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[Point de vue] Loi 3DS et développement éolien : donne-t-on enfin la parole aux maires ? Par Théodore Catry, Avocat.
Parution : mercredi 23 février 2022
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La loi 3DS accouche d’une nouvelle disposition qui permet d’intégrer dans les plans locaux d’urbanisme des zones où l’accueil de futures centrales serait exclu. Quelles sont désormais les marges de manœuvre ? Que faut-il espérer ou craindre de telles modifications des règlementations locales ?

Non sans débats et après maintes tentatives visant à offrir aux maires la possibilité de se prononcer sur l’ouverture du territoire de leur commune au développement de l’industrie éolienne, la loi 3DS est venue offrir un régime de compromis par l’introduction d’un nouvel article L. 151-42-1 du code de l’urbanisme rédigé comme suit :
« Le règlement peut délimiter les secteurs dans lesquels l’implantation d’installations de production d’électricité à partir de l’énergie mécanique du vent est soumise à conditions, dès lors qu’elles sont incompatibles avec le voisinage habité ou avec l’usage des terrains situés à proximité ou qu’elles portent atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à la qualité architecturale, urbaine et paysagère, à la mise en valeur du patrimoine et à l’insertion des installations dans le milieu environnant. »

Qu’on se le dise : ce n’est pas le droit de véto que beaucoup de maires espéraient. Néanmoins, ce texte n’est pas non plus « inutile pour la transition énergétique mais aussi pour les élus locaux » comme certains commentateurs le déplorent déjà (il est en tout cas plus utile aux élus que l’éolien l’est pour la transition énergétique).

I. Contexte : l’encadrement d’une pratique préexistante.

Tâchons de bien situer cette mesure pour savoir ce qu’il faut en conclure pour l’avenir. Antérieurement à ce nouvel article du code de l’urbanisme, les maires avaient déjà la possibilité — indirecte mais réelle — de réglementer le développement des sites éoliens sur le territoire de leur commune. Ainsi pouvait-on lire dans le guide « Éoliennes et urbanisme » édité à l’attention des élus en 2019 :
« la définition des secteurs d’implantations des éoliennes au sein des zonages réglementaires du PLU. Le PLU devant, dans tous les cas, justifier des éventuelles interdictions qui pourraient grever certaines zones et montrer la proportionnalité des éventuelles règles encadrant les implantations acceptées. Une interdiction générale et absolue couvrant l’intégralité du territoire étant par nature difficile à justifier, elle est à proscrire. »

L’arsenal classique du droit de l’urbanisme pouvait donc déjà être mobilisé pour justifier que des règlements de PLU interdisent, en totalité ou dans certains secteurs, l’installation d’éoliennes : par l’insertion d’impératifs de préservation des paysages dans les définitions de zonages sensibles, par le recours confortatif aux outils spécifiques (entités à préserver ou mettre en valeur au titre de l’article L. 151-19 du code de l’urbanisme par exemple), ou encore par le renforcement de la justification des choix retenus dans la liasse des documents du PLU.

Ceci étant, même en évitant le piège de l’interdiction générale et absolue, la mise en œuvre de règles restrictives ouvrait la porte aux recours, à tel point qu’aujourd’hui un maire qui fait le choix de poser de telles limites dans son PLU a une chance sur deux de se le voir contester devant le juge administratif.

Les recours ne terminent toutefois pas nécessairement en annulation de plans locaux d’urbanisme (Voir par exemple TA Montpellier, 15 octobre 2009, n°0705095, où une interdiction posée en zone A a été jugée légale car cette zone « recouvre des terrains à forte valeur agricole, concernés pour partie par une appellation d’origine contrôlée, et qui sont situés dans un site sensible près de l’abbaye de Fontcaude, qui présente un fort intérêt paysager et historique »).

Le nouvel article L. 151-42-1 vient exprimer le cadre de cette pratique pour lui donner un statut légal. Il ne protègera donc ni les promoteurs des velléités locales, ni les élus locaux de la vindicte des promoteurs.

Faut-il le déplorer ? Pas nécessairement, d’autant que le pragmatisme doit nous conduire à considérer la réalité de la situation telle qu’elle est aujourd’hui en matière de déploiement éolien. Sans doute parce que le cheminement procédural de l’instruction d’un dossier se passe du consentement des acteurs qui sont pourtant les plus concernés, à savoir les communes et leurs habitants puisque ce sont eux qui subiront au quotidien les effets des projets éoliens une fois installés, ceux-ci n’ont plus guère le choix que de forcer leur implication dans le processus décisionnel par l’exercice d’une sorte de « démocratie judiciaire » où il s’agit de saisir le juge, à défaut de trouver une autre entité décisionnaire, pour avoir la possibilité de faire entendre leur voix. Partant, on ne peut s’étonner, et encore moins s’offusquer, de ce que les autorisations environnementales données sur des centrales éoliennes fassent l’objet d’un taux de recours aussi élevé qu’actuellement (environ 70 à 80 % des décisions). Les promoteurs eux-mêmes semblent avoir pris acte de cette règle du jeu et n’hésitent plus à porter de façon de plus en plus systématique les refus préfectoraux devant les juridictions administratives pour en demander l’annulation (tout en continuant à regretter que les opposants fassent de même lorsque leur projet est autorisé).

Le nouveau cadre de la régulation de l’éolien par le truchement des plans locaux d’urbanisme ne pose donc pas de sécurité judiciaire et ne peut de toute façon pas le faire dans un tel contexte où les recours deviennent une étape « normale » (ou en tout cas attendue) en matière éolienne.

II. Méthodologie : sécuriser une mise en œuvre expérimentale.

S’il est délicat d’appréhender de façon prospective le sort qui sera réservé aux PLU qui font usage de l’outil de régulation offert par le nouvel article L. 151-42-1 du code de l’urbanisme, on peut toutefois anticiper certaines problématiques à l’aune des incertitudes de rédaction du texte et de la jurisprudence existant dans des sujets connexes.

D’abord, l’article vise comme justification possible à la limitation de l’implantation d’éoliennes le fait qu’elle soit « incompatible avec le voisinage habité ou avec l’usage des terrains situés à proximité ». Cette notion d’incompatibilité ouvre théoriquement un champ relativement élargi : il ne s’agit pas de prévenir un risque d’atteinte excessive mais d’éviter une coexistence incommode. On pensera, par exemple, au cas classique d’un secteur où l’installation d’une centrale éolienne créerait des visibilités ou covisibilités inévitables avec un site naturel remarquable ou un bien de valeur patrimoniale classé/inscrit aux monuments historiques. Mais ce rapport d’incompatibilité pourrait aller plus loin : il serait théoriquement possible d’imaginer de considérer le cas où une activité privée s’exercerait difficilement dans les mêmes conditions après implantation d’une exploitation éolienne. Ainsi, un lieu d’accueil touristique, une zone naturelle vierge de toute anthropisation, un site d’expression artistique ou culturelle, ou encore une activité économique, pourraient justifier l’impossibilité de voir s’implanter des aérogénérateurs dans leur voisinage en fonction de caractéristiques qui leur sont propres et qui rendent cette idée inconcevable.

Le défi est toujours le même : cette incompatibilité doit être prouvée. Cela rendra nécessairement la tâche plus complexe dans l’hypothèse où il serait envisagé d’éloigner les zones d’implantation d’éoliennes au motif que la distance légale de 500 mètres des habitations devrait être augmentée, ou encore que des élevages risqueraient d’être perturbés par le fonctionnement des exploitations. Le juge attendra nécessairement que l’incompatibilité soit prouvée, et donc que les justifications de l’éloignement s’appuient sur des considérations scientifiques.

Ensuite, l’article L. 151-42-1 vise le cas beaucoup plus classique des risques d’« atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à la qualité architecturale, urbaine et paysagère, à la mise en valeur du patrimoine et à l’insertion des installations dans le milieu environnant ». On retrouve ici la logique qui sous-tend la jurisprudence relative à l’appréciation des impacts paysagers, que l’on rencontre habituellement dans les contentieux portant sur l’article L. 511-1 du code de l’environnement (prévention des atteintes par les ICPE aux dangers et inconvénients pour divers intérêts dont la protection des paysages et « la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ») et l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme (ou les articles de PLU qui s’en inspirent, à savoir l’atteinte « au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales »).

Dans un cas comme dans l’autre, la méthodologie du juge administratif est commune et doit être connue dès l’élaboration des règles d’urbanisme pour anticiper les litiges qui en découleront. De jurisprudence constante, pour apprécier si un projet risque de porter de telles atteintes, il appartient à l’autorité administrative d’apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée et d’évaluer, dans un second temps, l’impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur ce site (CE, 13 juillet 2012, Association Engoulevent, n° 345970).

On mettra donc en avant, comme le juge le recherche régulièrement en matière éolienne :
- La forte typicité du paysage en jeu (CAA Bordeaux, 18 février 2020) ;
- L’existence de points de vue depuis lesquels la perception de sites d’intérêt seraient altérés (CAA Bordeaux, 10 mars 2020) ;
- L’intensité des visibilités ou covisibilités (CAA Nantes, 28 février 2020) ;
- Le risque de mitage des éléments d’anthropisation (CAA Marseille, 24 janvier 2020) ;
- La qualité d’un environnement rural préservé ou pittoresque (CAA Lyon, 4 mars 2021) ;
- Les risques d’encerclement ou de saturation compte tenu de la présence d’un motif éolien préexistant dans le secteur considéré ; etc.

Le tout sera, pour les auteurs du PLU, de se ménager la justification la plus précise possible, ne serait-ce que pour éviter de voir la pertinence de leurs choix dépendre de l’analyse du juge administratif et des politiques jurisprudentielles applicables d’une juridiction à l’autre — la notion paysagère relève en effet d’un contrôle souverain et relativement variable en fonction du juge saisi.

En définitive, on regrettera que la faculté de réglementation nouvellement offert par la loi 3DS risque d’alimenter une sorte de guerre de territoire dans la mesure où les communes qui feront le choix de sécuriser leurs documents d’urbanisme rapatrieront les prospections des promoteurs vers celles qui ne le feront pas. S’il faut rester pragmatique, on notera cette logique de conflit territorial est malheureusement déjà amorcée par le déploiement des cartographies préfectorales des zones favorables à l’éolien demandé par une circulaire ministérielle du 27 mai 2021.

En revanche, si le nouvel article L. 151-42-1 du code de l’urbanisme présente un intérêt limité quant à son efficacité et incertain quant à son devenir après contrôle juridictionnel, il n’en demeure pas moins qu’il a nécessairement vocation à compléter les quelques rares outils dont bénéficient les maires qui, soucieux des intérêts de leur commune, ne souhaitent pas voir l’éolien s’imposer de façon déraisonnée sur leur territoire.

Ce, d’autant que le texte autorise le recours à la procédure de modification simplifiée des articles L. 153-45 à 48 du code de l’urbanisme, ce qui favorise une réaction rapide en fonction de l’urgence que commandent certaines situations.

Théodore Catry Avocat en Droit de l\'Environnement et de l\'Urbanisme