soulever l’interrogation suivante : la dot fait elle partie des étapes obligatoires pour contracter un mariage légal ?

La dot est définie par l’article 20 de la loi de 1964 sur le mariage comme étant une institution consistant à verser au profit de la personne ayant de l’autorité sur la future épouse, par le futur époux ou la personne ayant de l’autorité sur lui, d’avantages conditionnant la réalisation du mariage traditionnel.

De cette définition, il ressort que la dot est une exigence coutumière qui s’assimilerait dans une certaine mesure à un mariage.

Toutefois, l’article 104 de la loi de 2019 relative au mariage dispose que

« La présente loi abroge la loi n 64-375 du 7 Octobre 1964 relative au mariage modifiée par les lois n83-800 du 2 Août 1983 et n 2013-33 du 25 Janvier 2013 et la loi n 64-381 du 7 Octobre 1964 relative aux dispositions diverses applicables aux matières régies par la loi sur le mariage et aux dispositions particulières applicables à la dot ».

Par cette disposition, le législateur révèle expressément sa volonté de soustraire à la dot son caractère illégal et infractionnel, qu’elle avait sous l’empire de l’ancienne loi sur le lien matrimonial. Cela laisse comprendre que, désormais, la dot n’est plus une infraction. Autrement dit, elle n’est plus une pratique prohibée par la loi.

Pour rappel, l’article 21 de la défunte loi du 7 Octobre 1964 sur le mariage, punissait à une peine privative de liberté et d’amende celui qui a

« Sollicité ou agréé des offres ou promesses, sollicité ou reçu une dot, usé d’offres ou de promesses de dot ou cédé à des dispositions tendant au versement d’une dot ».

Le législateur Ivoirien d’alors interdisait purement et simplement la dot. Il faut souligner que cette interdiction a eu du succès que dans la théorie. Dans la pratique, les Ivoiriens sont restés attachés à leur tradition.

Du 7 Octobre 1964, jusqu’au 26 juin 2019, nombreuses sont les personnes qui se sont données à cœur joie à la pratique de la dot pendant 55 ans, et cela, au su de toutes les autorités. Il y a donc eu un véritable conflit entre le droit coutumier et le droit moderne. De ce conflit, l’on pourrait conclure à la victoire du droit coutumier, en ce que, d’une part, les populations sont restées fidèles à leur pratique coutumière qu’est la dot.

D’autre part, le législateur a finalement autorisé la dot au sens de l’article 104 de la nouvelle loi sur le mariage. Ceci étant, il y a des zones d’ombre concernant la place de la dot au titre des étapes d’un mariage légal. Pour former une union légale, les futurs époux sont tenus de satisfaire à certaines conditions de fond et de forme. En ce qui concerne les conditions de fond, nous avons : la différence de sexe, l’âge fixé à 18 ans, le consentement personnel des futurs époux etc.

Relativement aux conditions de forme, il y a les formalités administratives et la célébration du mariage par l’officier d’état civil. En autorisant la dot, l’on se demande si le législateur entendait faire de cette pratique une exigence préalable à la célébration du mariage par devant l’officier de l’état civil, ou voudrait simplement que cette pratique traditionnelle soit honorée pour le respect des traditions.

Toute réflexion allant dans ce sens n’est pas à réfuter en ce que, certaines personnes pourraient se servir de l’article 104 de la nouvelle loi sur mariage précité comme une assise légale à l’encontre de quiconque souhaiterait se soustraire au paiement de la dot.

En réalité, le législateur a simplement reconnu et autorisé la dot sans en dire et en faire plus. Certes, la loi la reconnaît en tant qu’une pratique légale.

Mais, l’officier de l’état civil à qui compétence est attribuée pour conférer à une union son caractère légal, ne se penche nullement sur la dot avant de célébrer le mariage.

Autrement dit, il ne demande pas si les futurs époux ont fait la dot avant de se présenter devant lui. Peu importe la procédure traditionnelle entamée par les futurs époux, le mariage légal sera célébré. Mieux, que les futurs mariés aient fait la dot ou pas, l’officier de l’état civil célébrera le mariage. Par conséquent, la dot ne conditionne en rien la célébration du mariage légal, car elle n’est pas une condition légale antérieure au mariage légal.

Il en va autrement pour la tradition. Pas de mariage reconnu et pris en compte par les ancêtres, les chefs de famille et les parents proches à la future épouse sans la dot. Il est donc nécessaire de chercher à savoir si le législateur a réellement réglé l’épineuse préoccupation au sujet de la dot par le simple fait d’ôter le caractère illégal et infractionnel à celle-ci. Nous n’y croyons pas ! Il y a là, une indétermination et imprécision des contours de la dot.

Autoriser la dot, voudrait dire que le législateur est convaincu que cette pratique s’inscrit dans l’intérêt des populations. C’est d’ailleurs pour cette raison que sa prohibition n’en avait pas eu l’air. Du 7 Octobre 1964 jusqu’au 26 juin 2019, la dot était interdite. Mais cette interdiction eut du succès que dans la théorie. Les populations ont doté pendant 55 ans, bien que la dot soit prohibée. Et cela, sous le regard des autorités. Il y a alors eu un véritable conflit entre le droit coutumier et le droit moderne, à l’issue duquel l’on retient la victoire du droit coutumier, laquelle victoire se justifie par l’avènement de la loi de 2019 relative au mariage autorisant la dot en son article 104.

A n’en point douter, la dot n’est plus un acte transgressant la loi. Toutefois, les modalités de cette pratique demeurent l’apanage des chefs de famille. Ce sont eux qui fixent la somme à verser et les biens à donner. Le législateur est silencieux sur ces points.

Or, la loi est censée encadrer toute institution légale. Le législateur devrait déterminer un intervalle de montant à verser, voire se prononcer sur les biens à donner afin d’encadrer cette pratique. En absence de tout encadrement légal, nous assistons et constatons un florilège de sommes à verser, et cela en fonction des ethnies et des groupes ethniques.

Parfois, au sein d’un même groupe ethnique, la dot se fait différemment. Cela a pour conséquence le paiement des sommes exorbitantes comme si l’on s’adonnait à une activité commerciale. Nous entendons ici et là que la pluralité d’ethnies serait un frein à une harmonisation des exigences traditionnelles relatives à la dot. Nous en sommes conscients. Un tel argument peut tenir la route.

Mais l’encadrement de cette pratique n’est pas chose impossible pour le législateur qui est déjà en chemin en reconnaissant la dot comme une pratique légale.

Aussi, faut-il souligner un autre aspect crucial dans l’autorisation de la dot. Il s’agit des mésententes et des différends pouvant naître entre les futurs époux ayant fait la dot, mais ne se sont pas encore présentés à l’officier d’état civil pour une union légale. Si avant le mariage légal, l’un des époux commet une faute rendant impossible la poursuite du lien, ou l’un d’entre eux décide de se rétracter. Le partenaire frustré peut-il saisir le juge pour se faire entendre conformément à la loi sur le mariage ?

La réponse ne saurait être affirmative car une telle union n’est pas légale. C’est donc du concubinage. Pourtant la loi reconnaît la dot et autorise à ce que les biens soient versés en guise de dot. Il y a alors un imbroglio sur le régime juridique de la dot.

Prohibée par la loi n 64-381 du 7 Octobre 1964 sur le mariage, la dot est aujourd’hui une pratique légale selon les termes de l’article 104 de la loi de juin 2019 sur le mariage. Le législateur a certes légalisé cette pratique relevant de la tradition. Mais beaucoup reste à faire en vue de prendre en compte tous les contours de la dot. Il faut donc un régime juridique clair de cette pratique traditionnelle.

Références :

Victor Koffi BROU, Juriste broukovic22@gmail.com victorkoffibrou93@gmail.com