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De la réglementation de la fonction « d’influenceur » en Afrique. Par Désiré Allechi, Juriste.
Parution : mardi 1er février 2022
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Le rôle d’influenceur est un rôle qui fait assez de dégâts en Afrique notamment au niveau de la jeunesse.
Dans cet article, nous proposons la réglementation ou disons l’encadrement juridique de cette fonction.

L’Afrique est minée par des vagues de guerres depuis des décennies et ces guerres ne semblent pas sur le point de s’arrêter pour des raisons que nous n’exposerons pas ici dans la mesure où cet article n’est pas relatif à la politique en Afrique. Toutefois, les conséquences de ces guerres sur les plans de l’économie mais surtout de l’éducation nous intéressent fortement. Naturellement, ce n’est pas un abus de dire que les instabilités politiques en Afrique ont un impact très négatif sur l’éducation des citoyens peu importe le pays. Toutefois, hormis ces guerres, il y a une « fonction » qui a pris de l’ampleur ces dernières années en Afrique et qui est à l’origine des égarements de la jeunesse africaine : c’est la fonction « d’influenceur ».

L’expression, influenceur vient du verbe influencer qui signifie exercer un ascendant sur. On se demande bien évidemment quel pourrait être l’impact de cette « fonction » au point réfléchir sur la possibilité de sa réglementation. Mais bien avant, il faut savoir que les influenceurs sont des personnes physiques disposant d’une très forte audience ou d’une grande notoriété sur les réseaux sociaux qui leur servent de moyens de communication. L’on constate d’ores et déjà que les moyens modernes de communication constituent les principaux moyens d’intervention de ces derniers.

A la base, les influenceurs sont des personnes dont les services sont loués en vertu de contrats par des entreprises et ce à des fins de marketing. En clair, du fait de leur notoriété, les entreprises recourent à leurs services pour qu’ils présentent leurs produits. La simple présence de ces personnes dans une publicité ou disons une simple publication de ces derniers relativement à un produit a un effet non négligeable. En effet, un commentaire dépréciatif ou appréciatif de leur part peut selon le contexte entrainer soit un fort taux d’achats soit une chute spectaculaire des produits d’une entreprise.

En clair leur avis influence fortement la clientèle qui plus est l’élément fondamental d’un fonds de commerce. C’est cette fonction pleine de sens et assez importante qui est détournée de sa finalité en Afrique. Dans le cadre du présent article, nous analyserons le rôle d’influenceur comme un puissant moyen qui devrait être au service de l’éducation de la jeunesse, en clair un éveilleur de conscience s’agissant du contexte africain.

L’analyse de ce sujet sera faite à deux niveaux à savoir l’impact des influenceurs sur la jeunesse africaine tel que nous le constatons actuellement (I), après quoi nous tenterons de voir les incidents juridiques que l’action d’un influenceur peut avoir (II).

L’impact des influenceurs sur la jeunesse.

Edward Bond à travers Libération - A quoi pensez vous ? Pouvait affirmer que : « dans le passé la technologie a été un bienfait pour l’homme, maintenant elle devient un danger. Même en tant de paix elle commence à détruire la terre ». Cette pensée met en exergue les cotés néfastes de la technologie que nous voulons exploiter dans le cadre de cet article.

La technologie en soi n’est pas une mauvaise trouvaille mais sa mauvaise utilisation entraine naturellement des conséquences importantes. Dans une Afrique en proie au chaos et à la misère où la meilleure façon d’apprendre est de recourir aux services des écoles privées, est née cette fonction d’influenceur qui comme nous le signifions plus haut est détournée de son but. L’influence en Afrique qui devait permettre d’éveiller les consciences est en réalité un moyen pour abrutir la jeunesse. Cette fonction étant ouverte à tout le monde pourvu qu’on ait juste un smartphone et une connexion Internet, donne la possibilité aux individus ayant une forte communauté sur les réseaux sociaux de publier tout et n’importe quoi sans être inquiétés. Des personnes qui pour la plupart ont du mal à s’exprimer dans la langue courante du pays sont suivies par les jeunes alors que les publications faites par ces personnes encouragent la médiocrité et à la débauche.

Ce qui est d’ailleurs dramatique c’est que ces personnes sont adoubées par les dirigeants [1]. Ces personnes qui en général ont connu du succès pour leurs prouesses ou leur excellence dans les actes immoraux se retrouvent aujourd’hui aux premières loges. Les réseaux sociaux qui devaient contribuer à éduquer la jeunesse deviennent aujourd’hui le moyen principal pour conduire cette jeunesse fragile à la facilité et la faire demeurer dans l’inculture.

Ces influenceurs contribuent à la destruction de la jeunesse en contrepartie des sous qu’ils brassent. L’Afrique ne peut pas se passer des médias et des outils de communication dans ce monde moderne, c’est d’ailleurs quasi impossible. Toutefois, il faudrait prendre conscience des effets négatifs que pourraient engendrer ces outils pour les futures générations. Il est donc plus que nécessaire que l’exercice de cette fonction soit réglementé pour éviter la perdition de la jeunesse africaine. S’agissant des aspects non juridiques, il est nécessaire qu’il y ait des conditions de probité morale pour prétendre à l’exercice de cette fonction informelle et assez juteuse.

En tout état de cause, nous nous posons toutefois la question de savoir ce que pourrait faire le droit pour essayer de contenir cette fonction afin de sauver cette jeunesse africaine exposée aux dangers occasionnés par ces influenceurs.

Le rôle du droit du numérique dans la protection de la jeunesse africaine.

Le droit joue un rôle très important dans la protection des libertés individuelles de façon générale et spécifiquement dans la protection des mineurs. En droit ivoirien, le mineur pourrait être défini en substance comme tout individu de l’un ou de l’autre sexe n’ayant pas 18 ans révolus [2].

L’âge de 18 ans pourrait donc être qualifié comme la majorité numérique. C’est donc à cet âge qu’un individu est majeur et donc qu’il peut utiliser seul les réseaux sociaux en Côte-d’Ivoire. Le RGPD quant à lui définit la majorité numérique à l’âge de 16 ans s’agissant du traitement des données à caractère personnel [3], relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE [4]. En tout état de cause, le droit ivoirien prévoit l’âge de 18 ans comme âge de majorité numérique.

C’est à cet âge que l’on peut s’inscrire seul et sans le contrôle des parents sur les réseaux sociaux. Mais malheureusement, ce sont les mineurs que l’on rencontre le plus sur la toile. Ces derniers s’inscrivent avec un âge inventé pour avoir accès aux services numériques et parfois avec des pseudos ou surnoms pour empêcher les titulaires de l’autorité parentale de prendre connaissance de leur présence sur les réseaux. La quasi impossibilité de vérifier la véracité des informations communiquées par ces mineurs ou la difficulté pour les parents de contrôler leur présence sur la toile rend difficile la protection de ces derniers dans le numérique.

Pour ce faire, il est plus que nécessaire de contrôler l’activité des influenceurs sur la toile. Les Institutions créées pour lutter contre la cybercriminalité sur les réseaux telles que la Plateforme de Lutte Contre la Cybercriminalité doivent porter une attention particulière aux contenus partagés par ces influenceurs pour qu’ils soient inquiétés en cas de dérive. Une véritable veille doit être menée en relation avec les détenteurs des réseaux sociaux comme Facebook, Twitter pour protéger les individus vulnérables contre les actions illicites et immorales de ces influenceurs.

Le droit n’étant pas ignorant de ce phénomène, il faut que soient fixées des conditions pour l’exercice de fonction. C’est une fonction de fait reconnue partout dans le domaine du numérique. Par conséquent, pour éviter ou contenir les dérives, le droit doit y jeter un coup d’œil pour empêcher que des personnes qui n’ont pas une bonne probité s’y mettent.

Le problème à ce niveau c’est que nos Etats africains ont décidé de s’attaquer aux influenceurs qui dénoncent la mauvaise gouvernance des dirigeants plutôt que ceux qui contribuent à abrutir et hypothéquer l’avenir de la jeunesse. Nos dirigeants doivent donc prendre conscience de l’intérêt de la règlementation de cette fonction et ce non pas dans le but de contenir la liberté d’expression des personnes qui dénoncent les tares de la société mais dans l’intention de sauver la jeunesse.

En conclusion il convient de noter que le rôle des influenceurs est très important dans les démocraties modernes car ces derniers sont en principe des éveilleurs de conscience qui comme les médias participent à l’information du peuple. Ils devraient donc jouer un rôle de contrepouvoir et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ceux-ci (les dirigeants) sont très souvent inquiétés.

Toutefois, cette fonction est très souvent utilisée pour servir les intérêts immoraux de personnes qui exposent leur vie privée de débauche pour attirer la jeunesse dans leurs œuvres. Cela peut paraitre insignifiant mais leur donner libre champ pour agir contribuerait à conduire la jeunesse à la prostitution, au broutage (vol via les systèmes d’information) ce qui n’est pas reluisant pour l’avenir de la jeunesse.

Désiré Allechi, Juriste Spécialiste du Droit des TIC

[1Georges Rim, « Mais où sont les influenceuses de la Can 2021 ? », consulté en ligne le 29/01/2022 sur https://www.google.com/amp/s/actucameroun.com/2022/0113/mais-ou-sont-les-inluenceuses-de-la-can-2021/amp/

[2Article 1 de la loi ivoirienne n°2013-451 relative à la lutte contre la cybercriminalité.

[3Art. 8 du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016.

[4Règlement général sur la protection des données entré en vigueur le 25 Mai 2018.