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La computation des délais et l’épineuse question du point de départ. Par Damien Viguier, Avocat.
Parution : jeudi 27 mai 2021
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Je ne connais pas de question plus épineuse que celle du comput des délais. Greffier, parquetier, magistrat du siège, avocat, huissier ou notaire, l’angoisse nous saisit surtout lorsque nous sommes sur les derniers jours ou les dernières heures du délai. Fébrilement nous cherchons la date et parfois l’heure de l’évènement de départ (acte, décision, fait). Alors surgit le doute quant au point de savoir si oui ou non le délai est expiré.

La première chose à considérer est la suivante. Rien, jamais, aucune explication n’a permis de débarrasser les juristes de cette question. Les disputes à ce sujet remontent aux origines de la science du droit et encore aujourd’hui, lorsque le législateur veut simplifier les choses, dans sa maladresse il les complique.

Prenons l’exemple d’un acte pour l’accomplissement duquel nous avons un délai de dix jours après un événement. Reprenons posément les éléments du problème. Nous avons, d’une part, le délai en lui-même, avec sa durée. Et puis d’autre part il y a deux jours extrêmes : d’un côté il y a le jour de l’événement de départ, de l’autre le dernier jour où l’acte peut encore être accompli.

Dies a quo et dies ad quem.

Dies a quo.

Le jour de l’événement de départ s’appelle le dies a quo. La première question porte sur le point de savoir s’il est compté dans le délai, c’est-à-dire si le décompte commence avec lui inclus, ou si au contraire il est exclus, le premier jour étant le lendemain.

En principe le jour de l’événement point de départ n’est pas le premier jour du délai. Dies termini non computatur in termino. Autrement dit, le décompte un commence à minuit et non pas dans la journée de l’événement. C’est la règle posée actuellement au Code de procédure civile français, à l’article 641 al. 1.

« Lorsqu’un délai est exprimé en jours, celui de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir ne compte pas ».

Comme disent certains enseignants, il suffit d’additionner au quantième la durée du délai. Ainsi, pour notre délai de dix jours, si l’événement qui le fait courir arrive le 3 juin, le dernier jour du délai est le 13 juin.

Attention, néanmoins, que le système contraire a parfois été défendu. Et l’on a pu parler en ce cas de délai « non franc ».

Quel que soit l’unité de mesure employée, heure, jour, mois ou année, il faut bien distinguer l’étendue de temps et ses limites. C’est exactement le même problème dans l’arpentage où l’on distingue la centurie (pan de terre) et la limite, ou dans le comput de la parenté, avec la notion ambiguë de « génération ». A minuit il faut compter un. Minuit est la seconde limite du jour de l’événement, puisqu’un jour est encadré par deux instants. Comme l’écrit Roger Perrot, chaque espace de temps de minuit à minuit constitue une journée. La marche de départ n’est pas comptée. Le pied reposé sur la première marche, premier pas accomplis, il faut compter un. Comme entre un père et son fils il y a un degré. Certains préféreront considérer que c’est la limite entre les plages de temps qui est comptée. Soir du jour de l’événement, matin du premier jour. Allons maintenant à l’autre extrême.

Dies ad quem.

Toujours en principe, le dernier jour du délai, dit dies ad quem, celui, dans notre exemple, qui est le dixième, est, dit-on, compris dans le délai. C’est-à-dire qu’il est encore possible d’agir le dernier jour. Le soir du neuvième jour, à minuit, on compte dix, et l’on peut encore agir jusqu’au soir de ce dixième jour à minuit. Mais non plus après, car le délai expire le dernier jour à minuit.

Par exemple si l’on compte le jour de l’événement, pour un délai de dix jours cela fait en somme onze jours pour agir. Un plus dix. Car évidemment on peut agir immédiatement après l’événement déclencheur, même si ce jour-là on n’aura pas un jour plein.

En principe.

Franc ou non franc ?

Première interprétation.

C’est avec le dernier jour du délai, dernier jour utile, que les choses se compliquent.

En effet, lorsque ce dernier jour tombe un jour férié, par exemple un dimanche, il faut considérer qu’en principe il aurait fallu agir le samedi, voire le vendredi, mais que le lundi il est trop tard. Le délai est alors dit « non-franc ». (Remarque : le pire régime serait celui où le délai serait non-franc en ce sens mais également quant au dies a quo. Si l’événement arrive un 3 juin, le dernier jour pour agir serait en tous cas le 12 juin. Il ne semble pas qu’il y ait un domaine de notre droit qui suive ce régime.)

C’est par exception que l’on accorde un report au premier jour ouvrable suivant. Alors le délai est dit « franc ». Actuellement c’est ce que dispose en son second alinéa l’article 642 du Code de procédure civile.

« Le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant ».

Autrement dit, en ce premier sens dans notre pays les délais sont en principe « francs ».

Seconde interprétation.

Contrairement à ce que nous venons d’établir, longtemps le droit français a considéré qu’un délai franc signifiait que le jour d’après le dies ad quem était encore un jour utile. Le Code de procédure civile ancien disposait en son article 1033 :

Le jour (...) de l’échéance (n’est) jamais compté.

Le délai était non franc lorsque le dernier jour du délai était aussi le dernier jour pour agir.

Devant les hésitations et les risques que cela faisait courir aux justiciables un décret du 26 novembre 1965 décida que tous les jours seraient francs, au sens où « le dernier jour n’est pas compté ».

Autrement dit, le dixième jour du délai n’est pas compté, et le délai expire le lendemain à minuit.

Sur ces entrefaites le nouveau Code de procédure civile vint à établir que

« Tout délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures ».

C’est l’alinéa 1er de l’article 642. Dans le langage moderne, cela signifie que les délais, en France, sont en principe « non francs ».

Mais il faut faire attention à ceci que les procédures pénale et administrative (?), elles, sont demeurées fidèles au droit ancien. En droit pénal les délais sont francs.

Ainsi du délai de cinq jours pour se pourvoir en cassation [1] : le ministère public et toutes les parties ont cinq jours francs après celui où la décision attaquée a été prononcée pour se pourvoir en cassation.

Autrement dit, ni le dies a quo, ni le dies ad quem ne sont alors compris dans le délai. Et en outre il reste possible, lorsque le dernier jour est férié ou chômé, d’attendre le premier jour ouvrable suivant.

Néanmoins, il faut toujours redoubler d’attention en ce domaine. En matière de droit pénal de la presse l’article 59 de la loi du 29 juillet 1881 ou pour le dépôt du mémoire en cassation [2], le délai est non-franc. Et alors on peut s’interroger. Le délai est-il non-franc également au sens où le dies a quo ne compterait pas ?

Conclusion.

Difficile de conclure, compte tenu de cette contradiction de sens, et l’on comprend qu’actuellement la question puisse rester en suspens.

Bibliographie. Jacques Berriat Saint-Prix, Cours de procédure civile, 3e éd. Paris, Néve, 1813, t. 1, pp. 136-138 (s’appuie sur Tiraqueau et sur les anciens auteurs).

Damien VIGUIER Avocat aux barreaux de l'Ain et de Genève - Docteur en droit www.avocats-viguier.com

[1Article 568 du Code de procédure pénale.

[2Article 584 du Code de procédure pénale.