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Enjeux de l’article 3 de la CEDH face à une peine d’emprisonnement à vie incompressible. Par Rebecca Medioni, Avocat.
Parution : mardi 13 juin 2023
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L’article 3 CEDH prévoit : « Personne ne peut infliger à quiconque des blessures ou des tortures. Même en détention, la dignité humaine doit être respectée ».
Selon la pyramide des normes en droit français, dite « Pyramide de Kelsen », la Constitution et le bloc de constitutionnalité se situe au sommet.
Cela signifie que chacune des normes inférieures doivent être conformes à celle qui lui est supérieure.

Au-dessous de la Constitution se trouvent directement les traités internationaux puis le bloc de légalité et au pied de cette pyramide se trouve le bloc règlementaire composé des décrets et des arrêtés.

Ce qui signifie en pratique que les traités internationaux, tels que la Convention Européenne des droits de l’Homme, doivent être conformes à la Constitution française et ce quand bien même l’article 55 lui octroie une autorité supérieure à celle des lois françaises.

Mais alors, en pratique, comment allier les droits édictés par la CEDH et les décisions prises par les juridictions internes ?

Qu’est-ce que la perpétuité incompressible en France ?

C’est une peine de réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sureté illimitée empêchant tout aménagement de peine.

Cette peine est la plus lourde prévue par le Code pénal.

Toutefois, et dans tous les cas, au bout de 30 ans, le condamné pourra éventuellement demander au tribunal de réduire la période de sûreté sous certaines conditions, et après avis d’une commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation chargée de déterminer s’il y a lieu de mettre fin à l’application de la décision de la Cour d’assises.

Le tribunal se prononcera également sur cette demande qu’après l’expertise d’un collège de trois experts médicaux qui évaluent l’état de dangerosité du condamné.

Cette peine peut-elle être prononcée pour n’importe quels crimes/délits ?

Non, cette peine ne peut être prononcée uniquement dans le cadre d’un délit et que dans les cas suivants :

Cette peine est-elle conforme à la Constitution et aux traités internationaux ?

En 1994, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme cette peine à la Constitution et à par la suite confirmé sa position dans différentes décisions.

En 2010, les avocats de Pierre Bodein ont saisi le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 3 de la CEDH en soulevant l’argument qu’il s’agirait d’une peine inhumaine et dégradante.

La Cour de cassation a, à nouveau confirmé sa position et a, à nouveau, affirmé la conformité de cette peine avec l’article 3 de la CEDH.

Le 13 novembre 2014, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a confirmé cette décision jugeant suffisante la possibilité de réexamen de la peine après 30 ans de réclusion pour considérer que ce n’était pas une peine inhumaine.

Ainsi, il faut comprendre que dès lors qu’il existe une perspective, même infime, pour les condamnés de sortir de prison, cette peine ne peut être considéré comme étant contraire à la dignité humaine.

Qu’en est-il de l’arrêt Horion c/Belgique rendu par la CEDH le 9 mai 2023 ?

Cette affaire concerne un requérant, détenu depuis 1979 et condamné à une peine de réclusion à perpétuité en 1981 pour un quintuple meurtre aux fins de vol.

Dans son arrêt la cour relève, à l’unanimité, qu’il y a une violation de l’article 3 CEDH au motif notamment que depuis janvier 2018 les experts psychiatriques et les juridictions internes s’accordent pour estimer que la prolongation du séjour du requérant en prison n’est plus indiquée, tant au regard de la sureté publique qu’aux fins de sa resocialisation et sa réintégration dans la société.

Les juridictions internes préconisent son admission dans une unité de psychiatrie légale comme étape intermédiaire avant une éventuelle mise en liberté toutefois pour des raisons de financement son admission dans une unité de psychiatrie semble être compromis car ces unités ne sont subventionnées par l’État que pour accueillir des personnes ayant le statut d’interné et non pas de condamné.

C’est donc dans ces circonstances précises que la cour a considéré que l’impasse dans laquelle se trouve le requérant depuis plusieurs années a pour conséquence qu’il n’a pas actuellement de perspective réaliste d’élargissement ce qui est donc prohibé par l’article 3 de la Convention.

La cour a donc par cet arrêt rappelé à ses États membres qu’ils doivent offrir aux détenus une possibilité « réaliste » de s’amender.

Quelle incidence pour un état membre d’une condamnation ?

Les arrêts de la Cour Européenne ne permettent ni d’annuler, ni de modifier automatiquement les décisions prises par les juridictions françaises.

Dans ses décisions, la CEDH déclare s’il y a une violation des droits protégés par la Déclaration sans pouvoir par elle-même y mettre fin. Ses arrêts n’ont qu’un intérêt déclaratoire et ne possèdent pas la force exécutoire.

Néanmoins, les États se sont engagés à se conformer aux arrêts de la cour ; il existe donc des voies de recours internes pour opérer un réexamen de la décision.

Rebecca Medioni, Avocat au barreau de Paris
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