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La liberté de manifestation en droit guinéen. Par Abdoul Bah, Juriste.
Parution : lundi 17 avril 2023
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Bien que son exercice soit interdit par les autorités de la transition, la liberté de manifester est un droit fondamental soumis à un régime déclaratif. L’autorité compétente dispose toutefois d’un pouvoir de restriction de l’exercice de ce droit afin de prévenir des troubles à l’ordre public, pouvoir qui doit s’exercer sous le contrôle de l’Etat.

Le présent article tentera ainsi de présenter l’état de la règlementation applicable à la liberté de manifester à l’aune de la Constitution de 2010, aujourd’hui dissoute par la junte militaire au pouvoir.

Comme d’autres d’ailleurs, la liberté de manifester est une liberté fondamentale constitutionnellement consacrée, un ordre de classement censé montrer l’importance qu’elle occupe dans un Etat de droit.

Par définition, le droit ou la liberté de manifester est le droit fondamental reconnu à un groupe de personnes de se rassembler sur la voie publique afin d’exprimer publiquement et collectivement une opinion, une volonté, des convictions ou revendications [1].

La loi, garante de la jouissance de la liberté de manifester, seul le législateur est habilité à aménager son exercice dans des proportions indispensables pour le maintien de l’ordre public et de la démocratie [2].

Autrement dit, le pouvoir d’ingérence accordé au seul législateur se fonde à la fois sur un idéal de sécurité juridique et de démocratie : c’est l’individu qui consent à la limitation de sa propre liberté de manifester, pouvoir dont le législateur est mandataire.

L’exercice du droit de manifester : l’obligation de déclaration préalable.

La liberté de manifester étant la règle et la limitation l’exception, le choix du législateur a été de subordonner son exercice à un régime déclaratif et non d’autorisation.

Ainsi, toutes manifestations sur les lieux et voies publics, sauf celles conformes aux usages locaux (cérémonies religieuse, sportive et traditionnelle …), doivent faire l’objet d’une déclaration préalable [3].

La déclaration doit être écrite et adressée au maire dans laquelle aura lieu la manifestation, 3 jours francs au moins et 15 au plus avant la date prévue [4]. Cette déclaration doit contenir : la date, l’heure, le but, le lieu, la durée, l’itinéraire le cas échéant ; les prénoms, nom, nationalité, domicile des organisateurs et signature de 3 membres organisateurs au moins, domiciliés dans la région concernée [5].

Après réception de la déclaration, le maire délivre immédiatement un récépissé au déclarant [6]. L’absence de réponse ne fait toutefois pas obstacle à l’exercice du droit de manifester.

Quid d’une manifestation non déclarée mais tout de même pacifique ?

Il convient de faire remarquer que la loi ne fait pas de distinction selon qu’il s’agisse d’une manifestation à caractère pacifique ou non pacifique, relativement au régime déclaratif.

Néanmoins, la sanction pour attroupement ne vise que des manifestations sur la voie publique susceptibles de troubler l’ordre public [7].

Dès lors, une manifestation pacifique non déclarée ne semble pas tomber à priori sous le coup de sanctions, l’autorité devant dans ce cas faire preuve de tolérance. Toute violence dans ce cas de la part des forces de l’ordre est susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat.

L’exercice du droit de manifester : cas de restriction possible.

En cas de risque réel de troubles à l’ordre public, le maire, responsable de l’ordre public sur son territoire, peut y notamment interdire une manifestation [8]. Sa décision doit être suffisamment motivée et notifiée aux signataires de la déclaration dans un délai de 48h [9].

Le maire peut aussi, en cas de réponse favorable, modifier le déroulement de la manifestation (itinéraire, lieu, moment…) en présence de motifs suffisants.

Il ne peut prendre une mesure d’interdiction qu’en dernier ressort, c’est-à-dire seulement en l’absence d’aucune alternative moins attentatoire à la liberté de manifester et pouvant prévenir de troubles à l’ordre public : c’est le principe de la proportionnalité d’une mesure de police.

L’interdiction étant la mesure la plus rigoureuse ne peut ainsi être valablement prononcée que si l’autorité n’a aucun autre moyen.

Dans le cas où la restriction peut valablement intervenir, celle-ci ne peut être une mesure d’interdiction générale et absolue, la liberté de manifester étant la règle et la restriction l’exception (la mesure d’interdiction doit être limitée dans le temps et dans l’espace).

Il convient de noter par ailleurs que le « maintien de l’ordre » à l’occasion d’une manifestation incombe aussi au comité d’organisation dont les membres peuvent engager leur responsabilité pour des infractions commises en marge de la manifestation [10].

Imputer cette responsabilité au comité d’organisation pourrait toutefois interroger dans le sens où il s’agit d’une mission éminemment régalienne. Mais participe du bon sens aussi l’idée que des manifestants ne doivent pas en soi incarner une menace sérieuse de troubles à l’ordre public, et que toute la responsabilité n’incombe pas qu’à la puissance publique.

La tutelle administrative sur les actes de l’autorité communale.

Il est des actes de l’autorité locale qui sont soumis au contrôle de légalité assuré par le représentant de l’Etat dans la circonscription territoriale concernée [11].

Le maire saisi ainsi d’une déclaration de manifester doit en informer par ex. le préfet dans un délai de 24h à compter de la réception de celle-ci [12]. En cas de décision d’interdiction du maire, le préfet peut confirmer celle-ci ou s’y opposer, la manifestation pouvant dans ce dernier cas avoir lieu [13].

Il convient de relever par ailleurs que l’autorité de tutelle des communes n’est pas la même selon que l’on est à l’intérieur du pays ou à la capitale, Conakry.

Communes de l’intérieur.

D’une part on a les communes urbaines (CU) dont l’autorité de tutelle est le préfet, et d’autre par les communes rurales (CRD) dont l’autorité de tutelle est le sous-préfet.

Seuls les maires et présidents de CRD disposent en principe du pouvoir d’interdiction de manifestations en principe. Une commune peut toutefois sur demande en déléguer au préfet pour son compte [14].

Il en résulte ainsi que le ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation n’a pas compétence pour exercer une tutelle en matière de police administrative sur actes des communes de l’intérieur.

Communes de Conakry.

Etant au nombre de 5, les communes de Conakry disposent d’une seule circonscription territoriale représentative de l’Etat : le gouvernorat de la ville de Conakry [15].

En outre, c’est le ministre qui est compétent pour exercer la tutelle sur les actes pris par ces communes [16]. Il peut ainsi par arrêté suffisamment motivé confirmer, suspendre ou annuler une décision communale d’interdiction de manifester [17].

Quant au gouverneur, il exerce sur les communes une « tutelle rapprochée », un pouvoir de suspension de leurs actes qu’il estime non fondés ; auquel cas il doit en informer immédiatement le ministre [18].

Il en ressort ainsi que le pouvoir d’interdiction de manifester appartient en principe aux maires concernés, le cas échéant au ministre.

En définitive, l’exercice de la tutelle sur les actes des autorités locales n’implique pas une subordination hiérarchique, le principe de la libre administration de ces dernières étant garanti par la Constitution [19].

Et l’autorité locale n’est pas sans armes si elle estime que le contrôle de ses actes n’est pas conforme à la légalité : elle peut saisir le juge d’un recours pour excès de pouvoir [20].

Abdoul Bah Juriste

[1Article 10 de la Constitution.

[2Article 24 de la Constitution.

[3Article 621 du Code pénal.

[4Article 622 al.1 du Code pénal

[5Article 622 al.3 du Code pénal.

[6Article 622 al.2 du Code pénal.

[7Article 627 et suivant du Code pénal.

[8Sur le fondement d’une lecture combinée des articles 29, 280, 281, 282 et 283 du Code des collectivités locales.

[9Article 623 du Code pénal.

[10Article 625 du Code pénal.

[11Articles 68 et suivants du Code des collectivités locales.

[12Article 622 al.2 du Code pénal.

[13Article 623 al.3 du Code pénal.

[14Articles 282 et 283 du Code des collectivités locales.

[15Article 12 de l’ordonnance 002/PRG/SGG/89 du 5/01/1989 portant statut particulier de la ville de Conakry.

[16Article 30 de l’ordonnance n°003/PRG/89 portant organisation des communes de la ville de Conakry.

[17Articles 30 et 32 de l’ordonnance n°003.

[18Articles 12 et 24 de l’ordonnance n°002 et l’article 34 de l’ord. n°003.

[19Articles 136 de la Constitution et 68 du Code des collectivités locales.

[20Article 69 du Code des collectivités locales.