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La prescription et la forclusion en matière de crédit immobilier et de crédit à la consommation. Par Nicolas Richez, Avocat.
Parution : mercredi 21 février 2024
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Si en théorie, les effets entre prescription et forclusion sont similaires puisqu’ils tendent à la même finalité : éteindre un droit ; en pratique, leur distinction est importante dans la mesure où leur mise en œuvre est conditionnée à des dispositions juridiques différentes. Et pour cause, la loi impose au créancier de réagir dans des délais impartis. De fait, en matière bancaire, les notions de prescription et de forclusion ont nécessairement une incidence sur l’action en paiement du créancier.
Ainsi, on parlera davantage de prescription en matière de crédit immobilier (I) et de forclusion dans le cadre d’un crédit à la consommation (II).

I. Durée et point de départ du délai de prescription pour le crédit immobilier.

A. Définition et délai de prescription.

Lorsqu’on parle de prescription en matière de crédit immobilier, il est essentiel de comprendre que le temps joue un rôle crucial.

La prescription extinctive est définie par l’article 2219 du Code civil comme :

« un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ».

Il s’agit donc d’une période après laquelle une action en justice pour recouvrer une dette n’est plus recevable. Il est donc important pour les emprunteurs de bien comprendre que la prescription ne signifie pas l’effacement de la dette, mais plutôt l’extinction du droit du prêteur à agir en justice pour la recouvrer.

Ce délai varie selon que l’emprunteur a la qualité de consommateur ou de professionnel.

Si l’emprunteur est un particulier :

Le prêteur disposera d’un délai de deux ans pour agir contre l’emprunteur en cas d’impayés des échéances du prêt. Ce délai est repris à l’article L. 218-2 du Code de la consommation qui dispose que : "L’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans".

Si l’emprunteur est un professionnel :

Si l’emprunteur a la qualité de professionnel en principe, il ne bénéficie pas des dispositions du Code de la consommation. Le délai de prescription sera donc de 5 ans.

Comme l’a rappelé à plusieurs reprises la Cour de cassation, c’est la finalité de l’opération qui va déterminer si l’emprunteur a la qualité de consommateur ou de professionnel.

Ainsi pour la première Chambre civile de la Cour de cassation, l’objet du prêt détermine la qualité de l’emprunteur et le délai de prescription applicable.

Ainsi l’emprunteur aura la qualité de professionnel et le délai de prescription sera de 5 ans si :

« Le prêt mentionnait qu’il était destiné, d’une part, au remboursement anticipé total d’un précédent prêt destiné à constituer un apport en compte courant à la société commerciale Animal Compagnie, dont l’emprunteur est l’associé et le gérant, d’autre part, au remboursement partiel d’un prêt destiné au financement de la constitution de la SCI ayant pour but l’acquisition d’un local destiné à la location dans une galerie commerciale » (Cass.Civ.1., 15 juin 2022, 21-10.712).

La Cour de cassation rappelle également :

« qu’est sans effet sur la qualification professionnelle d’un crédit la circonstance qu’un coemprunteur est étranger à l’activité pour les besoins de laquelle il a été consenti » (Cass.Civ.1., 20 mai 2020, n°19-13461, n°347 P+B).

En présence d’une caution de prêt bancaire :

En pratique, il est commun que les établissements de crédit demandent au dirigeant d’entreprise de se porter "caution personne physique" des engagements bancaires souscrits par la société.

Traditionnellement, la Cour de cassation estimait que la caution pouvait uniquement se prévaloir des exceptions inhérentes à la dette et qu’en conséquence elle ne pouvait pas se prévaloir de la prescription de 2 ans dès lors que ce délai constituait une exception purement personnelle au débiteur principal, résultant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service.

La Cour de cassation fondait sur argumentation sur l’article 2313 du Code civil dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2022.

Or, depuis le 1er janvier 2022, le nouvel article 2298 du Code civil dispose que :

« La caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l’article 2293. Toutefois, la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance, sauf disposition spéciale contraire ».

La caution peut désormais opposer au créancier poursuivant toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, qu’elles soient purement personnelles au débiteur ou inhérentes à la dette.

Dans ce contexte, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence dans une affaire où un acte de cautionnement avait été souscrit le 22 novembre 2007, soit avant l’entrée en vigueur du nouvel article 2313 du Code civil.

Cette dernière décide désormais :

« que, si la prescription biennale de l’article L. 218-2 du code de la consommation procède de la qualité de consommateur, son acquisition affecte le droit du créancier, de sorte qu’il s’agit d’une exception inhérente à la dette dont la caution, qui y a intérêt, peut se prévaloir » (Cass.Civ.1.,20 avril 2022).

Dès lors, la caution d’un emprunt bancaire peut donc bénéficier de la prescription biennale de l’article L. 218-2 du Code de la consommation quelle que soit la date de souscription de son engagement.

À titre d’exemple, la caution peut donc s’opposer à une demande en paiement formée contre elle si la banque n’a pas intenté une action en paiement contre les emprunteurs dans un délai deux ans.

B. Point de départ du delai de prescription.

Traditionnellement, ce délai commence à courir à partir du moment où le droit d’agir naît. Plus précisément, le point de départ diffère selon qu’il s’agisse de recouvrir des échéances impayées, ou le capital restant dû.

Autrement dit, à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance.

Pour les mensualités impayées, le point de départ de l’action en paiement se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives.

Pour le capital restant dû, l’action en paiement du capital se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité.

Partant, la Cour de cassation censure régulièrement les Cours d’appel qui n’effectuent pas la distinction entre la prescription applicable aux échéances impayées et la prescription applicable au capital restant dû (Cass. civ., 1re, 20 mai 2020 ; Cass. civ., 1re, 15 juin 2022).

La Cour de cassation revient donc sur une application pure et simple de l’article 2233 du Code civil.

En conclusion, si le créancier n’agit pas dans le délai de prescription imparti par les dispositions du Code de la consommation ou du Code civil, le débiteur sera, sauf dispositions contraires, libéré de son obligation de remboursement de la dette.

II. La forclusion en matière de crédit à la consommation.

Le concept de forclusion est spécifique au crédit à la consommation et se distingue de la prescription. La forclusion est un délai après lequel une action en justice n’est plus possible. Il met fin au droit du créancier et protège ainsi le débiteur.

Conformément à l’article R 312-35 du Code de la consommation, les actions en paiement engagées devant le tribunal judiciaire à l’occasion de la défaillance de l’emprunteur « doivent être formées dans les deux ans de l’événement qui leur a donné naissance à peine de forclusion ».

Cet événement est caractérisé par :

Quid du point de départ du délai de deux ans en cas de non-respect du plan de surendettement.

En cas de non-respect du plan de surendettement, l’article L218-2 du Code de la consommation doit trouver à s’appliquer à l’égard du créancier. Dans un arrêt en date du 6 février 2019, la Cour de cassation est venue rappeler qu’en présence d’un plan conventionnel de surendettement, le point de départ de l’action en recouvrement est constitué par le premier incident non régularisé intervenu après l’adoption du plan conventionnel

Quid du point de départ en cas de crédit revolving (crédit renouvelable).

Pour un crédit revolving que l’on appelle également, crédit renouvelable, le délai de forclusion de la dette s’applique dès le premier dépassement du montant total du crédit autorisé qui n’a pas été payé par le débiteur.

Ainsi comme le rappelle régulièrement la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 16 avril 2015, la Cour de cassation est venue préciser qu’en matière de crédit le point de départ du délai correspondait à la date du premier incident de paiement non régularisé.

Dans un arrêt en date du 19 mai 2021 la Cour de cassation a également rappelé que le paiement partiel intervenu après l’expiration du délai de prescription ne valait pas comme reconnaissance de dette interrompant la prescription. De fait si la banque n’a pas réagi dans le délai de deux ans, l’action en remboursement du crédit sera forclose.

Dans le cadre d’un découvert autorisé auprès d’un établissement bancaire, le point de départ du délai de forclusion, s’applique 3 mois après la constatation du dépassement.

En somme et contrairement aux idées reçues la lettre de mise en demeure n’interrompt pas les délais de prescription sauf si les parties ont contractuellement déroger à ce principe.
Cela a d’ailleurs été rappelé dans un arrêt important rendu par la Cour de cassation le 18 mai 2022 en ces termes :

« Une mise en demeure, fût-elle envoyée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, n’interrompt pas le délai de prescription de l’action en paiement des loyers » (Ch Com, 8 mai 2022, 20-23.204).

De même, s’agissant du délai de forclusion, seule une demande en justice ou un acte d’exécution forcée. Ainsi les délai de forclusion prévus en cas d’action en garantie des vices cachés, d’action fondée sur la garantie décennale, la garantie de bon fonctionnement et la garantie de parfait achèvement pourront être interrompus pas l’introduction d’une assignation en référé expertise.

Nicolas Richez, Avocat au barreau de Compiègne www.richezavocat.fr