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JONUM : la nouvelle règle du jeu pour le web3 ? Par William O’Rorke et Louisa Auscher, Avocats.
Parution : lundi 19 juin 2023
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Le projet de loi visant à sécuriser l’espace numérique prévoit la possibilité pour le Gouvernement d’introduire par ordonnance un nouveau régime (« JONUM ») [1] applicable aux jeux web3. En effet, ces jeux fonctionnant grâce à la blockchain et aux NFTs se trouvent actuellement dans un flou juridique résultant de l’application éventuelle de la réglementation des jeux d’argent et de hasard. Ce régime vise à créer les nouvelles règles du jeu pour concilier le développement de ce secteur innovant et la protection des utilisateurs.

Les jeux web3 soulèvent d’importantes questions réglementaires et d’intenses discussions - toujours en cours - qui pourraient aboutir sur l’introduction en droit français du régime des jeux à objet numérique monétisable (« JONUM »).

Les jeux web3 fonctionnent majoritairement sur un modèle de play-to-earn [2] et intègrent à la fois des caractéristiques propres aux jeux de loisirs (gaming) et aux jeux d’argent (gambling). Il s’agit principalement de jeux pour lesquels la participation est conditionnée à la possession d’objets numériques (ex : les NFT du jeu). Le gagnant est récompensé par de nouveaux objets de jeu, qui peuvent ensuite être revendus sur la plateforme de l’éditeur du jeu ou sur une marketplace tierce.

Si les risques qu’ils présentent sont en réalité mal connus, un consensus émerge pour réclamer une réglementation :

Finalement, c’est le risque d’application de la réglementation relative aux jeux d’argent et de hasard aux jeux web3 qui justifie l’éventuelle introduction de la réglementation JONUM.

Un cadre existant incertain et prohibitif.

Une réglementation ancienne fondée sur un principe de prohibition.

Les jeux web3 ont pour particularité, par rapport à un jeu vidéo, de conditionner l’accès au jeu à la détention d’un NFT [3] et de récompenser les joueurs avec ces mêmes NFTs ou des tokens, le plus souvent monétisables. C’est pour cette raison que l’Autorité nationale des jeux (ANJ) vise le secteur en s’appuyant sur la réglementation des jeux d’argent et de hasard (JAH).

Fondée sur des impératifs de protection de l’ordre public et social, cette réglementation vise un équilibre entre la limitation du volume d’offre de jeu et la constitution d’un circuit contrôlé d’offre légale. À ce titre, les jeux d’argent et de hasard définis comme « toutes opérations offertes au public (...) pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquelles un sacrifice financier est exigé de la part des participants » sont, par principe, interdits.

Pour lutter contre le développement du jeu illégal, la loi a progressivement organisé des exceptions (jeux de cercle, paris sportifs et paris hippiques) à ce principe de prohibition.

Elles sont cependant très encadrées, à l’image du monopole octroyé à la Française des Jeux pour les loteries et les paris sportifs en points de vente, ainsi qu’au PMU sur les courses hippiques. Cela n’interdit pas à ces acteurs de développer parallèlement des jeux web3 : Stables [4] et Ultimate numbers [5].

Les autres opérateurs de jeux (poker, paris sportifs en ligne, etc.) doivent être agréés par l’ANJ selon une procédure stricte [6] et mettre en œuvre de lourdes obligations : exigences techniques, certifications, prévention du jeu pathologique et protection des mineurs, lutte contre la fraude et contre le blanchiment de capitaux.

Un cadre inadapté aux nouvelles pratiques du web3.

Sacrifice financier, hasard et gain : telles sont les trois conditions cumulatives d’application de la réglementation relative aux JAH.

Au regard de ces critères, des doutes subsistent concernant deux d’entre eux :

Par ailleurs, les agréments ANJ, dont le niveau de complexité est conforme aux risques des jeux d’argent traditionnels, ne sont pas adaptés au fonctionnement des jeux web3 : absence de mise, fiscalité spéciale, complexité technologique, etc.

En conséquence, l’application de la réglementation actuelle aboutit à une interdiction de facto, disproportionnée face aux risques identifiés, au détriment des consommateurs et des éditeurs de jeu français, alors que notre pays est l’un des leaders mondiaux.

C’est dans ce contexte que le régime JONUM pourrait voir le jour.

Les contours de la réglementation JONUM.

Concilier innovation et protection.

Le Projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique présenté au Conseil des ministres le 10 mai 2023 propose au Gouvernement de « définir ou préciser, y compris en recourant à l’expérimentation, le régime, les objectifs et les modalités de l’encadrement, de la régulation et du contrôle des jeux comportant l’achat, l’usage ou le gain d’objets numériques monétisables, de manière à prévenir les risques d’atteinte à l’ordre public, protéger la santé et les mineurs » (art. 15). Ainsi, ce projet de loi vise à créer un régime spécifique aux « jeux à objets numériques monétisables » (JONUM) en introduisant une exception à la prohibition des jeux d’argent sous certaines conditions.

Le nouveau régime sera défini par voie d’ordonnance qui fixera les jeux autorisés, les modalités de régulation et de contrôle. Si les dispositions définitives du régime sont encore inconnues, il est possible d’identifier certaines lignes directrices.

Le champ d’application.

Sur le plan fonctionnel, le régime devrait s’appliquer aux jeux dont la principale caractéristique consiste en la distribution de récompenses exclusivement sous la forme d’objets de jeu numériques monétisables créés par l’entreprise. Ces objets ne devront pas être monétisés par l’entreprise, ni par une société agissant de concert avec elle. En l’état des discussions, la faculté que les objets puissent être monétisés par un tiers (ex : une plateforme d’échange, voire une marketplace fournie par l’opérateur) semble possible, conformément à la logique du web3 où l’utilisateur est propriétaire de ses objets numériques.

Sur le plan territorial, il s’appliquera aux opérateurs de jeux établis en France ou dirigeant leurs activités vers le territoire français. Les critères de rattachement précis ne sont pas encore déterminés, mais pourront s’appuyer sur le régime applicable aux jeux d’argent (simple accès par un utilisateur français) ou sur des critères plus souples inspirés du droit financier ou de la consommation (faisceau d’indices permettant de qualifier un targeting).

Ce champ d’application, actuellement en discussion, est susceptible d’être précisé ou modifié.

Un régime allégé.

Les JONUM seraient soumis à un nouveau cadre spécifique dont les premières grandes lignes paraissent être les suivantes.

S’agissant du régime, les entreprises commercialisant des JONUM auront une obligation de déclaration préalable auprès de l’ANJ afin d’être inscrit sur une liste blanche L’autorité disposerait alors d’un droit d’opposition à la commercialisation du jeu si elle estime que les conditions applicables ne sont pas respectées. Cette condition appelle deux remarques : d’une part, le tropisme vers l’ANJ qui est le premier régulateur à s’être officiellement intéressé à ce secteur et, d’autre part, la mise à l’écart d’un régime d’autorisation - plus contraignant - qui préside aux autres agréments ANJ. Il vise à ne pas faire peser sur ce secteur jeune et innovant, des contraintes réglementaires trop lourdes.

S’agissant des autres obligations, certaines devraient être communes à tous les JONUM, et d’autres seraient spécifiques en fonction du type de jeu. En l’état des réflexions, les obligations communes pourraient se regrouper autour de quatre piliers :

Des obligations spécifiques pourraient s’appliquer en plus aux jeux basés sur des compétitions sportives, tel que :

Le calendrier.

Le nouveau régime pourrait intervenir vers la fin de l’année 2024 ou le début 2025. Le projet de loi a été déposé au Sénat le 10 mai 2023. Il est actuellement en discussion au Sénat (première lecture) et des rapporteurs vont être désignés.

Après la phase parlementaire, la loi sera votée puis publiée. Puis, une ordonnance pourra être prise dans les 4 mois de cette publication et devra être ratifiée dans les 3 mois suivants.

Que faire pour un jeu web3 ?

Les opérateurs doivent impérativement se préparer à assurer leur conformité réglementaire. En attendant l’adoption du régime JONUM, ils peuvent agir sur deux plans :

Cependant, cette seconde solution est soumise à condition : le canal gratuit et le canal payant doivent être équivalents et offrir les mêmes chances de gain.

Cet article décrit un régime qui est en cours d’élaboration. Par conséquent, les éléments détaillés ci-dessus sont susceptibles d’évoluer.

William O'Rorke, Avocat associé Et Louisa Auscher, Avocat. Barreau de Paris ORWL Avocats www.orwl.fr

[1Jeux à objets numériques monétisables.