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Le droit de la concurrence à l’épreuve des plateformes numériques. Par Jean-Yves André, Juriste.
Parution : lundi 6 décembre 2021
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Les plateformes en ligne jouent un rôle essentiel dans nos vies quotidiennes. Elles sont devenues incontournables aussi bien pour les internautes que pour les entreprises. À l’heure actuelle, les autorités de la concurrence sont très actives vis-à-vis des stratégies des géants du numérique. Le droit de la concurrence est suffisamment souple pour traiter leurs spécificités.

Il dispose d’une vaste boite à outils comme les remèdes comportementaux, les procédures d’engagement, ou encore les mesures conservatoires.

Pour autant, les outils traditionnels du droit de la concurrence ne permettent pas de détecter et réprimer efficacement les pratiques anticoncurrentielles des plateformes digitales. Les autorités s’interrogent sur la performance des critères d’examen des opérations de concentration actuellement définis en fonction du seul chiffre d’affaires.

Dans ce contexte, la rénovation du droit de la concurrence est indispensable pour prendre en compte les nouvelles formes de domination des plateformes numériques.

Une adaptation de ses concepts est nécessaire, en particulier les concepts de « position dominante » et « d’infrastructure essentielle ». Les autorités de contrôle doivent s’adapter et renforcer leurs moyens dont elles disposent.

Cependant, les adaptations du droit de la concurrence ne sont pas suffisantes pour réguler efficacement les GAFAM. C’est pourquoi, ces adaptations doivent être complétées par une régulation spécifique des plateformes « structurantes ». À cet égard, la Commission a proposé de nouveaux outils de régulation (Digital Services Act et Digital Markets Act), en complément des règles de concurrence.

Au cours des dernières années, les plateformes numériques ont connu un développement exponentiel faisant d’elles les « nouveaux empires industriels de notre époque ». L’économie numérique est marquée par le développement sans précédent de ces acteurs. Les plateformes numériques sont aujourd’hui incontournables aussi bien pour les internautes que pour les entreprises.

Elles offrent aux internautes ainsi qu’aux professionnels des possibilités immenses en termes de recherche, d’achat et de vente. Les plateformes recouvrent un large éventail d’activités telles que les plateformes publicitaires en ligne, les places de marché en ligne, les moteurs de recherche, les médias sociaux et boutiques de contenu créatif, les plateformes de distribution d’applications, les services de communication ou encore, les systèmes de paiement et les plateformes d’économie collaborative.

Depuis les deux dernières décennies, les plateformes en ligne jouent un rôle essentiel dans nos vies quotidiennes et sont devenues encore plus importantes à la lumière de l’épidémie de Covid-19 . Le 20 mars 2020, le réseau européen des autorités nationales responsables de la protection des consommateurs a publié une communication dans laquelle il met en évidence l’importante prolifération de techniques de commercialisation trompeuses sur les plateformes en ligne pour exploiter les craintes des consommateurs afin de vendre des produits en affirmant à tort qu’ils peuvent prévenir ou guérir une infection par covid-19 .

Par ailleurs, le recours au commerce électronique s’est fortement accentué avec la crise sanitaire. Au cours du deuxième trimestre de 2020, 41 millions d’internautes ont acheté en ligne . Amazon a vu ses ventes augmenter de 40 % au deuxième trimestre de l’année 2020 et Cdiscount a connu la même croissance en quelques mois.

La notion de « plateforme » peine à être définie juridiquement. Les plateformes numériques ont un caractère protéiforme. Elles recouvrent des réalités différentes et présentent des caractéristiques très variables en termes de taille et de chiffre d’affaires et se développent sur des marchés divers .

Toutefois, le législateur français a réussi à offrir une définition juridique des plateformes numériques.
En vertu de l’article L. 111-7 du Code de la consommation adopté par la Loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, les plateformes en ligne sont désignées comme « toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication en ligne reposant sur le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers, ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service ».

De manière générale, une plateforme numérique désigne un ensemble varié de services en ligne et d’acteurs offrant des services d’intermédiation, comme des places de marché (Ebay – Amazon), des plateformes communautaires (BlaBlacar) ou encore des magasins d’applications (Google Play). La Commission européenne retient quant à elle une interprétation très large de cette notion. Les moteurs de recherche, les médias sociaux, les plateformes de commerce électronique, les boutiques d’applications, les comparateurs de prix sont tous à considérer comme des plateformes selon la Commission.

Les plateformes numériques présentent des caractéristiques communes. Elles façonnent et remettent en cause les marchés traditionnels en opérant sur des marchés bifaces ou multi-faces. En outre, elles « bénéficient d’un effet de réseau en vertu duquel la satisfaction ou l’utilité d’un bien ou service augmente en fonction du nombre d’utilisateurs » de ce bien ou service. Par ailleurs, les plateformes numériques « font souvent appel aux technologies de l’information et des communications pour atteindre instantanément et facilement leurs utilisateurs ».

Comme tous les acteurs présents sur le marché, les plateformes sont soumises aux règles de concurrence nationales et européennes en vigueur. Le droit interne et européen de la concurrence s’applique donc à toutes les plateformes numériques. Le droit de la concurrence désigne un corps de règles permettant de réprimer tous les acteurs qui entravent la libre concurrence, notamment en constituant des pratiques anticoncurrentielles. L’objectif du droit de la concurrence est d’ordonner une compétition économique fondée sur une concurrence libre, loyale et non faussée entre les acteurs au sein du marché. Dans l’Union européenne, c’est la Commission qui se charge de contrôler et réprimer les entraves à la libre concurrence entre entreprises.

La question de la régulation des plateformes numériques constitue un enjeu de taille pour les autorités de la concurrence. Les pratiques anticoncurrentielles des plateformes sont en partie appréhendées par les règles de concurrence existantes.

Bien que le droit de la concurrence repose sur des principes stables depuis des décennies, ses instruments peuvent s’appliquer efficacement aux modèles économiques des plateformes en ligne. Une partie de la doctrine considère que le droit de la concurrence est suffisamment souple pour traiter leurs spécificités. La Commission européenne ainsi que les autorités nationales de la concurrence s’appuient sur un corpus réglementaire souple et appliquent avec détermination les règles de concurrence aux plateformes.

Au cours des dernières années, les autorités de la concurrence se sont montrées très actives vis-à-vis des stratégies des géants du numérique. Il n’en demeure pas moins que sur le plan concurrentiel, il existe une difficulté qui tient à la nécessité de distinguer les plateformes numériques selon « l’importance qu’elles peuvent représenter sur le marché ». En fonction de leur type et de leur puissance sur le marché, certaines plateformes ont une grande autorité sur l’accès aux marchés en ligne et peuvent exercer une influence significative sur le mode de rémunération des acteurs du marché. Ces plateformes qualifiées de « structurantes » sont aujourd’hui en situation de domination en raison de leur taille sans précédent ainsi que par leur capacité à s’étendre sur plusieurs marchés et de la masse des données qu’elles sont en mesure de capter.

Les plateformes structurantes opèrent sur des marchés caractérisés par de forts effets de réseau, d’importantes barrières à l’entrée, des phénomènes concentratifs majeurs ainsi que par une forte asymétrie de l’information en raison de l’opacité entourant les modalités de la collecte massive de données et leur utilisation par les algorithmes.

Récemment, la commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager, a exprimé ses inquiétudes concernant la régulation des plateformes numériques structurantes.
Elle a souligné que « la concurrence peut être fragile à l’ère numérique et que les autorités doivent être particulièrement vigilantes, afin de s’assurer que ces entreprises n’abusent pas de leur pouvoir pour fermer des opportunités aux innovateurs au détriment des consommateurs ». Depuis la crise sanitaire, les reproches se sont multipliés à l’encontre des grandes plateformes numériques, en particulier à l’encontre du géant américain Amazon, accusé de détruire des petits commerces et l’emploi industriel.

« Le rôle des données, les effets de réseau, les stratégies de développement conglomérales sont autant de caractéristiques inhérentes aux plateformes structurantes, qui posent des défis nouveaux au droit de la concurrence ». Certaines pratiques peuvent prendre de nouvelles formes, complexes et quasi-instantanées et échapper au contrôle des autorités. La plupart des opérations de concentration peuvent échapper aux radars des autorités de contrôle, en particulier les acquisitions « prédatrices ».

À l’heure actuelle, les seuils de notification en vigueur en Europe libellés en termes de chiffres d’affaires ne permettent pas à la Commission européenne de contrôler l’ensemble des rachats potentiellement problématiques. De ce fait, une partie de la doctrine appelle à une réforme du contrôle des concentrations afin de le mettre en adéquation aux plateformes structurantes. Les autorités de concurrence sont donc bien démunies face à la domination de ces acteurs. Elles sont contraintes de revoir leurs grilles d’analyse pour appréhender les comportements anticoncurrentiels des plateformes structurantes. La manière dont les plateformes numériques structurantes utilisent leur puissance sur le marché pose un certain nombre de problèmes qui nécessitent une « analyse dépassant la seule application du droit de la concurrence ». C’est pourquoi, face à un tel dilemme, une partie de la doctrine suggère de mettre en place une régulation sectorielle ex ante afin de compléter les règles de concurrence.

Dans ce contexte, le droit de la concurrence est-il efficace pour réguler les plateformes numériques ?

Le droit de la concurrence est suffisamment adapté pour traiter les spécificités des plateformes numériques. Il offre les moyens nécessaires pour réguler efficacement les plateformes numériques. Pour autant, les règles de concurrence présentent un certain nombre de carences que ce soit en matière de détection et de répression des pratiques anticoncurrentielles des plateformes numériques. C’est pourquoi, la mise à jour du droit de la concurrence est indispensable pour pallier ses points faibles.

Cette adaptation passe par la révision des concepts traditionnels du droit de la concurrence, ainsi que par la mise à jour des grilles d’analyse des autorités de contrôle. Les auteurs appellent également à renforcer les outils des autorités de concurrence, en particulier les mesures conservatoires et le contrôle des concentrations. Toutefois, l’adaptation du droit de la concurrence ne suffit pas à réguler efficacement les plateformes numériques, notamment les plateformes structurantes. La mise en place d’une régulation spécifique ex ante est nécessaire pour compléter les règles de concurrence qui ne peuvent à elles seules encadrer les plateformes numériques structurantes.

Cette démonstration s’effectuera donc en trois temps. Un premier temps démontrant l’inefficacité des règles traditionnelles de concurrence pour réguler les plateformes numériques. Un second temps sur l’analyse des propositions doctrinales pour adapter le droit de la concurrence. Pour terminer, il conviendra de démontrer l’intérêt d’élaborer une réglementation spécifique complémentaire au droit de la concurrence pour garantir un encadrement efficace des plateformes numériques structurantes.

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Jean-Yves André, Juriste, diplômé du Master 2 Droit du numérique de l'Université Paris Nanterre.