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Conséquences pour le modèle de la diffusion d’images érotiques après le terme du contrat. Par Béatrice Cohen, Avocat.
Parution : jeudi 1er juin 2023
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La circulation accrue des images de modèles, connus ou inconnus, et la diversité des supports permettant d’exploiter ces photographies, a conduit à l’encadrement de ces pratiques par des contrats. Sur ce point, il est établi que « le droit à l’image qui comporte des attributs d’ordre patrimonial peut valablement donner lieu à l’établissement de contrats, qui sont soumis au régime général des obligations ».

Si la conclusion de contrats a permis d’encadrer la pratique, qu’advient-il de l’exploitation des photographies à l’issue de l’expiration du contrat de cession de droit à l’image si les photographies sont toujours exploitées ou que le cessionnaire oublie de les retirer d’internet ? Cette question a donné lieu à ce jugement du Tribunal judiciaire de paris le 17 mai 2023.

Dans cette affaire, un photographe édite un site internet sur lequel il diffuse des photographies érotiques. Le 25 mai 2009, il a conclu un contrat de cession de droit à l’image avec une modèle spécialisée dans le domaine de l’érotisme. Ce contrat intitulé « Autorisation de diffusion » autorise le photographe à « faire un usage commercial de l’ensemble des photographies et vidéos », pour une durée de dix ans à compter de sa signature, c’est-à-dire jusqu’au 25 mai 2019. Le photographe s’engageait également à verser au modèle 10% des gains générés par la vente des photographies la représentant.

Les photographies et vidéos ont continué à être publiées sur le site du photographe à l’issue de l’expiration du contrat. Le 12 mai 2021, la modèle a fait constater par huissier que les photographies et les vidéos litigieuses étaient toujours présentes sur le site qui est accessible moyennant un abonnement mensuel de 15 euros. Sont notamment visibles sur le site litigieux trois albums photographiques et deux vidéos sur lesquels la demanderesse pose nue ou en sous-vêtement. Au total, 116 photographies et deux vidéos la représentant ont été publiées sur le site du photographe.

La demanderesse sollicitait donc le retrait de ces images ainsi que le versement d’une indemnité transactionnelle en raison de l’utilisation frauduleuse et commerciale de son image. Le photographe s’est exécuté en retirant les photographies et les vidéos du site mais a refusé de verser une indemnité transactionnelle au motif qu’aucune photographie ou vidéo n’avait été vendue. La modèle a donc été contrainte d’assigner, le photographe sur le fondement de la violation de son droit à l’image.

Se pose alors la question du fondement de l’action intentée à l’encontre du photographe.

La demanderesse devait-elle agir en responsabilité contractuelle contre le photographe ou agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle en raison de l’atteinte à son droit à l’image ? C’est à cette question qu’a dû répondre le tribunal.

1. L’absence de responsabilité contractuelle du photographe.

Agissant sur le fondement de l’atteinte à la vie privée protégée à l’article 9 du Code civil, la demanderesse avance que son action n’a pas pour origine le contrat conclu le 25 mai 2009 puisque la diffusion des images a persisté au-delà du terme prévu. Par conséquent, l’exploitation des images a eu lieu en dehors de tout contrat. Dès lors l’action engagée doit se fonder selon elle sur la responsabilité délictuelle du photographe.

Pour rappel, la responsabilité délictuelle est fondée sur l’article 1240 du Code civil qui dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

En défense et pour dire que l’action de la « mannequin » était mal fondée donc irrecevable, le photographe estime que les faits litigieux se rattachent à l’exécution du contrat et notamment « au prétendu manquement à l’obligation librement définie par les parties de ne pas poursuivre la diffusion des modèles en question ». L’action aurait donc dû être fondée selon lui sur sa responsabilité contractuelle et non délictuelle.

Ici, l’engagement de la responsabilité délictuelle du photographe serait donc justifié par l’atteinte causée au droit à l’image à la demanderesse. En effet, il est rappelé que l’article 9 du Code civil protège le droit que chacun a sur son image, attribut de sa personnalité.

Sur ce point, le Tribunal judiciaire de Paris dans ce jugement du 17 mai 2023 relève que « en raison du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et extracontractuelle, les dispositions de l’article 9 du Code civil peuvent être invoquées à la condition que la diffusion de l’image en cause ne se rattache pas à l’exécution d’un contrat ». En effet, en présence d’une cession de droit à l’image, la Cour de cassation a considéré que l’action en réparation de l’atteinte invoquée à un droit à l’image doit être réalisée sur le fondement contractuel et non délictuel.

Cependant, en l’espèce, le dommage dont la demanderesse demande réparation tient au maintien des photographies et des vidéos sur le site et n’est donc pas lié à une inexécution ou à une mauvaise exécution du contrat du 25 mai 2009. Ainsi, à partir du 25 mai 2019, il n’existait plus aucun lien contractuel entre les parties.

Dès lors, l’autorisation de diffusion des images avait expirée et aucune disposition du contrat ne prévoyait que les parties seraient tenues par des obligations au terme de celui-ci.

Le Tribunal judiciaire de Paris considère ainsi que

« déduire des stipulations du contrat, et de la circonstance que la diffusion litigieuse est la continuation d’une publication licite antérieure, l’existence d’une obligation contractuelle, générale et sans terme défini, de ne pas poursuivre la diffusion de l’image de la demanderesse irait ainsi à l’encontre de l’économie générale de l’autorisation accordée ».

Par conséquent, la diffusion de l’image de la demanderesse n’ayant pas de lien avec l’exécution du contrat du 25 mai 2009, c’est donc à raison que cette dernière s’est fondée sur l’article 9 du Code civil en faisant valoir la violation du droit qu’elle détient sur son image.

2. La responsabilité délictuelle du photographe engagée.

Le tribunal judiciaire rappelle qu’en vertu de l’article 9 du Code civil et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme toute personne

« dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation ».

Ainsi, pour caractériser une atteinte à son droit à l’image, il est nécessaire de rapporter la preuve de l’utilisation de son image sans autorisation. Ici, le constat d’huissier du 12 mai 2021 fait apparaître que plus d’une centaine de clichés et deux vidéos de la demanderesse, dans des poses érotiques, étaient diffusés sur le site à cette date, soit pendant plus de deux ans après l’expiration du contrat. L’atteinte au droit à l’image de la demanderesse est donc caractérisée.

Pour le Tribunal judiciaire de paris, cette dernière a donc subi une préjudice « résultant du fait d’avoir été dépossédée de son image pendant une durée de deux ans ».

S’agissant du préjudice moral, le tribunal rappelle que celui-ci est constitué par la seule constatation de l’utilisation de l’image de la demanderesse sans son autorisation et condamne à ce titre le photographe à lui verser 3 000 euros de dommages et intérêts.

La demanderesse sollicitait également 20 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice patrimonial. Sur ce point, les juges précisent que l’utilisation d’une image d’une personne sans son autorisation est susceptible de causer un préjudice patrimonial « lorsque l’intéressé aura, par son activité ou sa notoriété, conféré une valeur commerciale à son image ». Il apparaît en l’espèce que la demanderesse n’apporte aucun élément de nature à établir qu’elle aurait, entre mai 2019 et mai 2021, conféré une valeur patrimoniale à son image. Par conséquent, sa demande de dommages et intérêts à ce titre est rejetée.

Il est fortement recommandé aux personnes qui exploitent des photographies d’être particulièrement vigilantes quant à la date de terme du contrat de cession puisque une fois le contrat de cession de droit à l’image expiré, le modèle recouvre son droit à l’image et est donc en droit de faire cesser la diffusion des images et d’obtenir réparation des atteintes causées à son image.

Rappelons également qu’en cas de réitération des infractions, les sanctions sont plus lourdes.

Maître Béatrice Cohen Barreau de Paris www.bbcavocats.com