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Conciliation et conciliateur de justice : faut-il « réarmer » la justice de paix ? Par Christophe Mollard-Courtau, Juriste.
Parution : lundi 19 décembre 2022
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« Réarmer » la conciliation, l’une des voies de règlement amiable des différends, un non sens, une « folie » ou un retour à l’une des spécificités de l’histoire de nos institutions judiciaires françaises.
L’amiable, l’état de droit et la Justice entretiennent des relations apaisées mais aussi conflictuelles qui interpellent notamment en pleine crise de notre système judiciaire.

L’amiable, c’est la tentative de résolution d’un litige en dehors du juge et pour les droits dont tout citoyen à la libre disposition, reposant sur la croyance « qu’accord vaut mieux que plaid » ou « qu’un mauvais accord vaut mieux qu’un bon procès ».

L’État de droit, c’est le corpus de règles générales et obligatoires qui régissent les relations sociales consacré par l’article 1er de la déclaration des droits humains et du Citoyen du 26 août 1789 intégrée à notre bloc constitutionnel de 1958 et qui dispose : « les humains naissent et demeurent libres et égaux en droit ».

Enfin, la justice, ce sont les juridictions qui sanctionnent la violation de la loi au cours d’une procédure contradictoire mais c’est aussi la perception ou le sentiment qu’une situation conflictuelle est équitable ou non, juste ou injuste à l’image de Caliméro qui se plaint souvent que « c’est inzuste, vraiment trop inzuste » [1].

Alors face à la contestation de l’autorité et de l’état de droit mais aussi au besoin accru de « Justice et de Droit » des citoyens, à la multiplication et professionnalisation des modes amiables dont la médiation, faut-il « réarmer » la conciliation de justice en réaffirmant sa spécificité de notre système judiciaire, son rattachement à l’état de droit et à l’une des missions du juge ?

1. La conciliation de justice, une spécificité ancienne du système judiciaire français.

La conciliation de justice, « la mal-aimée des juges » [2], est née au cours de la Révolution Française en 1790 par la création de la Justice de paix (bureaux de paix élus) devenus juges de paix nommés sous le Consulat, chargés de tenter de concilier les litiges du quotidien. Ces juridictions de paix ont été supprimées en 1958, remplacées par les tribunaux d’instance, juridictions à juge professionnel unique. Elle est donc bien antérieure à la médiation consacrée par le législateur en 1995.

Mais tout juge judiciaire professionnel ou non conserve son pouvoir de tenter de concilier les parties [3] exercé avec son statut et autorité de magistrat, dans un lieu régalien, le tribunal, à côté de celui de juger (juridictio). Face à l’inflation du contentieux et faute de temps et moyens suffisants, les juges ont délégué ce pouvoir à des tiers (conciliateurs de justice et médiateurs) et pour certains litiges du quotidien, cette tentative de règlement amiable est devenue en 2016 [4], un préalable obligatoire avant toute saisine d’une juridiction.

S’agissant du statut des conciliateurs de justice, ou « l’absence de véritable statut » selon un rapport du Sénat [5], il reste inchangé pour l’essentiel depuis 1978 [6] soit plus de 40 ans, fondé sur le « bénévolat et la bonne volonté » alors que ses attributions ont augmenté, les exigences sociétales évoluées, le rapport à l’état de droit détérioré mais paradoxalement, le besoin d’un accès au juge et au droit accru.

Ce statut actuel peut-il répondre à ces injonctions contradictoires, le conciliateur ne disposant d’aucun pouvoir afin de mener sa mission de négociation (absence de pouvoir de convocation, de rappel à la loi, d’enquête sans l’accord express des parties, d’injonction de faire ou d’homologation d’un accord) ?

Telles sont les limites de sa mission dont pourtant, l’utilité sociale est reconnue mais qui se rapproche plus de la médiation « chose des parties » sous le regard neutre d’un tiers (Voir l’article Conciliation et médiation en matière de litiges du quotidien : kit de survie à l’usage des justiciables) que de la conciliation judiciaire, attribution d’un juge et exercée par ce dernier avec son statut et autorité de magistrat. Il existe donc une certaine confusion et concurrence entre conciliation et médiation conduisant à un manque de lisibilité pour les justiciables.

2. Une offre pléthorique de conciliation/médiation à l’accès gratuit.

Depuis une vingtaine d’années, une offre de « justice amiable » à l’accès gratuit, s’est développée à côté de la conciliation de justice qui a perdu son monopole de mode amiable gratuit, laissant les justiciables un peu désemparés, le critère essentiel de choix fondé sur le coût (gratuit ou payant) du mode amiable ayant disparu. Quant à la distinction entre la conciliation et la médiation, le législateur a maintenu la confusion en consacrant une définition unique de ces deux modes amiables à l’article 1530 du Code de procédure civile [7] ;
- Pour les litiges relevant du droit privé : notamment, la médiation de la consommation (litiges consommateurs/entreprises) ; les commissions départementales de conciliation (baux d’habitation) ; la médiation mise en place par certains bailleurs sociaux (troubles de voisinage) ; les correspondants locaux de médiation dans certaines villes (incivilités et troubles divers) ; les référents « cohésion des territoires et médiation » réservistes de la police nationale intégrés dans les commissariats (troubles de voisinage, infractions contraventionnelles) ; le conciliateur de justice (litiges du quotidien) ;
- Pour les litiges de droit public : notamment, le défenseur des droits et ses délégués départementaux (litiges administrés/administrations) ; les conciliateurs ou médiateurs propres à une administration (les conciliateurs fiscaux, les médiateurs de santé, les médiateurs des organismes sociaux, Pôle Emploi/CAF/CPAM/CNAV...).

Les justiciables se retrouvent donc face à une offre amiable riche, à l’accès gratuit mais dans laquelle la conciliation de justice a perdu toute sa spécificité, devenant un mode amiable parmi d’autres.

3. Redonner son identité à la conciliation de justice et une autorité au conciliateur.

Comment y parvenir ? En les réintégrant dans les juridictions sous un statut modernisé dans le cadre de formations de « l’amiable » instituées dans chaque tribunal judiciaire ou conférence de règlement amiable (C.R.A qui existent au Canada), co animées par des magistrats professionnels et conciliateurs de justice devenus juges de paix à compétences juridictionnelles limitées impliquant :
- le transfert des conciliations conventionnelles vers les dispositifs gratuits de médiation/conciliation existants, la conciliation de justice faisant « double emploi » pour certains litiges ;
- orienter et proposer une conciliation ou médiation judiciaire pour les litiges civils dont une tentative préalable de règlement amiable n’est pas obligatoire au sein des nouvelles formations de « l’amiable » dans les juridictions ;
- doter le conciliateur de justice d’un statut protecteur et crédible de juge de paix non professionnel à compétences juridictionnelles limitées : pouvoir d’orienter le litige vers le mode amiable le plus adapté ; pouvoir de convocation et d’injonction de faire ; pouvoir d’explication du cadre légal et contractuel du litige préalablement à toute négociation et pouvoir de négociation et d’homologation de l’accord mettant fin au différend.

Cette réforme ambitieuse permettrait de valoriser la conciliation de justice, attribution du juge puis déléguée au conciliateur sans pouvoir ni autorité tout en réaffirmant sa spécificité par rapport aux autres modes amiables, en renforçant le lien nécessaire entre le service public de la Justice et les citoyens.

Christophe Mollard-Courtau, juriste MARDs Diplômé d'études supérieures en droit de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Conciliateur de Justice près le Tribunal d'Instance de Versailles.

[2La conciliation, la mal-aimée des juges par Jacques Poumarède in les Cahiers de la Justice, 2013/1, p.125.

[3Article 21 du Code de procédure civile : « Il entre dans la mission du juge de concilier les parties ».

[4Article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle modifié par l’article 3 II de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022.

[5Rapport n° 33 (2017-2018) de MM. Jacques Bigot et François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois, déposé le 18 octobre 2017 suite à la proposition de loi relative au redressement de la justice du 18 juillet 2017, p. 42.

[6Décret n°78-381 du 20 mars 1978 relatif aux conciliateurs de justice.

[7Article 1530 du Code de procédure civile : « La médiation et la conciliation conventionnelles régies par le présent titre s’entendent, en application des articles 21 et 21-2 de la loi du 8 février 1995 susmentionnée, de tout processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence ».