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Journaliste : licenciement pour motif économique sans cause pour absence de recherche loyale de reclassement. Par Frédéric Chhum, Avocat et Annaelle Zerbib, Juriste.
Parution : vendredi 27 mai 2022
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Dans un arrêt du 11 mai 2022 (n° RG 20/00702), la Cour d’appel de Versailles juge le licenciement d’un salarié sans cause réelle et sérieuse au motif que la société ne justifiait pas des démarches qu’elle avait pu réaliser pour satisfaire à son obligation de reclassement, le poste proposé étant d’une catégorie inférieure à celui qu’il occupait, le salarié était en droit de le refuser.

Il n’était pas démontré qu’aucun poste n’était disponible dans la société, et que partant, la société ne démontre pas avoir procédé à une recherche loyale et sérieuse de reclassement.

Le journaliste salarié d’une agence de presse obtient un rappel d’indemnité de licenciement en application de l’article L. 7112-3 du code du travail et un rappel d’heures supplémentaires.

Faits et procédure.

Monsieur S a été engagé par la société Visual Press Agency par contrat à durée indéterminée oral à compter du 20 octobre 2003.

En dernier lieu, il occupait l’emploi d’éditeur photo, journaliste, statut cadre, coefficient 140 et percevait une rémunération mensuelle moyenne brute de 4 184,64 euros.

Le 6 juillet 2017, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de sauvegarde à l’égard de la société Visual Press Agency et désigné Maître M aux fonctions de mandataire judiciaire.

Le 7 décembre 2017, la société Visual Press Agency a proposé à Monsieur S de le reclasser sur un poste de chargé de production au sein de la société Starface, proposition que ce dernier a refusée.

Par jugement du 12 janvier 2018, le Tribunal de commerce de Nanterre a converti la procédure de sauvegarde en liquidation judiciaire avec autorisation de poursuite d’activité jusqu’au 28 février 2018 et a désigné Maître M en qualité de liquidateur judiciaire.

Le 1er février 2018, le tribunal de commerce a mis fin à la poursuite d’activité de la société.
Le même jour, Maître M a adressé à Monsieur S une convocation à un entretien préalable à un licenciement pour motif économique fixé au 12 février 2018.

Il lui a notifié son licenciement pour motif économique par courrier du 15 février 2018.

Monsieur S a adhéré au congé de sécurisation professionnelle.

Monsieur S a saisi le Conseil de prud’hommes de Nanterre par requête reçue au greffe le 8 octobre 2018 afin de contester son licenciement et obtenir diverses sommes.

Par jugement du 7 janvier 2020, le Conseil de prud’hommes de Nanterre a débouté Monsieur S de toutes ses demandes et condamné Monsieur S aux entiers dépens.

Monsieur a interjeté appel de ce jugement.

Le 11 mai 2022, la Cour d’appel de Versailles, par arrêt contradictoire :
- Infirme partiellement le jugement du Conseil de prud’hommes de Nanterre du 7 janvier 2020 et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :
- Fixe la créance de Monsieur S au passif de la liquidation judiciaire de la société Visual Press Agency comme suit :
- 40 000 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 34 486,01 euros au titre de rappel d’indemnité de licenciement ;
- 13 969,11 euros au titre des heures supplémentaires ;
- 1 396,91 euros au titre des congés payés afférents ;
- Conforme pour le surplus les dispositions non contraires du jugement entrepris, y ajoutant,
- Ordonne à Me M, liquidateur judiciaire de la société Visual Press Agency de communiquer à Monsieur S un bulletin de salaire récapitulatif conforme au présent arrêt ;
- Déboute Monsieur S de sa demande d’astreinte ;
- Constate que le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 6 juillet 2017, qui a prononcé l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de la société Visual Press Agency a arrêté le cours des intérêts légaux ;
- Déclare le présent arrêt opposable à l’AGS CGEA d’Ile de France Ouest dans les limites de sa garantie légale, laquelle ne comprend pas l’indemnité de procédure, et dit que cet organisme ne devra faire l’avance de la somme représentant les créances garanties que sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à son paiement ;
- Déboute Monsieur S de sa demande au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- Met les dépens à la charge de la société Visual Press Agency représentée par Me M, son liquidateur judiciaire.

Au total, Monsieur M. obtient la somme de 89 852,03 euros.

1) Sur les heures supplémentaires : la Cour d’appel de Versailles estime que le journaliste a réalisé des heures supplémentaires dont il n’a pas été payé peu important qu’il n’ait fait aucune réclamation à ce titre durant l’exécution de son contrat de travail.

Selon l’article L3121-22 du Code du travail, constituent des heures supplémentaires toutes les heures de travail effectuées au-delà de la durée hebdomadaire du travail fixée par l’article L3121-10 du Code du travail ou de la durée considérée comme équivalente.

Cette durée du travail hebdomadaire s’entend des heures de travail effectif et des temps assimilés.
Elles donnent lieu à une majoration de salaire de 25% pour chacune des huit premières heures supplémentaires.

Les heures suivantes donnent lieu à une majoration de 50%.

Selon l’article L3171-4 du Code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

A l’appui de sa demande en paiement de 1 681 heures supplémentaires qu’il aurait effectuées entre le 5 octobre 2015 et le 5 mars 2018, Monsieur S produit :
- Un décompte de ses heures travaillées semaine par semaine sur la période avec mention de ses horaires quotidiens prenant en compte ses pauses et ses congés ;
- Des attestations de journalistes ayant travaillé avec lui, celle du 19 septembre 2018 de Madame W, celle du 29 septembre 2018 de Monsieur I, celle du 1er octobre 2018 de Madame C qui indiquent qu’il ne comptait pas ses heures, qu’il était très disponible y compris à des heures tardives pour répondre à ses collègues sur des difficultés professionnelles, qu’il raccourcissait ses pauses déjeuner au besoin, travaillait souvent les week-ends, que lors du festival de Cannes, il commençait tôt le matin et finissait tard le soir parfois dans la nuit ;
- Une attestation du 10 septembre 2018 de son épouse, Madame S qui confirme le grand investissement professionnel de son mari et sa présence au festival de Cannes l’amenant à accomplir un nombre d’heures de travail important.

Si Monsieur S inclut à tort dans le décompte de ses heures supplémentaires des heures d’astreinte qui ne sont pas des heures de travail effective, il n’en demeure pas moins qu’il présente des éléments suffisamment précis quant à des heures supplémentaires non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies, même en nombre moindre que celui qu’il invoque, afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement.

Le liquidateur judiciaire de la société comme l’AGS se contentent de critiquer les éléments produits pour déterminer l’amplitude horaire du salarié ou les jours travaillés mais ne versent aux débats aucune pièce de nature à justifier les heures effectivement réalisées par celui-ci.

Il est dès lors établi que Monsieur S a réalisé des heures supplémentaires dont il n’a pas été rémunéré peu important qu’il n’ait fait aucune réclamation à ce titre durant l’exécution de son contrat de travail.

Au vu des pièces produites, il lui est dû à ce titre la somme de 13 969,11 euros outre celle de 1 396, 91 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé et lesdites sommes fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société Visual Press Agency.

2) Sur le travail dissimulé : le journaliste est débouté.

La Cour d’appel de Versailles affirme que n’est pas établi que la société Visual Press Agency a, de manière intentionnelle, omis de mentionner sur les bulletins de salaire les heures réellement effectuées par le salarié.

Ce dernier sera en conséquence débouté de sa demande en paiement d’une indemnité pour travail dissimulé sur le fondement de l’article L8223-1 du code du travail et le jugement confirmé de ce chef.

3) Sur le licenciement pour motif économique du journaliste : la recherche loyale et sérieuse de reclassement du journaliste n’est pas démontrée, le licenciement est donc dénué de cause réelle et sérieuse.

La Cour d’appel rappelle que Monsieur S affirme que Me M n’a pas procédé à une recherche loyale et sérieuse de reclassement.
Me M et l’AGS soutiennent que le premier a respecté son obligation de reclassement, que la société Visual Press Agency a été liquidée sans poursuite d’activité et n’appartient pas à un groupe au sens de la jurisprudence, qu’il a cherché vainement et alors que la loi ne l’y obligeait pas un reclassement externe.

L’article L1233-4 du Code du travail dispose que le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L233-1, aux I et II de l’article L233-3 et à l’article L233-16 du Code de commerce.

Le reclassement du salarié s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente.

A défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure.
L’employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l’ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

Il appartient à l’employeur de justifier qu’il a satisfait à son obligation de reclassement.

Par courrier du 1er février 2018, Me M, liquidateur judiciaire de la société Visual Press Agency a informé Monsieur S qu’il envisageait son licenciement pour motif économique compte tenu de la liquidation judiciaire de la société et de sa cessation totale d’activité.

Par courrier du 15 février 2018, il lui a notifié son licenciement pour motif économique en l’absence de possibilité de reclassement eu égard à la cessation totale et définitive de l’activité en lui précisant qu’aucune offre d’emploi d’une société extérieure du même secteur n’avait pu être recueillie.

S’il est acquis que la société a cessé toute activité à compter du 1er février 2018, les pièces produites montrent que le licenciement économique de Monsieur S avait été envisagé dès le 7 décembre 2017 par la société Visual Press Agency bénéficiant alors d’une procédure de sauvegarde.

Ce jour, elle lui a ainsi adressé le courrier suivant :

« dans le cadre du projet de licenciement pour motif économique actuellement en cours, nous avons le regret de vous informer que nous sommes conduits à envisager la suppression de votre poste.
Afin d’éviter votre licenciement, et après avoir recensé toutes les possibilités existantes au sein de notre entreprise et des entreprises du groupe auquel elle appartient, nous avons recherché les postes de reclassement susceptibles de vous être proposés.
Nous sommes ainsi en mesure de vous proposer le poste de charge de production, à pourvoir dès que possible, au sein de la société Starface à Montrouge.
Les caractéristiques de ce poste sont les suivantes :
- Lieu de travail : au siège de la société, actuellement 22 rue Molière-92120 Montrouge ;
- Contrat à durée indéterminée avec reprise de votre ancienneté ;
- Classification conventionnelle : employé/Groupe 5/Agence de Presse ;
- Fonction : chargé de production ;
- Missions : suivi des reportages, mise en forme des reportages, mise en avant de certaines productions photographiques ;
- Durée du travail : temps complet 35 heures par semaine, soit 151,67 heures par mois ;
- Rémunération : salaire de base 21 450 euros brut par mois.
Vous voudrez bien faire connaître votre position avant le 15 décembre 2017.
Passé ce délai, nous considérerons que vous avez refusé notre proposition de reclassement.
N’ayant pas d’autres postes à vous proposer nous seront contraints d’engager une procédure de licenciement pour motif économique (…)
 ».

Les recherches de reclassement devant s’effectuer à compter du moment où le licenciement est envisagé, la bonne ou mauvaise exécution de l’obligation de reclassement par la société Visual Press Agency doit s’apprécier dès l’envoi de ce courrier à Monsieur S le 7 décembre 2017.

Or, à cette date, la société qui n’était pas en cessation d’activité mais sous sauvegarde de justice avant d’être placée le 12 janvier 2018 en liquidation judiciaire avec poursuite de son activité, ne justifie pas des démarches qu’elle a pu réaliser pour satisfaire à cette obligation.

Le poste qu’elle a proposé à Monsieur S étant d’une catégorie inférieure à celui qu’il occupait, le salarié était en droit de le refuser.
Il n’est pas démontré qu’aucun poste n’était alors disponible au sein de l’entreprise et partant qu’il était impossible de reclasser
Monsieur S en son sein.

Par ailleurs, si Me M conteste que la société appartienne à un groupe au sens des dispositions précitées et que la charge de la preuve du périmètre de l’obligation de reclassement est partagée entre l’employeur et le salarié, le juge formant sa conviction au vu de l’ensemble des éléments qui lui sont fournis par les parties, il ressort de la lettre même de la société Visual Press Agency précitée que celle-ci appartenait à un groupe de sociétés et que c’est dans ce cadre qu’elle a proposé à Monsieur S un poste au sein de la société Starface.

Or, là encore, Me M ne produit aucune pièce justifiant qu’aucun poste conforme aux compétences de Monsieur S n’était disponible dans cette société.

En conséquence, il ne démontre pas avoir procédé à une recherche loyale et sérieuse de reclassement du salarié.

Pour ce motif, le licenciement de ce-dernier est dénué de cause réelle et sérieuse et Monsieur S peut prétendre aux indemnités de rupture.

4) Sur le rappel de l’indemnité conventionnelle de licenciement des journalistes en application de l’article L7112-3 du code du travail, nonobstant qu’il travaillait pour une agence de presse.

Il réclame une somme de 34 486,01 euros à titre de rappel d’indemnité conventionnelle de licenciement sur le fondement de l’article L7112-3 du Code du travail relatif au journaliste professionnel et en vertu duquel si l’employeur est à l’initiative de la rupture, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements.

Le maximum des mensualités est fixé à quinze, l’article L7111-3 du même code définissant le journaliste professionnel comme toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.

Contrairement à ce que soutient tant Me M que l’AGS, l’article L7112-3 susvisé est applicable à tous les journalistes professionnels au service d’une entreprise de presse quelle qu’elle soit, le fait que l’entreprise concernée soit une agence de presse et non une entreprise de journaux et périodiques n’y faisant pas obstacle.

Il est dès lors sans importance en l’espèce que la société Visual Press Agency soit une agence de presse.
Etant établi par ailleurs que Monsieur S était journaliste professionnel en ce qu’il n’est pas discuté qu’il avait pour activité principale et régulière son activité d’éditeur photo au sein de la société Visual Press Agency et qu’il en tirait le principal de ses ressources, il est bien fondé à prétendre à une indemnité de licenciement conventionnelle sur le fondement des dispositions précitées d’un montant de 60 091,43 euros au vu de son ancienneté et de son salaire.

Ayant déjà perçu à ce titre de la société une somme de 25 605,42 euros, il lui reste donc dû une somme de 34 486,01 euros.

Monsieur S avait au moment de la rupture de son contrat de travail 14 années complètes d’ancienneté et la société comptait moins de onze salariés.

En application de l’article L1235-3 du Code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, il peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d’un montant compris entre 3 mois de salaire brut minimum et 12 mois de salaire brut maximum.

Monsieur S soulève l’inapplicabilité de ce plafond prévu par l’article L1235-3 du Code du travail en raison de son inconventionnalité au regard des dispositions des articles 4 et 10 de la Convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail (dite OIT) et de l’article 24 de la Charte sociale européenne du 3 mai 1996, ratifiés par la France, qui garantissent aux salariés licenciés sans motif valable de recevoir une indemnité adéquate.

L’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie.

Il appartient au juge du fond de vérifier la compatibilité des dispositions internes avec les normes supra-nationales que la France s’est engagée à respecter, au besoin en écartant la norme nationale en cas d’incompatibilité.

L’article 24 de la Charte sociale européenne consacré au droit à la protection en cas de licenciement dispose :

« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître :
a. le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ;
b. le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial.
 »

Les dispositions de l’article 24 de ladite Charte sociale européenne révisée le 3 mai 1996 ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Il s’ensuit que ce texte et les décisions du comité européen des droits sociaux ne peuvent être utilement invoqués par l’intimée pour voir écarter les dispositions de l’article L1235-3 du code du travail.

L’article 10 de la Convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail (dite OIT) dispose que :

« Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

Cet article est d’application directe en droit interne.

Néanmoins, la mise en place d’un barème n’est pas contraire à ce texte dès lors que le juge français conserve une marge d’appréciation pour fixer le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse réparant le préjudice subi par le salarié, dans le cadre des montants minimaux et maximaux édictés sur la base de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise.

Il n’y a pas lieu dès lors d’écarter l’article L1235-3 du Code du travail.

En raison de l’âge du salarié au moment de son licenciement, de son ancienneté au sein de la société, du montant de la rémunération qui lui était versée, de son aptitude à retrouver un emploi et au vu des justificatifs produits sur sa situation professionnelle postérieure au licenciement, la Cour fixe le préjudice matériel et moral qu’il a subis du fait de la perte injustifiée de son emploi à la somme de 40 000 euros.
Le jugement sera infirmé et ces sommes fixées au passif de la procédure de liquidation judiciaire de la société Visual Press Agency.

5) Sur l’indemnité pour licenciement irrégulier.

Le juge d’appel énonce que si Monsieur S sollicite dans le dispositif de ses conclusions paiement d’une indemnité pour licenciement irrégulier de 4 184,64 euros, il ne donne aucune explication quant à cette demande dans les motifs de ses écritures.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a débouté de cette demande.

6) Sur la remise des documents sociaux.

Au vu des sommes allouées à Monsieur S, Me M ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Visual Press Agency sera condamnée à lui remettre un bulletin de paie récapitulatif rectifié conformément au présent arrêt sans qu’il ne soit nécessaire d’assortir cette condamnation d’une astreinte.

7) Sur les intérêts.

Il est constaté que le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 6 juillet 2017 qui a ouvert une procédure collective à l’encontre de la société Visual Press Agency a arrêté le cours des intérêts légaux.

8) Sur la garantie de l’AGS.

L’UNEDIC, délégation AGS CGEA Ile de France Ouest devra sa garantie dans les limites légalement fixées.

9) Sur les dépens et sur l’indemnité de procédure

La société Visual Press Agency qui succombe dans la présente instance, doit supporter les dépens de première instance et d’appel.

Elle sera déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du Code de procédure civile.

Il est équitable de laisser à chaque partie les frais irrépétibles qu’elle a engagés.

Monsieur S sera en conséquence débouté de sa demande à ce titre.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum