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Appels d’offres de la SGP : une nouvelle ingénierie contractuelle qui engage tous les acteurs. Par Christian Renaud.
Parution : mercredi 3 novembre 2021
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D’une ampleur inédite en France, et même en Europe, les travaux menés dans le cadre du Grand Paris Express nécessitent de nouvelles pratiques à tous les niveaux, et notamment en ce qui concerne l’ingénierie contractuelle. C’est pour cette raison que la Société du Grand Paris a recours au marché public de conception-réalisation pour ses appels d’offres. Une exception à la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée (dite loi MOP) qui prend tout son sens dans ce contexte si particulier.

Avec ses 200 kilomètres de lignes automatiques [1] à concevoir et ses 68 gares à construire, sans compter toutes les infrastructures annexes, le chantier du Grand Paris Express (GPE) est tout bonnement titanesque. C’est même le plus grand projet urbain d’Europe [2].
Pour un projet aussi ambitieux, la maîtrise du temps et des coûts est un défi constant qu’il est difficile de relever. En témoignent les dérives pointées par la Cour des Comptes qui dénonçait dans un rapport publié le 18 janvier 2018 un « dérapage considérable » des coûts du GPE. En effet, alors que le Gouvernement avait assigné à la Société du Grand Paris (SGP) un coût d’objectif de 25,5 milliards en 2013, ce coût était estimé à 38,5 milliards cinq ans plus tard, soit un « dérapage » de 13 milliards d’euros.
Selon la Cour des Comptes, les causes en sont multiples : approfondissement des études, qui a révélé progressivement la sous-estimation de l’évaluation initiale, demandes complémentaires adressées à la SGP par l’État et le Syndicat des transports d’Ile-de-France, réduction des délais de construction du réseau imposée par l’échéance olympique de 2024…
C’est sur la base de ce constat que la présidence de la SGP a institué de nouvelles modalités de passation de contrat : la conception-réalisation.

Une exception bienvenue à la loi MOP.

Depuis maintenant plus de trois décennies, c’est la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 modifiée relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, plus connue sous le nom de « loi MOP » qui encadre le droit de la construction publique et s’applique dans les relations entre les différents intervenants publics et privés lors d’une construction ordonnée par une entité publique.
L’un des principes forts de la loi MOP, inscrit dans l’article 7, est la dissociation entre la mission de maîtrise d’œuvre et celle d’entrepreneur ou, en d’autres termes, entre la phase de conception et la phase de réalisation. Si ce schéma ne pose guère de problème sur des projets simples, il peut compliquer les choses dès que le chantier est beaucoup plus complexe, instaurant un « dialogue à trois » entre le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre et l’entreprise chargée de la réalisation effective des travaux, qui n’est pas des plus efficaces en termes de maîtrise des risques notamment.

C’est pour cela que certaines exceptions à la loi MOP sont prévues pour que, dans quelques situations bien précises, le maître d’ouvrage ait le droit de faire appel à la même entreprise pour la conception et la réalisation des travaux : c’est le principe du marché public de conception-réalisation [3].
Strictement encadré par la loi (article 18 de la loi MOP) le recours à ce type de marché ne peut se faire que :

« lorsque des motifs d’ordre technique ou d’engagement contractuel sur un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique ou la construction d’un bâtiment neuf dépassant la réglementation thermique en vigueur rendent nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage ».

Ainsi, si les opérations présentent des dimensions exceptionnelles et/ou difficultés techniques particulières exigeant de faire appel aux moyens et à la technicité propre des entreprises, le recours à la conception-réalisation se justifie pleinement. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le GPE remplit largement ces deux conditions.

La conception-réalisation au cœur des travaux du GPE.

C’est le précédent président de la SGP, Thierry Dallard qui a pris conscience de l’intérêt des marchés publics de conception-réalisation pour mener à bien ce projet d’une envergure hors-normes.
En janvier 2020, il a fait savoir qu’il comptait réaliser des contrats de conception-réalisation pour le bouclage de la ligne 15. Des contrats qui, selon lui, « ont le mérite d’associer l’entreprise beaucoup plus tôt dans le processus de conception ». Et l’homme d’ajouter : « Elle sera donc beaucoup plus responsabilisée sur les choix de conception. Par ailleurs, s’il y a des adaptations en cours de projet parce que la conception initiale ne convenait pas, ce sera son risque » [4].
Effectivement, pour la SGP comme pour tout autre client d’ailleurs, la conception-réalisation lui permet de se reposer entièrement sur l’entreprise pour l’optimisation du projet, selon deux logiques complémentaires : en matière de coût, car l’entreprise est libre de ses solutions techniques, et en matière de gestion de projet, car c’est à l’entreprise « menante » d’un groupement qu’incombent la coordination et l’interface technique entre tous les lots, avec tous les contributeurs, débarrassant le client de ces tâches chronophages. La SGP peut donc se concentrer sur le dialogue avec les parties prenantes, et la mise en cohérence globale du projet.

Bien sûr, cette nouvelle façon de fonctionner ne va pas sans quelques ajustements, du côté du maître d’ouvrage comme des entreprises de BTP qui répondent aux appels d’offres.
D’une part, la SGP et les décideurs doivent exprimer leurs besoins de façon beaucoup plus précise, au travers d’un programme. Cela implique un important travail en amont, car, dans le cadre d’un marché de conception-réalisation, ils ont beaucoup moins que par le passé la possibilité d’intervenir en cours de chantier en cas de besoin ou de se mêler de détails d’exécution.
Et d’autre part, les entreprises de BTP vont devoir calibrer très finement et très précisément leurs propositions en fonction du prix décidé au départ, en conformité avec le dit programme, car ce sont elles qui vont assumer le risque, notamment financier, une fois le chantier contracté. Des données auxquelles la SGP sera très attentive, convaincue que la conception-réalisation va permettre « de maîtriser les coûts et de limiter les risques » [5].
Même s’il ne s’est guère exprimé sur le sujet depuis sa prise de fonction, il est probable que Jean-François Monteils, président de la SGP depuis mars 2021 et ancien de la Cour des comptes, s’inscrive dans la continuité. En mars 2021, lors de son audition au Sénat avant sa désignation, il s’était félicité du fait que la consultation pour le deuxième marché de conception-réalisation [6] concernant le tronçon ouest de la ligne 15 ait été publiée quelques jours plus tôt.

Les acteurs du BTP prêts à œuvrer.

Ce virage de la conception-réalisation, les entreprises du BTP qui œuvrent actuellement sur les nombreux chantiers du GPE sont toutes disposées à le prendre. D’ailleurs, plusieurs d’entre elles ont déjà mené à bien des projets dans le cadre de marchés de conception-réalisation. C’est le cas notamment d’Eiffage. En effet, la major du BTP français a bâti plusieurs ouvrages dans ce cadre, comme la villa Doma [7], une résidence de 219 logements sociaux en bois à Salon de Provence, dans les Bouches-du-Rhône, l’autoroute E18 [8] en Norvège, ou encore la tour Hypérion à Bordeaux [9], plus haute tour résidentielle en structure bois de France, distinguée par la remise d’un BIM d’or [10] par le Moniteur et les Cahiers techniques du bâtiment.

Mais Eiffage n’est pas le seul intervenant dans le cadre du GPE à avoir de l’expérience en ce qui concerne la conception-réalisation. Ainsi, l’entreprise Demathieu Bard a déjà bâti un bâtiment en structure bois pour l’opérateur internet Céleste [11], le collège Marie Curie de Fontoy [12] en Moselle et la nouvelle gare SNCF de Nantes [13] dans le cadre de cette nouvelle procédure contractuelle.
Chez Léon Grosse aussi le principe de la conception-réalisation n’est pas un inconnu puisque la société a construit 363 logements étudiants sociaux à Paris-Saclay [14] et les « structures d’accompagnement vers la sortie » [15] (SAS) des centres pénitentiaires d’Avignon-Le Pontet et de Toulon-La Farlède sur ce principe. Autant de réalisations qui démontrent que les entreprises du BTP français ont déjà une solide expérience de la conception-réalisation et qu’elles sont prêtes à relever les nombreux défis du chantier du GPE. Voilà qui devrait rassurer la SGP !

Christian Renaud, Spécialiste consommation, communication, concurrence.
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