Village de la Justice www.village-justice.com

Motif du licenciement économique : les critères légaux ne sont pas limitatifs. Par Xavier Berjot, Avocat.
Parution : mercredi 12 octobre 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/motif-licenciement-economique-les-criteres-legaux-sont-pas-limitatifs,43904.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Depuis la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 (dite loi « Travail »), l’article L1233-3 du Code du travail énumère plusieurs critères permettant de caractériser des difficultés économiques. Selon la Cour de cassation [1], ces critères ne sont pas limitatifs.

1. La définition du motif économique.

Selon l’article L1233-3 du Code du travail, constitue un licenciement pour motif économique celui effectué par l’employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Le texte précise qu’une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus.

Pour rappel, outre les difficultés économiques, l’article L1233-3 du Code du travail vise trois autres motifs de licenciement :
- Les mutations technologiques ;
- La réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
- La cessation d’activité de l’entreprise.

L’introduction dans le Code du travail de critères d’appréciation des difficultés économiques devait permettre à l’employeur de justifier, notamment par la production de documents comptables, d’éléments objectifs à l’appui du licenciement.

Comme les débats parlementaires l’avaient relevé : « en cas de litige sur la légitimité de la rupture, les juges devraient contrôler la réalité des difficultés subies par l’entreprise en s’appuyant sur ces éléments objectifs ».

De cette manière, le législateur souhaitait éviter les difficultés d’interprétation ou, en cas de litige, offrir des indicateurs au juge.

Dans un arrêt du 1er juin 2022 [2], la Cour de cassation a fixé une règle à suivre pour effectuer la comparaison des résultats économiques de l’entreprise par rapport à la même période de l’année précédente.

Pour la Cour de cassation :

« la durée d’une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires s’apprécie en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d’affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l’année précédente à la même période ».

Cependant, aucune réponse n’avait été apportée à la question de savoir si les critères de l’article L1233-3 du Code du travail étaient ou non limitatifs.

2. Les précisions de l’arrêt du 21 septembre 2022.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation considère que

« si la réalité de l’indicateur économique relatif à la baisse du chiffre d’affaires ou des commandes au cours de la période de référence précédant le licenciement n’est pas établie, il appartient au juge, au vu de l’ensemble des éléments versés au dossier, de rechercher si les difficultés économiques sont caractérisées par l’évolution significative d’au moins un des autres indicateurs économiques énumérés par ce texte, tel que des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, ou tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés ».

Dans cette affaire, une entreprise dont l’effectif était compris entre 50 et 300 salariés avait procédé à un licenciement économique, en se fondant sur les motifs suivants :
- Une baisse significative des commandes et du chiffre d’affaires ;
- Des pertes structurelles importantes sur les 4 dernières années, avec un endettement s’élevant à 7,5 millions d’euros à fin décembre 2016 ;
- Des capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social.

Pour la Cour d’appel, la Société ne rapportait pas la preuve de la baisse des commandes et/ou du chiffre d’affaires sur 3 trimestres consécutifs, incluant celui au cours duquel la rupture du contrat de travail avait été notifiée.

L’arrêt est censuré par la Cour de cassation, reprochant à la Cour d’appel de s’être cantonnée au débat relatif à la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, sans avoir pris en considération les autres critères invoqués par l’employeur.

Pour la Cour de cassation, les juges du fond auraient dû vérifier si l’employeur ne justifiait pas de difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un des autres indicateurs économiques énumérés au 1° de l’article L1233-3 du Code du travail, soit par tout autre élément de nature à les justifier.

Plus particulièrement, en l’absence de baisse du chiffre d’affaires et/ou des commandes, les juges auraient dû examiner les autres critères légaux avancés par l’employeur à l’appui du licenciement.

Xavier Berjot Avocat Associé Sancy Avocats [->xberjot@sancy-avocats.com] [->https://bit.ly/sancy-avocats] Twitter : https://twitter.com/XBerjot Facebook : https://www.facebook.com/SancyAvocats LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

[1Cass. soc. 21-9-2022 n° 20-18.511.

[2Cass. soc. 1-6-2022, n° 20-19957.