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Le nouvel article 6.I.8 de la LCEN, pour un retrait plus dynamique des contenus en ligne. Par Pierre de Roquefeuil, Avocat.
Parution : vendredi 29 octobre 2021
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Pour faire retirer un contenu en ligne, sur un plan judiciaire, plusieurs procédures et plusieurs stratégies peuvent être utilisées, plaintes, référés, requêtes, actions au fond, combinaisons d’actions contre différents acteurs... Le nouvel article 6.I.8 de la LCEN, introduit par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, propose une nouvelle option, la « procédure accélérée au fond » - Point de situation.
Article mis à jour en janvier 2024.

Le nouvel article 6 I.8 alinéa 1 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique n°2002-575 (dite « LCEN »), introduit par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, crée une nouvelle modalité d’intervention du juge sur les contenus en ligne :

« 8. Le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».

Il s’agit de pouvoir demander au juge d’enjoindre, en urgence, "à toute personne", d’intervenir sur lesdits contenus.

La précédente version de la LCEN ne visait que les hébergeurs, et à défaut les fournisseurs d’accès internet, en ces termes :

« 8. L’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2 ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».

Dans la LCEN ancienne version, le 2 (et 3 relatif à la responsabilité pénale) du I de l’article 6 prévoyait aussi, en ce qui concernait les hébergeurs de contenus :

« Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ».

Cette version avait fait l’objet d’une réserve par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004 qui indiquait « ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d’engager la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge ».

Francis Donnat commentait ainsi :

« Cette précision sur le caractère "manifestement" illicite est bienvenue : ainsi que le relève le Conseil constitutionnel lui-même dans son commentaire autorisé sur la décision, dire ce qui est illicite et ce qui ne l’est pas est souvent complexe. Appartient-il à une entreprise privée de se livrer à cet exercice délicat ? Le risque était réel de voir les hébergeurs, légitimement soucieux d’éviter toute mise en cause de leur responsabilité, supprimer systématiquement, au moindre doute, tout contenu qui leur aurait été signalé. Le résultat obtenu en définitive n’aurait été heureux ni au regard de la liberté de communication ni au regard de l’objectif de la directive de 2000 qui est de favoriser la libre circulation et la croissance des services en ligne. Le critère du "manifestement" illicite permettait précisément d’éviter ces écueils.
Un raisonnement similaire a été mené par la Cour européenne des droits de l’homme s’agissant de la responsabilité d’un éditeur de site au regard des commentaires mis en ligne par les internautes. Après avoir relevé que ces commentaires n’étaient pas, en l’espèce, "clairement" illicites, la CEDH a considéré la mise en jeu de la responsabilité pénale du responsable d’un site pouvait avoir un effet dissuasif sur la liberté d’expression sur Internet [1].
Il ressort en définitive de la combinaison des textes et de la jurisprudence constitutionnelle que la responsabilité d’un hébergeur peut donc être engagée dans deux hypothèses : lorsque celui-ci ne retire pas promptement un contenu manifestement illicite qui lui a été signalé par un tiers ; lorsque celui-ci ne retire pas un contenu dont le retrait a été ordonné par un juge
 ».

La nouvelle version de la LCEN, issue de la loi 2021-1109 du 24 août 2021, intègre cette décision dans ces termes :

« 2. Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ».

Cette ouverture permit aux hébergeurs de se référer plus volontiers à leur propre appréciation pour écarter sans crainte les demandes de retrait ou de modification de contenus qui, selon eux, ne leur paraissaient pas "manifestement" illicites.

Les plaignants étaient donc incités à saisir le juge pour faire reconnaître le caractère illicite du contenu.

Confrontés à l’urgence ou à la sensibilité des contenus, ils utilisaient logiquement la procédure de référé, procédure d’urgence, en application du 8 du I du 6 de la LCEN, dans son ancienne version précitée, pour demander au juge d’enjoindre à l’hébergeur le retrait ou la modification du contenu.

La difficulté est que, dans le cadre d’une procédure de référé, les pouvoirs du juge sont limités à ce qui relève de l’évidence. Il ne peut intervenir quand les choses ne lui paraissent pas évidentes.

Or, les contenus concernés soulèvent souvent des questions complexes relatives aux limites de la liberté d’expression et de la libre critique, de la vie privée, de la propriété intellectuelle, qui nécessitent donc une réflexion approfondie, et pour lesquels le juge des référés, juge de l’évidence, peut s’estimer dépourvu de pouvoirs.

L’absence de "caractère manifestement illicite" du contenu permettait finalement à l’hébergeur, mais aussi au juge, de ne pas traiter la demande du plaignant dans le cadre d’une procédure d’urgence.

Pourtant les contenus en question peuvent rapidement mettre à mal la réputation et les biens des personnes et des entreprises qu’ils visent.

Le législateur a sans doute estimé que la procédure propre à traiter ces contenus pouvait donc être améliorée, et a permis que le traitement de ces contenus puisse bénéficier de la "procédure accélérée au fond".

Cette nouvelle possibilité, inscrite dans le 6.I.8 de la nouvelle LCEN, précité, a été introduite par le législateur à l’occasion du projet de loi confortant le respect des principes de la République n° 2021-1109 du 24 août 2021, visant en particulier les "délits de provocation".

La "procédure accélérée au fond" est propre à résoudre l’équation complexité/urgence en matière de demande de retrait de contenus en ligne. C’est donc cette procédure qui devient recommandée en principe pour traiter ce type de demande.

La réforme de la procédure civile [2] a en effet introduit la "procédure accélérée au fond" (anciennement "en la forme des référés"), dans les termes des articles 839 et 481-1 du Code de procédure civile, permettant d’organiser en urgence un débat judiciaire approfondi, non limité aux évidences. Elle n’exige pas qu’une urgence soit démontrée ni qu’une autorisation préalable du juge soit obtenue (à la différence d’autres procédures comme les procédure "passerelle" ou "jour fixe"), mais ne peut être utilisée que si la loi ou le règlement le permet pour telle ou telle question.

Deux décisions viennent souligner la compétence exclusive du président du tribunal judiciaire dans le cadre d’une procédure accélérée au fond pour ordonner des mesures propres à prévenir ou réparer des dommages causés par des contenus en ligne, en application des articles 6, I, 8 de la LCEN et L213-2 du code de l’organisation judiciaire :

"L’article 6, I, 8 de la LCEN, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, dispose que le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne, alors qu’antérieurement et dans la version initiale du texte, ces mesures pouvaient être ordonnées en référé ou sur requête et le champ des acteurs concernés était limité aux seuls fournisseurs d’accès à internet et aux hébergeurs.
Selon l’article L213-2 du code de l’organisation judiciaire, en toutes matières, le président du tribunal judiciaire statue en référé ou sur requête. Dans les cas prévus par la loi ou le règlement, il statue selon la procédure accélérée au fond.
Il résulte de ces dispositions, qu’il entre désormais dans les seuls pouvoirs du président du tribunal judiciaire saisi selon la procédure accélérée au fond de faire cesser tout dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne, et, ce quelle qu’en soit la nature et y compris lorsqu’il procède d’une violation des dispositions du code de la consommation comme il est soutenu en l’espèce par la société Rose Passion
".

Dans cette affaire, la compétence exclusive du président du tribunal judiciaire est rappelée. Cette compétence n’exclut pas celle du juge des référés sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, qui vise les mesures d’instruction in futurum.

"Seul le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, est compétent pour prescrire les mesures propres à prévenir ou faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne".

Et encore :

"L’alinéa 8 du I de l’article 6 de la loi ° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique dans sa rédaction issue de la loi 2021-1109 du 26 août 2021 applicable en l’espèce, énonce que le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne, alors que jusqu’alors, selon la version initiale du texte, ces mesures pouvaient être ordonnées en référé ou sur requête et le champ des acteurs concernés était limité à ceux visés au 2 de l’article 6-I (soit les hébergeurs) ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1 du même article (soit les fournisseurs d’accès).

Ainsi que l’a retenu le premier juge, l’article 213-2 du Code de l’organisation judiciaire relatif énonce : en toute matière, le président du tribunal statue en référé ou sur requête. Dans les cas prévus par la loi ou le règlement, il statue selon la procédure accélérée au fond.

Il s’ensuit que le plaideur n’a pas le choix de la voie procédurale lorsque la loi prévoit une saisine du président du tribunal selon la procédure accélérée au fond.

Il convient de relever qu’aux termes des travaux parlementaires (sa pièce 40) la saisine du juge des référés selon la procédure accélérée au fond dont la finalité est fournir une réponse plus adaptée aux parties en garantissant leur sécurité juridique puisque les décisions de blocage des sites auront donc un caractère définitif constitue un obstacle à la saisine du juge des référés selon la procédure de droit commun.

Par ailleurs l’extension du champ des acteurs concernés à l’ensemble de ceux ayant la possibilité de prévenir ou de faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service (tel que son blocage ou le retrait d’un contenu) de par sa généralité exclut qu’il en soit fait l’interprétation restrictive qu’avance l’appelante. Elle s’étend à l’ensemble des acteurs, y compris, les éditeurs de site, qu’ils soient de droit ou de fait".

La cour d’appel juge que la communication de ces données participe à la prévention d’un préjudice causé par un contenu en ligne, dans le sens où ces données peuvent permettre des poursuites judiciaires contre les responsables des contenus, entraînant des amendes, des interdictions de vente, des retraits de contenus.

Il existe donc bien, par l’incitation non encadrée à consommer de l’alcool, un dommage, au sens de l’article L 6, I, 8 de la LCEN, porté à l’objet même de l’ANPAA et la demande de communication des éléments d’identification est particulièrement fondée, étant précisé que l’ANPAA justifie avoir tenté de contacter les titulaires des comptes mais qu’elle s’est heurté à des refus de retirer lesdites publications”.

Pierre de Roquefeuil, Avocat, Paris, titulaire des mentions de spécialisation droit du numérique, de la communication et de la propriété intellectuelle. https://roquefeuil.avocat.fr

[1CEDH, 2 février 2016, Index.hu/Hongrie, aff. n° 22947/13.

[2Décret n°2020-1452 du 27 novembre 2020.