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Restaurants, commerces : quelle indemnisation en cas de fermeture administrative illégale ? Par Baptiste Robelin et Laurent Bidault, Avocats.
Parution : vendredi 19 février 2021
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A la suite du renforcement des mesures sanitaires liées à l’épidémie de la Covid-19, le contrôle des commerces, restaurants, débits de boisson et hébergements se multiplie. Les pouvoirs publics se montrent alors très stricts prenant de plus en plus régulièrement des décisions de fermeture administrative, lesquelles peuvent s’avérer illégales.
Comment alors obtenir une indemnisation en cas de fermeture administrative illégale ? Que peut intégrer cette indemnisation ?

1. Renforcement des contrôles concernant le respect des mesures sanitaires.

Ces dernières semaines le Gouvernement se montre particulièrement strict vis-à-vis des commerces, restaurants et débits de boisson qui ne respecteraient pas le couvre-feu de 18 heures et l’obligation de n’accueillir après cette heure, du public que pour leurs activités de livraison de commandes [1].

Les préfectures de département et la préfecture de Police à Paris multiplient ainsi les contrôles zélés avec une telle fermeté qu’elles sont parfois conduites à prendre des décisions de fermetures administratives illégales, injustifiées ou disproportionnées.

A cela s’ajoute que les juridictions administratives, saisies en référé, se montrent particulièrement strictes, passant outre l’illégalité de certaines mesures prononcées, pour rejeter les demandes d’annulation ou de suspension lorsqu’elles estiment qu’il n’y a pas d’urgence particulière à suspendre ou annuler ces décisions.

Il n’est pas ici question de s’étendre sur le bien-fondé du rejet de ces actions en référé en ce qu’elles ne seraient pas urgentes, mais on se contentera d’observer qu’il est difficilement compréhensible pour un justiciable de se voir opposer l’absence d’urgence de son action à l’encontre d’une mesure qui emporte la fermeture totale de son établissement pour une durée de 15 jours et qui le privera donc de tout revenu durant cette période.

A cela s’ajoute que l’action en référé est le seul recours effectif dont dispose un restaurateur ou un commerçant pour faire valoir ses droits, le juge du fond ne se prononçant que dans des délais bien plus importants, de l’ordre de 8 à 12 mois (soit bien après une décision de fermeture de 15 jours…).

En tout état de cause, le rejet d’une action en référé pour défaut d’urgence ou l’absence d’action engagée à l’encontre de la mesure de fermeture, ne font pas obstacle à ce que celui-ci puisse solliciter et obtenir l’indemnisation des conséquences de la fermeture administrative.

Dans tous les cas, il devra démontrer que la mesure est irrégulière, qu’elle lui cause un préjudice et apporter les éléments afin de prouver le montant de ce dernier.

2. Quelle procédure pour obtenir une indemnisation ?

Au préalable, une action indemnitaire à l’égard de l’Administration - c’est-à-dire concrètement l’action consistant à demander à cette dernière le versement d’une somme d’argent - est prescrite dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (prescription quadriennale).

Par exemple, si la mesure illégale a été prise le 15 février 2021, il est possible de demander une indemnisation à l’Administration à ce titre, jusqu’au 31 décembre 2026.

Il est donc essentiel que la demande d’indemnisation soit présentée dans ce délai.

Ensuite, cette demande d’indemnisation doit obligatoirement être adressée auprès de l’Administration compétente (par exemple, la préfecture auteure de la décision de fermeture administrative litigieuse).

En ce sens, l’article R421-1 du Code de justice administrative prévoit que lorsqu’une requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle.

L’Administration dispose alors d’un délai de 2 mois pour se prononcer sur cette demande.

En l’absence de réponse dans ce délai de 2 mois, l’Administration est réputée avoir implicitement rejeté la demande d’indemnisation.

Le requérant disposera alors d’un délai de 2 mois pour contester la décision - implicite ou explicite - de refus de l’Administration devant le tribunal administratif territorialement compétent.

La requête devra présenter des moyens de fait et de droit tendant à démontrer que la demande d’indemnisation est fondée et justifiée.

3. Quels éléments apporter ? Quelle indemnisation demandée ?

Il essentiel tout d’abord de démontrer, en fait comme en droit, que la mesure de fermeture administrative est illégale, afin de caractériser la faute de l’Administration.

Ensuite, il est tout aussi essentiel de démontrer que la fermeture illégale (la faute) est la cause directe du préjudice subi.

Autrement dit, il ne pourra être invoqué que des préjudices qui résultent directement de la fermeture du restaurant, du bar ou du commerce.

Par exemple, un restaurant, un établissement ou encore un commerce pourra solliciter :
- Une indemnité comprenant la perte de bénéfice mensuel, les charges mensuelles de loyers prélevées et la rémunération mensuelle [2] ;
- Le « remboursement des salaires, charges sociales et loyers [qu’il] a dû supporter sans contrepartie lors de la fermeture de son établissement » [3] ;
- L’indemnisation de la perte d’exploitation (chiffre d’affaires diminué du montant des frais non engagés) durant la période de fermeture administrative [4] ;
- L’indemnisation des « pertes de recettes subies, diminuées des charges qu’elle n’a pas eu à exposer et augmentées, le cas échéant, des charges supplémentaires provoquées par l’interruption de son activité » [5] ;
- Le remboursement des denrées alimentaires et marchandises périssables ;
- A priori, les aides dont n’a pu bénéficier l’établissement en raison de sa fermeture administrative irrégulière.

Enfin, et surtout, il est essentiel que le montant de l’indemnisation sollicitée soit précisément justifié, pièces comptables à l’appui.

Il s’agira alors d’apporter tout élément permettant de déterminer le montant de l’indemnisation : attestation d’un cabinet d’expert-comptable, comptes annuel, livre comptable, déclarations sociales URSSAF, avis d’imposition, contrat de bail…

4. Action indemnitaire et demande d’annulation de la mesure ou action indemnitaire seule ?

La demande indemnitaire doit cependant s’articuler avec la contestation de la mesure illégale, elle-même.

Trois cas de figure sont en effet à distinguer :

- Premier cas : Une demande d’indemnisation parallèlement à une demande d’annulation de la mesure de fermeture.

La mesure de fermeture administrative doit être obligatoirement contestée dans un délai de 2 mois à compter de sa notification, soit auprès de l’Administration (puis devant le juge administratif en cas de rejet de la demande par cette dernière), soit directement devant le juge administratif.

En parallèle, la demande d’indemnisation peut être introduite auprès de l’Administration, puis devant le juge administratif ; soit dans le cadre d’une nouvelle demande, soit dans le cadre de la procédure d’annulation via la production de conclusions nouvelles tendant au versement de l’indemnisation sollicitée.

Rappelons encore que dans un cas comme dans l’autre une demande indemnitaire préalable est obligatoire.

Par la suite, en règle générale, le juge administratif se prononcera concomitamment sur les deux demandes. Il constatera, le cas échéant, l’illégalité de la mesure, puis condamnera l’Administration au versement de tout ou partie des sommes demandées.

- Deuxième cas : Une demande d’indemnisation présentée à la suite de la décision d’annulation de la mesure de fermeture administrative par le juge.

Dans ce cas, il s’agirait d’attendre que le juge administratif, saisi de la demande d’annulation de la mesure de fermeture administrative, constate l’illégalité de cette dernière et l’annule.

L’annulation de la mesure par le juge en raison de son illégalité matérialisant la faute de l’Administration, il s’agirait alors de solliciter de cette dernière le versement d’une indemnisation du préjudice résultant de cette faute.

Troisième cas : Une demande d’indemnisation simple.

Dans ce dernier cas, ne serait engagée qu’une action indemnitaire à l’égard de l’Administration, dont l’objet serait - là-encore - le versement d’une indemnité en raison du préjudice subi consécutivement à l’illégalité de la mesure administrative (sans que celle-ci ait été, seule, contestée).

Le juge administratif saisi par la suite se prononcera nécessairement sur la légalité de la mesure de fermeture administrative, pour déterminer et caractériser la faute de l’Administration et la condamner à indemniser le préjudice résultant de cette faute.

Cependant, il n’est pas rare, dans ce dernier cas de figure, qu’il soit opposé au requérant le fait qu’il n’ait pas contesté la décision, qu’il n’ait pas engagé d’actions pour faire cesser son préjudice en contestant la mesure.

Notre conseil : Il nous parait essentiel de solliciter l’annulation de la mesure de fermeture administrative et, dans le même temps, de demander une indemnisation (soit avant ou après que le jugement aura été rendu).

Me Baptiste Robelin - Avocat au Barreau de Paris NovLaw Avocats - www.novlaw.fr (English : www.novlaw.eu)

[1Article 40 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020.

[2CAA Versailles, 10 mai 2011, société EURL LE Zizenya, n°09VE00278.

[3CAA Bordeaux, 22 novembre 2011, SARL Le Caveau, n°11BX00605.

[4CAA Nantes, 19 juillet 2013, n°12NT00921.

[5CAA Marseille, 23 décembre 2020, n°19MA03198.